Dégradation du marché de l’ancien au cours du second semestre 2011, recul brutal de la production de crédits : la récession de l’activité est bien installée. Une situation qui devrait durer au moins deux années.
Le marché de l’immobilier est en crise, une crise profonde qui s’est durcie au cours des derniers mois et qui laisse peu de place à l’espoir de son rétablissement rapide. Et il ne s’agit nullement de cet attentisme si souvent évoqué, comme pour se rassurer sur l’avenir de la conjoncture. Une baisse des taux en trompe l’œil
En avril 2012, les taux des prêts du secteur concurrentiel (hors assurance et coût des sûretés) se sont établis à 3,67 % en moyenne. À 3,95 % en février, les taux semblaient stabilisés depuis quelques mois. Mais en mars 2012, ils sont redescendus à leur niveau d’octobre et de novembre 2011 : 3,84 %. Et le recul s’est poursuivi en avril : les taux sont maintenant revenus à leur niveau du printemps 2011. Cette baisse des taux concerne l’ensemble du marché : elle s’observe notamment sur le marché de l’ancien (3,67 % en avril contre 3,97 % en février) et elle accompagne une réduction significative de la durée moyenne des prêts octroyés.
En avril 2012, la durée des prêts s’est en effet établie à 200 mois. Le recul brutal de la durée amorcé en mars 2012 – une diminution de 14 mois entre février et avril – accompagne les difficultés d’un marché marqué par la récession et confronté à la transformation de ses clientèles (suppression du PTZ+ dans l’ancien et recul de l’accession des ménages modestes sur tous les marchés). Les conditions de crédit ne se sont pas pour autant dégradées. Sur des marchés en récession et en pleine mutation, les revenus des emprunteurs confirment leur remontée. La sortie accélérée du marché des ménages les plus modestes s’accompagne en effet de la hausse de la moyenne des revenus de ceux qui y restent. Et pour les mêmes raisons, l’apport personnel moyen enregistre une nouvelle progression, d’autant que la prudence des emprunteurs est plus grande que par le passé (craintes sur l’avenir, inquiétudes sur la situation professionnelle…) Ces évolutions bouleversent les équilibres des plans de financement des opérations, les ménages préférant autant que possible réduire leur recours à l’endettement afin de limiter les risques futurs.
Un marché des crédits sinistré
Après une année 2010 de reprise, le début de 2011 avait confirmé le redémarrage du marché des crédits. Mais dans le contexte des incertitudes qui ont accompagné le déclenchement de la crise de la dette souveraine, le marché a décroché durant l’été 2011. Plusieurs causes ont été à l’origine de cela : les inquiétudes de la demande (dégradation du marché du travail, risques sur le pouvoir d’achat, moral au plus bas…), le resserrement de l’offre de crédit (anticipation des ratios de fonds propres de Bâle III, contrecoups de la crise de la dette, redéploiement de la production vers les PME…) et les recommandations des autorités monétaires françaises (« une gestion rigoureuse des risques », « éviter un allongement excessif de la durée des crédits »….). Et dès le 3è trimestre, la plupart des indicateurs sont passés au rouge et la production de crédits a reculé : aussi, même si le recul du marché des crédits a été moins marqué que prévu en raison de la décision de nombreux ménages de réaliser des achats immobiliers par anticipation à l’automne disparition annoncée du PTZ+ dans l’ancien, mesures concernant l’imposition sur les plus-values…), la production de crédits a baissé sur l’ensemble du 2nd semestre 2011. Au cours de cette période, si on se limite au seul marché de l’ancien, le recul de la production de crédits a été, en glissement annuel, de 22,8 % au niveau des mises en force (Banque de France) et de 21,9 % au niveau des offres acceptées (Observatoire de la production de crédits immobiliers).
Le nombre de crédits mis en force (Banque de France) ayant baissé de 28,4 %, dans le même temps… tous ces indicateurs laissant penser que le marché évoluait alors suivant un schéma comparable à celui observé au début de la crise des années 2008-2009. D’ailleurs, les évolutions constatées au 1er trimestre 2012 confirment que rien ne va plus sur le marché des crédits : en glissement annuel, la production mesurée au niveau des offres acceptées (OPCI) recule de 24,9 % sur l’ensemble du marché et de 22,2 % sur le seul marché de l’ancien.
