Reconnaissons que nous sommes dans un cycle de crise du crédit, tant conjoncturel que structurel. La sortie de crise fait planer une incertitude particulièrement désagréable.
La nature humaine est ainsi faite que l’installation dans le confort a une fâcheuse tendance à occulter les qualificatifs fondamentaux qui prévalent à une situation exceptionnelle. Exceptionnel ! C’est un terme que nous avons tous employé pendant 3 années pour commenter les volumes de ventes de biens immobiliers et les volumes de production de crédit immobilier. Exceptionnel tout autant était le niveau des taux d’intérêt, lorsque la Banque Centrale Européenne s’est enfoncée dans la jungle inconnue du refinancement en taux négatifs. Donc, forcément, le retour à une certaine normalité dispense une impression brutale de repli.
Si toutes les crises sont différentes, les cycles postérieurs sont assez semblables
Il serait inutile, car forcément erroné en raison des contextes radicalement différents, de remonter au-delà d’une trentaine d’années. Néanmoins, si on prend les périodes où le crédit au logement s’est écroulé, on note une réelle similitude dans le comportement des marchés et des acteurs.
Phase de déni : les conditions d’octroi des prêts se tendent. Cela réduit la capacité d’emprunt des candidats à l’accession. Le nombre de refus augmente et les vendeurs, sauf urgence de situation, se refusent à ajuster leurs prix. Les acheteurs potentiels essaient de négocier, mais diffèrent leur projet.
Phase de crispation : les conditions d’octroi ne se détendent toujours pas, voire s’aggravent. Les prêteurs commencent à redouter un alignement à la baisse des prix des biens, et réclament davantage d’apports personnels. Ce sont désormais les ménages en mal de liquidités ou avec un projet non urgent qui se retirent du marché de la demande. Les vendeurs ne souhaitent toujours pas ajuster la valeur de leur bien, et retirent l’offre du marché.
Phase de résignation : le niveau de prix s’ajuste finalement sur la capacité d’emprunt des acheteurs. Dès les premiers signes, les banques reviennent capter des nouveaux clients, et la concurrence renaît. Cette phase peut s’illustrer avec un rebond fort ou une reprise progressive.
En quoi cette crise est-elle différente ?
Les circonstances qui ont conduit au crédit crunch actuel sont très particulières, et surtout leur empilement est impressionnant. À défaut d’éviter la bascule, on aurait pu adoucir la violence du changement.
L’appétence des ménages français demeure forte. Et pourtant le nombre de propriétaires depuis ces vingt dernières années, s’il a augmenté en nombre absolu, n’a pas vraiment bougé en relatif. Non du fait de la réticence des banques, mais parce que l’absence de planification du logement a produit une pression sur les prix. La capacité d’achat a donc été portée par la capacité d’emprunt. Les banques ont énormément prêté à des conditions très basses.
Or, les banques françaises prêtent aux ménages à taux fixe. Ce qui fait que les encours dans les bilans des banques ont gonflé à un taux moyen bas, tandis que l’éventualité d’une remontée des taux sur le marché faisait entrevoir un risque de refinancement. Dès lors, les autorités de régulation et les autres organisations parallèles ont décidé de brider le système.
Sont venus s’ajouter les éléments contextuels de la guerre russo-ukrainienne, provocant une résurgence de l’inflation, tant espérée mais ensuite difficilement contrôlable. Il ne faudrait pas non plus oublier les conséquences de la crise sanitaire et ses effets sur les échanges internationaux.
À tous ces motifs, s’ajoutent des éléments structurels forts pour le secteur bancaire et financier et pour le marché du logement. On citera, entre autres, l’avènement des nouvelles technologies dans le traitement des données et dans la digitalisation des contrôles et du conseil ou de la vente. On peut ajouter la concurrence internationale débridée sur les marchés financiers, l’émergence de mastodontes non financiers grignotant des parts de marchés sur des activités connexes mais lucratives des banques, ou encore le délaissement (parfois contraint) d’investissements dans des secteurs d’activité jusque-là bénéfiques…
Ces bouleversements ont pour conséquence de rogner la rentabilité des banques. Dans ces conditions, l’obligation de réduction de la prise de risques a dicté les autorités bancaires mais aussi les banques les plus sensibles à ces facteurs.
« Le retour à une certaine normalité dispense une impression brutale de repli. »
Le retour des beaux jours est affaire de tous
Si les explications du constat peuvent paraitre sombres, la réalité l’est nettement moins.
D’une part parce que, par essence, le système bancaire n’est profitable qu’en finançant l’économie et que dans les économies des pays occidentaux, le poids du logement est important. Au-delà donc des annonces politiques pouvant faire croire parfois à un sabordage socio-économique de la chaîne de l’immobilier, il y aura prise de conscience des effets durables et dangereux d’un non-soutien public.
D’autre part, les effets de l’inflation causée par la mondialisation vont s’atténuer par les mêmes causes de la mondialisation.
Ensuite, si l’attitude « fermée » des prêteurs a pu être jugée brutale et violente, le système bancaire a une capacité d’adaptation forte, et la mutation organisationnelle des investissements va impacter favorablement les envies de retourner à la conquête des marchés de la consommation.
Enfin, parce que les entrepreneurs français ont une capacité d’adaptation forte.
Les professionnels de l’immobilier ont entamé leur part du travail en raisonnant les vendeurs. Les banquiers ont entamé leur mutation. Les acheteurs ont révisé leurs prétentions. Posons-nous la question de savoir si acheter un bien en étant persuadé que cela prendra de la valeur, à des conditions financières rendant l’argent si facile, et sans avoir préparé un investissement qui demeure encore très souvent un projet de vie, était durable.
Bruno ROULEAU est co-fondateur et Délégué Général de la Fédération du Courtage en Crédit. Diplômé du CNAM dans le secteur bancaire, cadre durant une 20aine d’années au sein de 4 groupes bancaires. Il bascule dans le secteur de l’intermédiation bancaire en 2004, d’abord chez In&Fi Crédits qu’il rejoint peu de temps après leur création. Il en devient associé aux côtés de Pascal BEUVELET, crée avec lui l’IFIB (Institut de Formation) et l’activité de Financement Professionnel. Il y occupe aussi la fonction de Directeur des Partenariats, de l’Animation et Porte-Parole de l’enseigne. En 2010, il rejoint CAFPI au sein de la Direction Générale et du Comité Exécutif, en charge des Grands Accords, de l’Economie Sociale et de l’Organisation Interne.
Passionné par l’entrepreneuriat, il crée en 2015 son cabinet de conseil en Formation et de conseil pour accompagner les entreprises et les réseaux dans leur virage digital, notamment dans la gestion de la relation Client. Revenu dans le secteur du courtage en crédit en 2018, il retrouve d’abord In&Fi Crédits comme membre du Comité de Direction, Directeur des Partenariats et Porte-Parole, et devient parallèlement secrétaire puis Président de l’APIC, avant de passer Secrétaire Général chez La Centrale de Financement, puis Directeur de la Stratégie et de l’Innovation, et Porte-Parole chez AFR Financement, tout en étant administrateur de la CNCEF Crédits jusqu’en juillet 2024. Il est également auteur d’ouvrages sur le courtage en crédit, référent réglementaire au sein d’organismes de formation, et intervenant en Faculté des Métiers.