Quel agent immobilier ne s’est pas retrouvé, au cours d’une visite un peu compliquée, avec l’envie irrépressible de faire appel à l’imagination de ses clients ? Pourtant, vouloir convaincre les clients du potentiel d’un bien en évoquant des situations améliorées n’est pas forcément une stratégie payante. Tribune de Fabrice Larceneux.
A son insu, la chanteuse Barbara Streisand a marqué l’histoire des stratégies de communication. Tout commence dans le cadre d’un projet d’étude explorant l’érosion de la côte californienne : le photographe Ken Adelman prend alors plus de 12 000 photos aériennes du littoral et des falaises sur lesquelles sont perchées de belles propriétés menacées. Il poste ses clichés sur un site Internet professionnel mais, ce faisant, il publie aussi la photo n°3850, une vue d’avion de la propriété de la chanteuse. La photo est téléchargée quatre fois : Barbara Streisand n’apprécie pas du tout cette intrusion et veut le faire savoir. Elle décide de poursuivre le site de photos pour divulgation de son intimité.
À l’annonce de son action en justice, plusieurs millions de téléchargements de la photo ont lieu. Ce phénomène prend alors le nom d’effet Barbara Streisand : en mettant dans la lumière une information non connue, on obtient un résultat inverse de celui désiré. Le fait caché devient notoire et largement diffusé.
Devenu un classique de la communication de crise, ce résultat signifie qu’il est préférable de ne pas répondre à un phénomène contrariant car dénoncer ne fait qu’aggraver la situation à laquelle on fait face. Une variante de cet effet vient d’être découverte par les chercheurs en marketing. C’est ce que l’on appelle l’effet « beau potentiel ».
Quel agent immobilier ne s’est pas retrouvé, au cours d’une visite un peu compliquée, avec l’envie irrépressible de faire appel à l’imagination de ses clients ? Les projeter dans une situation meilleure que celle qu’ils découvrent, telle qu’une cuisine qu’il conviendrait manifestement de refaire : « Ce serait bien mieux avec un comptoir en granit le long de la fenêtre » ; en leur demandant de faire abstraction de l’horrible moquette pour imaginer un parquet contemporain ; en envisageant de faire construire des grands placards dans les chambres, etc. Cela peut même commencer devant la maison, voyant les acheteurs potentiels un peu sur la réserve devant un terrain peu entretenu : « Imaginez un magnifique jardin avec des fleurs exotiques et pourquoi pas, une piscine à débordement ! », ou sur la terrasse « Vous auriez une belle lumière et une vue dégagée en déracinant cet arbre ».
Ces différentes présentations font appel à des situations améliorées pour révéler toute la beauté du lieu. Au prix de quelques travaux et d’une certaine capacité de projection. Mais cette stratégie fonctionne-t-elle ?
Attention à ne pas imposer son idéal
Vouloir convaincre les clients de la valeur d’un bien en évoquant des scénarios idéaux est ce que les chercheurs appellent le recours au « contrefactuel positif ascendant » (CPA). Il s’agit d’une stratégie parfois utilisée sans même s’en rendre compte car l’idée est a priori évidente : les clients préfèrent avoir la meilleure image possible du bien, pouvoir se le représenter sous son meilleur jour pour développer une attitude plus positive à son égard.
Et pourtant ! Au cours de différentes expérimentations, les chercheurs ont démontré des effets inverses, des effets négatifs à l’évocation de scénarios améliorés.
Premier résultat : lorsque les agents disposent d’informations contrefactuelles positives, ils éprouvent le besoin de les communiquer aux acheteurs car ils pensent que cela améliore leur impression d’un bien qui a manifestement beaucoup de défauts. Les agents imaginent alors que les acheteurs souhaitent connaître leur vision, l’analyse de la situation et comment ils imaginent tout ce qu’il est possible de faire pour améliorer le bien. Quand on voit ce qui pourrait être amélioré, on a envie de le communiquer !
Second résultat, les acheteurs potentiels qui reçoivent ces descriptions des beaux potentiels finissent avec une impression encore plus négative du bien !
Communiquer des images d’un bien améliorées détériore significativement la perception du bien actuel par les acheteurs.
Pourquoi un tel résultat contre-intuitif ?
Car la stratégie du « beau potentiel » comporte de vrais risques : elle dessine l’image d’un bien plus désirable que celui visité, elle crée une comparaison directe, ex-licite, immédiate avec le bien actuel qui en souffre d’autant plus. En essayant de vendre un potentiel désirable plutôt qu’un réel à désirer, les agents accentuent la perception des défauts actuels… et la difficulté de combler l’écart.
Ce focus implicite peut dissuader les acheteurs qui n’avaient pas perçu ces éléments comme réellement problématiques et inquiéter les autres.
Savoir garder son expertise pour soi
C’est un cas typique où l’expertise des agents immobiliers peut se retourner contre eux. Ils voient avec plus d’acuité le potentiel des biens immobiliers… mais les études montrent qu’il ne faut pas forcément le verbaliser : les acheteurs ne partagent pas toujours leur vision et l’humilité est parfois bienvenue.
Finalement, les argumentaires qui tentent de transformer un défaut en qualité à venir peuvent être mal reçus et des informations considérées a priori comme positives peuvent détériorer l’impression générale. C’est la même chose lors de rencontres amoureuses… Il est souvent plus efficace de se concentrer sur les aspects positifs, a priori appréciés et consensuels ; si certains perçoivent les défauts, libre à eux de créer leur propre projection d’un idéal, et alors seulement, l’agent immobilier peut accompagner la description du potentiel et sa faisabilité. Mais il ne doit pas embellir le projet car le décalage entre l’actuel et l’idéal soulignerait trop les défauts qui n’en sont pas pour tout le monde.
Comme dans le cas de Barbara Streisand, il faut savoir se taire et ne pas oublier que « le mieux peut être l’ennemi du bien », y compris en immobilier !
Source : Li, X., Hsee, C. K., & O’Brien, E. (2023). “It could be better” can make it worse: when and why people mistakenly communicate upward counterfactual information. Journal of Marketing Research, 60(2), 219-236.
Fabrice Larceneux
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.