La vente d’un bien immobilier qui a été le théâtre d’un suicide ou d’une mort violente peut être une tâche délicate pour les agents immobiliers. En plus des réticences psychologiques des acquéreurs, ces transactions posent des questions juridiques importantes. À quel moment les acheteurs doivent-ils être informés ? Quelles sont les obligations de l’agent immobilier et du vendeur ? Voici le guide de Quentin Lagallarde — expert évaluateur en immobilier — pour comprendre les bonnes pratiques et éviter les risques juridiques.
À quel moment les acheteurs doivent-ils être informés ?
La question de savoir à quel moment un acquéreur doit être informé du passé tragique d’un bien est essentielle. La règle générale impose que tout fait déterminant pour le consentement de l’acheteur doit être divulgué avant la signature du compromis de vente. Les évènements tragiques portés à connaissance des acquéreurs peuvent leur permettre de choisir d’acheter ou de ne pas acheter ; de prendre une décision éclairée. Toutefois, il est pertinent de prendre en compte plusieurs critères importants : la violence et l’atrocité des faits, l’antériorité de l’événement, et la notoriété du fait criminel.
Quand et comment révéler l’information ?
Nature des faits : plus les faits sont violents ou atroces (homicides multiples, meurtres avec torture, etc.), plus l’impact psychologique sur les acquéreurs sera fort. Il est donc crucial de communiquer ces éléments, même si l’événement est ancien.
Antériorité des faits : un drame récent aura un impact plus significatif qu’un événement survenu il y a plusieurs décennies. Cependant, même un crime ancien peut continuer à influencer la perception locale du bien.
Notoriété du fait criminel : si le drame a été largement médiatisé ou s’il est connu localement, il devient essentiel de prouver avoir informé les acquéreurs, car cela peut influencer leur consentement. À l’inverse, un fait resté discret peut être jugé moins pertinent à divulguer, sauf si l’acquéreur pose directement la question ; mais cela renvoie à beaucoup de subjectivité.
Cela repose néanmoins sur l’idée que le professionnel avait connaissance du fait ou encore qu’il ne pouvait pas l’ignorer car la mort était récente et/ou médiatisée.
Quand informer l’acquéreur ?
Première visite : lors de la première visite, l’agent immobilier n’a pas l’obligation expresse de mentionner spontanément un événement tragique, sauf si l’acheteur pose une question spécifique sur l’historique du bien et que le professionnel a connaissance de l’évènement.
Lors de l’intention d’achat : si l’acheteur manifeste un intérêt concret pour le bien (seconde visite ou demande de documentation), il devient impératif de le mettre au courant de tout fait susceptible d’influencer sa décision d’achat.
Avant la signature du compromis de vente : l’information sur le drame devrait impérativement figurer dans le compromis de vente, ou tout autre document d’information remis à l’acquéreur, sous peine de voir la responsabilité du vendeur et de l’agent immobilier éventuellement engagée. Il serait même intéressant d’indiquer dans l’acte que le prix convenu entre les parties est spécialement convenu en tenant compte de ces particularités.
Quelles informations devraient être divulguées ?
– La nature du drame : homicide, suicide, accident.
– Le lieu précis où l’événement s’est produit dans le bien.
– La date approximative de l’événement, afin de contextualiser les faits.
En pratique, et en se rappelant le code de déontologie, il est conseillé d’adopter une communication transparente et factuelle, sans entrer dans des détails macabres, afin de préserver une relation de confiance avec les acheteurs potentiels.
Un décès naturel ou sans violence pourrait lui paraître devoir rester dans le confinement de l’intimité et faire demeurer le professionnel dans le respect de la vie privée des vendeurs ou de la famille du défunt.
Comment évaluer un bien marqué par un fait criminel ou une mort violente ?
L’évaluation d’un bien immobilier ayant été le théâtre d’un drame repose sur une analyse spécifique, tenant compte de plusieurs facteurs. Ces biens sont souvent sujets à des décotes importantes en raison de leur passé. Voici les principaux critères à considérer pour ajuster la valeur de ces biens.
Les critères influençant la décote
1. Nature et atrocité des faits :
Un homicide multiple ou un crime particulièrement violent entraînera une décote plus importante qu’un suicide ou un décès naturel.
