Apparemment pas de point commun entre le plan de relance du logement présenté le 29 août par le Premier ministre Manuel Valls et la ministre du logement, de l’égalité des territoires et du logement Sylvia Pinel, et l’œuvre de Marcel Proust. Et pourtant…
Peu savent que Proust avait donné à l’origine aux trois parties de son roman monumental trois titres: « L’âge des noms », « L’âge des mots », « L’âge des choses ». L’éditeur a vite préféré le titre qui est finalement passé à la postérité, plus simple, plus charmant, plus vendeur, « La recherche du temps perdu ». Il reste que le cheminement de la pensée et de la vie du narrateur dans le livre, qui est Proust lui-même, est ainsi séquencé: au début de sa vie, on entend des noms, des prénoms, qui forment notre représentation intellectuelle; ensuite, on apprend le langage, c’est-à-dire l’aptitude à désigner verbalement. A la fin, on accède à ce qu’est vraiment ce dont on parle, sentiments, situations, personnages, objets. On acquiert le discernement.
Et Manuel Valls dans tout cela, me direz-vous? J’y viens. Je suis frappé que le débat professionnel autour de la politique du logement se soit depuis deux ans organisé autour des personnes et des idéologies, parfois même avec beaucoup de violence. Le nom de Duflot a vite fini par être celui du diable, qui contrôle, règlemente, sanctionne, que sais-je encore. Mes lecteurs n’ignorent pas que j’ai toujours fait du projet de loi puis de la loi ALUR elle-même une lecture plus sereine, estimant que la valeur ajoutée des professionnels allait en sortir vainqueur et mieux reconnue. Peu importe, je me suis senti bien seul. Et voilà que le nouveau gouvernement, son chef en tête, désigne à son tour l’ancienne ministre verte comme coupable de tous les maux, de l’altération de la confiance à l’effondrement des courbes de la construction. Il déterre une hache de guerre que les organisations professionnelles elles-mêmes avaient fini par enterrer. La situation politique a vite pris un tour d’alternance, au point que l’opposition n’a pas trouvé de discours plus durs envers Cécile Duflot, et derrière elle envers François Hollande -qui s’était engagé sur l’encadrement des loyers ou la GUL avant son élection-, que ceux de la majorité!
Après la promulgation de la loi, il me semble que les choses s’étaient apaisées et que chacun s’était mis au travail. On s’était intéressé, dans une démarche d’exégèse juridique, à la lettre de la loi promulguée, pour bien la comprendre et en tirer les enseignements. L’âge des mots avait succédé à celui des noms. On avait dépassé les passions portées par les personnes et les noms, pour analyser les nouveaux outils. On avait notamment préparé les premiers décrets d’application, sur le CNTGI ou encore les honoraires de location.
La séquence que nous appellerons « séquence du détricotage » nous a tous replongé dans l’âge des noms…d’oiseau. La parution du livre de Cécile Duflot sur ses deux années au gouvernement n’a rien arrangé.
Il me paraît urgent d’en arriver toutes affaires cessantes à l’âge des choses. En clair, il faut désormais regarder la réalité des mesures existantes et de celles qui vont être votées au terme de la mise en œuvre du plan de relance, de façon experte, professionnelle, objective. Il est urgent de les utiliser au mieux, sans se demander si elles sont signées Valls, Duflot ou Pinel. Je dis ainsi tout net que le débat métaphysique pour déterminer si le dispositif en faveur des investisseurs, inventé par la précédente ministre et amélioré par la suivante, doit porter le nom de l’une ou de l’autre. Je dis tout net que prêter à Manuel Valls la paternité de l’exonération de droits de donation pour les sommes destinées à acheter un logement locatif alors que c’est Antoine Pinay, premier ministre des finances de la Ve République qui l’a créé, n’a vraiment aucune importance. Savoir si l’encadrement est enterré dans les villes où de toute façon il n’aurait pas été pénalisant pour les investisseurs parce que les loyers y sont à la baisse depuis longtemps n’est peut-être pas essentiel non plus.
La séquence politicienne a trop duré. Elle aura eu deux effets délétères: les professionnels de la filière, des promoteurs aux gestionnaires, ne savent plus à quel saint se vouer et attendent la stabilisation du paysage avant d’arrêter leur stratégie commerciale, et les ménages ont le sentiment que l’immobilier n’est plus synonyme de solidité et chancelle sur ses bases. Que la réalité des choses l’emporte enfin sur les querelles, les différends, les règlements de compte, et qu’on en revienne à plus de rusticité. Il y a un temps pour tout. Un âge pour tout, eût dit Proust. Celui des affaires, du marché, de la relance, du service aux familles et de la satisfaction des besoins me semble empreint de plus de maturité que les âges précédents.
Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.
Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.
Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.