Un marché de l’ancien bloqué
Comme de l’ordre de 87 à 88 % des transactions sur logements anciens ont récemment fait appel aux crédits immobiliers, on aurait pu penser que, globalement, le marché était entré en récession au cours du 2nd semestre 2011(1). Mais apparemment, il n’en aurait pas été ainsi, si on en croit les statistiques d’activité des notaires. Il convient cependant de remarquer que l’estimation de l’activité proposée par les notaires a toutes les raisons d’être (très) fragile. Depuis septembre 2011, le délai maximal de transmission par les notaires des actes de vente à la conservation des hypothèques a été ramené de 2 à 1 mois. De ce fait, les enregistrements comptabilisés par l’administration fiscale et le montant mensuel des droits de mutation afférents sont « anormalement » gonflés : les estimations du nombre des « transactions dans l’existant » qui sont adossées à ces statistiques(2) s’en sont donc trouvées accrues de manière inhabituelle, sans que cela ne traduise une quelconque suractivité du marché ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable), qui élabore habituellement les statistiques de « transactions dans l’existant » que reprennent les notaires, a préféré « suspendre » ses estimations. La récession du marché de l’ancien est néanmoins une réalité si on en juge par les statistiques de crédits. D’autant que ces dernières ne concernent que les opérations immobilières réalisées par les ménages ! Les effectifs (et les mesures d’évolution de l’activité) que proposent les méthodes privilégiant une approche par les crédits se limitent en effet aux seuls locaux à usage d’habitation acquis par les ménages : ils ne comptabilisent pas les achats de lots annexes (caves, garages, locaux non destinés à l’habitation…) et les locaux acquis par les professions libérales en SCI. Alors que les estimations faites à partir des droits de mutation comptabilisent, notamment (3) , les locaux annexes au même titre que les seuls logements. Elles proposent donc une mesure du nombre des « transactions dans l’existant » enregistrées par les notaires : elles rendent comptent de l’activité des offices notariaux avec un décalage de trois à six mois.
88% C’est la part de transactions dans l’ancien qui ont fait appel aux crédits immobiliers
Un horizon pas très dégagé
Suivant un scénario comparable à celui de l’automne 2008 (début de la grande dépression), le marché des logements anciens est bloqué : les reventes sont devenues difficiles, les biens les plus chers sont sortis du marché. Les prix des logements anciens ont alors baissé au cours du 2ème semestre 2011. Mais sur un marché dont l’activité se maintient depuis neuf mois à un niveau de l’ordre de 20 % inférieur à celui observé entre le 2nd semestre 2010 et le 1er semestre 2011, les prix n’ont pas reculé au cours du 1er trimestre 2012. Depuis le mois de février, les coûts les opérations réalisées ont en effet retrouvé leur niveau du début de l’été 2011 et s’y maintiennent. Comme au début de l’année 2009, le mouvement de baisse des prix est loin d’être clair et net. Et pour les prochains mois, rien ne semble devoir changer. La crise de la dette souveraine n’est pas terminée, les pouvoirs publics n’ont plus les moyens (ni même probablement la volonté) de venir en soutien à des marchés immobiliers défaillants. Le marché des logements anciens a donc peu de chance de rebondir rapidement, tant que l’offre de crédits ne se sera pas ressaisie. Et la crainte qui peut être nourrie aujourd’hui, c’est celle d’une poursuite de la dégradation de son activité, à un rythme moins rapide que depuis l’été 2011 cependant. Si tel était le cas, le marché ne se redressera pas avant l’été 2014.
(1) Sur ce point le lecteur intéressé pourra se reporter à un article récent : • Michel Mouillart, « Crise versus reprise : à propos du marché de l’ancien ! », Observateur de l’Immobilier, juin 2012, à paraître. (2) Il convient en effet de rappeler que le chiffrage du nombre de « transactions dans l’existant » diffusé par le CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) et par les Notaires ne repose pas sur un « comptage » d’effectifs, mais sur un calcul réalisé selon un jeu d’hypothèses parfois anciennes et toujours discutables. (3 ) Outre la difficulté qui demeure à distinguer clairement les seuls locaux à usage d’habitation.