2. Notoriété de l’affaire :
Si le fait criminel a été largement médiatisé, la stigmatisation du bien sera plus forte. Par exemple, les affaires très médiatiques comme celle de la famille Flactif ou de la maison de la famille Dupont de Ligonnès ont fortement impacté la valeur des biens concernés.
3. Antériorité du drame :
Plus les faits sont récents, plus la décote sera importante. Avec le temps, l’impact psychologique sur les acquéreurs tend à diminuer, mais certains biens conservent une réputation durable au sein de la communauté locale.
4. Perception locale :
La réputation du bien peut varier d’un secteur à l’autre. Dans certaines régions, les voisins et la communauté locale peuvent continuer à associer un bien à son passé, même plusieurs années après les faits.
Exemples de décotes appliquées
Les décotes varient généralement entre 20 % et 50 %, voire davantage pour les biens liés à des affaires très médiatisées ou particulièrement atroces.
Quelques exemples d’affaires médiatiques
– Le chalet des Laurencières au Grand-Bornand, où la famille Flactif a été assassinée, a été vendu avec une décote de 25 % pour « faits criminels ».
– La maison de la famille Dupont de Ligonnès à Nantes, théâtre d’un drame familial en 2011, a été achetée quatre ans plus tard à moitié prix.
– À Montceau-les-Mines, la maison où Françoise Gandrey a été assassinée par son fils en 2008 est restée abandonnée pendant des années, avec une estimation de décote de 40 % à 50 %.
L’évaluation est particulièrement compliquée car il n’existe pas de marché des biens théâtres d’évènements violents. Elle peut se faire par l’application de décotes dont l’appréciation est particulièrement subjective. Elle pourrait être corrélée avec le rapport d’un expert en évaluations immobilières pour justifier la décote appliquée et sécuriser la transaction. L’expertise aurait une particulière importance dans le cadre des négociations avec les acquéreurs ou en cas de litige postérieur à la vente, encore plus quand l’expert garantit l’application de la Charte de l’Expertise en Évaluation Immobilière.
Quelles sont les obligations de l’agent immobilier ?
L’obligation d’information
L’agent immobilier est tenu par une obligation d’information vis-à-vis des acquéreurs. Le vendeur est soumis à l’article 1137 du Code Civil indiquant constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
En d’autres termes, si l’agent immobilier est au courant du passé du bien et choisit délibérément de ne pas en informer les acquéreurs, il peut engager sa responsabilité. Le vendeur engagera aussi la sienne. Cette obligation d’information serait renforcée si les faits sont publics et notoires, notamment dans le cas d’affaires criminelles fortement médiatisées.
Quelles sanctions en cas de manquement ?
En cas de manquement à cette obligation d’information, l’agent immobilier aurait contribué à vicier le consentement de l’acquéreur. Les sanctions peuvent inclure :
– l’annulation de la vente.
– une demande de dommages et intérêts de la part de l’acheteur.
– des sanctions sur le champ déontologique.
Pour éviter ces risques, il est recommandé d’inscrire une clause spécifique dans le compromis de vente mentionnant le drame survenu dans le bien.
Conclusion
La vente d’un bien marqué par un suicide ou une mort violente demande une gestion rigoureuse de l’information et une évaluation adaptée. L’agent immobilier et le vendeur ont tous deux des obligations légales pour informer les acquéreurs de tout événement pouvant influencer leur consentement. En adoptant une communication transparente et en inscrivant ces informations dans les documents de vente, il est possible de sécuriser la transaction et d’éviter les litiges.
Les biens marqués par des faits criminels peuvent se vendre, parfois à des prix intéressants pour les acquéreurs, mais cela demande aux professionnels de maîtriser les règles juridiques et d’adopter une approche transparente.
Quentin LAGALLARDE
Quentin LAGALLARDE , Chartered surveyor MRICS, expert évaluateur en immobilier près la Cour d’Appel de Caen.
Certifié en expertise immobilière de l'ESSEC Business School et titulaire du DU expertise judiciaire (faculté de Droit de l'université de CAEN). Il est membre agréé du collège des experts du SNPI, Quentin LAGALLARDE dispose de plusieurs années d'expérience dans différents cabinets immobiliers en matière d'expertise, transaction et location. Il est certifié REV par TEGoVA, MRICS et également inscrit sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Caen.
En sus de son activité expertise, il est formateur auprès des professionnels de l’immobilier. Ses formations sont disponibles sur www.cotentin-expertise.fr.
Téléphone : 02 33 03 17 02