La casse économique et sociale dans la transaction immobilière est un fléau. La prévenir pour le futur est un impératif de première importance. Tribune de Henry Buzy-Cazaux.
Le chiffre fait froid dans le dos : 2 000 agences immobilières ont disparu ces deux années passées. Encore ne récapitule-t-il pas les dégâts dans la filière : le nombre de salariés licenciés et celui des agents commerciaux qui ont dû quitter le navire, qui n’ont pas fait l’objet de publicité, sont sans aucun doute inquiétants.
On peut comprendre que la mortalité des entreprises constitue l’indicateur le plus observé, mais le destin des individus ne mérite pas moins d’attention. Le président de la FNAIM soutenait que les emplois salariés dans les agences avaient été préservés, et il a sans doute raison… ne serait-ce que parce que le coût du licenciement est de nature à menacer des structures artisanales ou familiales qui font l’essentiel du tissu français des agences immobilières. En revanche, les négociateurs indépendants ont servi de variables d’ajustements : la rétractation du marché les a privés de chiffre d’affaires et ils se sont absentés d’eux-mêmes.
Plusieurs attitudes face à cette situation. Certains, fatalistes ou darwiniens, trouvent normal que les plus fragiles ou les moins forts trépassent en période difficile et ajoutent que cette sélection naturelle est saine. D’autres s’apitoient faussement. D’autres encore relativisent la catastrophe, en ne retenant que les fermetures d’agences, qu’ils rapportent au nombre total : le ratio ressort à moins de 5 %. Quant aux non salariés, on ne va quand même pas se pencher sur leur sort. On parlait d’eux naguère comme d’entrepreneurs à part entière… Le discours s’est muté en silence pudique. Enfin, les derniers voient la réalité en face. Était-elle inéluctable ?
Comment faire pour que lors de la prochaine crise les conséquences soient moindres, que les entreprises du secteur souffrent moins, que les femmes et les hommes du secteur ne soient pas abîmés ? Il est temps de s’interroger. Certaines réponses déjà émises n’ont pas été assez suivies…
S’agissant des agences ou des réseaux de mandataires, la plus puissante protection contre un repli du marché des reventes reste la diversification. Les réseaux nationaux de franchises ou coopératifs incitent depuis des lustres les spécialistes de la transaction à s’ouvrir à la location et aux métiers de l’administration de biens, la gestion locative et la gestion de copropriété, qui procurent des revenus récurrents avec une profitabilité de bon niveau. Guère plus d’un tiers de la population des agents immobiliers ont suivi ce conseil. Ceux qui n’ont pas créé de portefeuille suffisant ne se sont pas garantis un amortisseur assez efficace.
Or une activité de vente soutenue permet de prendre un par un un nombre de mandats significatif, lors des ventes à investisseurs et aussi lors des ventes d’appartements en immeubles collectifs pour s’identifier comme syndic petit à petit.
La diversification peut aussi s’opérer dans la transaction
La diversification peut aussi s’opérer dans l’activité de transaction elle-même. Les négociateurs sont familiers des cessions à des accédants pour l’acquisition de résidences principales. Leur compétence à s’adresser à des investisseurs est courte, exigeant une approche fiscale, de l’ingénierie financière, et une appropriation du droit et de la pratique des rapports locatifs. Ils sont également beaucoup plus rompus au logement existant qu’au neuf. Pourtant, les promoteurs et les plateformes de commercialisation ont besoin de relais de terrain pour vendre la production livrable ou en l’état futur d’achèvement. D’ailleurs, un acteur majeur de la commercialisation de biens résidentiels neufs, iSelection, a lancé une offre à destination des professionnels de la transaction, sous le nom d’Acquis, pour leur fournir un service supplétif intégré pour la vente de biens neufs à occuper ou à louer.
On peut également penser aux biens d’investissement spécifiques, tels des logements à acheter en viager ou des logements en résidences services. Un réseau national de transaction, Imogroup, vient de bâtir pour ses agents immobiliers une offre d’accompagnement à l’activité de gestion locative.
Abriter les agents commerciaux
Enfin, le cas des agents commerciaux doit d’urgence faire l’objet d’une réflexion. Peut-on acter sans sourciller que des dizaines de milliers de conseillers non salariés se retrouvent sans ressources, juste parce qu’ils ont fait le choix courageux de l’indépendance ? Certainement pas.
Faut-il, comme le suggère le président de la FNAIM, un statut particulier de l’agent commercial immobilier ? La probabilité de l’obtenir semble réduite. Une autre solution mérite d’être explicitement admise pour la transaction immobilière : le portage salarial. Une partie de la profession continue d’y être réticente au motif que la loi Hoguet n’a pas prévu cette triangulation. Mais il est urgent que l’État confirme la compatibilité entre le statut de salarié porté et l’activité de négociation immobilière.
Tous les acteurs qui peuvent infléchir les stratégies et affiner les outils curatifs ont la responsabilité de doter le secteur de la résistance nécessaire, dans l’intérêt des ménages, qui ont besoin d’un corps de professionnels abrité des tempêtes.
Henry Buzy Cazaux
Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.
Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.
Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.