Le portage salarial est-il conforme à la loi Hoguet ? Telle est l’épineuse question qui fait actuellement débat au sein de la profession. Maître Alain Cohen-Boulakia, avocat associé, SVA Avocats, nous livre son décryptage à l’appui d’une récente décision de justice.
Que prévoit la loi ?
Le portage salarial, par sa souplesse présente de nombreux avantages, tout particulièrement dans le secteur de l’immobilier.
En vertu de l’article L1254-1 du Code du Travail :
« Le portage salarial désigne l’ensemble organisé constitué par :
1° D’une part, la relation entre une entreprise dénommée « entreprise de portage salarial » effectuant une prestation et une entreprise cliente bénéficiant de cette prestation, qui donne lieu à la conclusion d’un contrat commercial de prestation de portage salarial ;
2° D’autre part, le contrat de travail conclu entre l’entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le « salarié porté », lequel est rémunéré par cette entreprise. »
En vertu de l’article L1254-3 du Code du Travail, le portage salarial ne peut intervenir que dans certains cas. Il ne peut être permanent et ne peut être total.
En conséquence il est impossible qu’une agence immobilière ait uniquement recours à des commerciaux sous portage salarial.
L’agence immobilière ne peut doncavoir recours à un salarié porté que :
Pour l’exécution d’une tâche occasionnelle ne relevant pas de son activité normale et permanente,
Pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas
Laissons de côté le premier cas.
En définitive, le salarié porté va exécuter une mission dans le cadre d’un mandat conclu entre l’agence immobilière et son client. Il s’agit par essence d’une prestation ponctuelle. Il faut admettre que la prestation est confiée à un salarié porté par l’agence immobilière qui ne dispose pas en interne des ressources lui permettant d’exécuter cette mission. L’agence immobilière pourrait considérer qu’elle a besoin du recours à un professionnel extérieur sans pour autant abandonner la possibilité de réaliser cette transaction par d’autres moyens.
Il faut donc concevoir que le salarié porté va exécuter des missions portant sur des mandats « désignés » et que son intervention sera ponctuelle.
Par ailleurs, il faudra prouver que l’agence immobilière ne dispose pas de l’expertise lui permettant d’exécuter la mission à savoir « travailler un mandat… », cela peut se concevoir, par exemple, pour un mandat portant sur la vente d’un fonds de commerce alors que l’agence immobilière n’a aucune expertise.
La sanction en cas de recours par un salarié porté devant le Conseil de Prud’hommes ou en cas de contrôle, notamment par l’URSSAF, est lourde. Il s’agit en effet d’une requalification en contrat de travail, avec toutes les conséquences que de droit : cotisations sociales, salaire minimum, congés payés…
Que dit la jurisprudence ?
La jurisprudence est hélas sévère (CA DOUAI 28 juin 2019 n°18/01857 ; CA AGEN 22 octobre 2019 n°18/00467). S’il existe effectivement un choix pour une agence immobilière d’avoir recours à des agents commerciaux ou à des salariés, dans la mesure où les deux statuts sont prévus par la loi Hoguet, il n’en est pas de même en ce qui concerne le portage salarial.
Il convient cependant de relever une décision récente rendue par la Cour d’Appel de VERSAILLES le 7 septembre 2023 (n°21/02471).
Dans cette affaire, le salarié porté avait saisi le Conseil de Prud’hommes, en vue de voir requalifier le contrat de portage salarial en contrat de travail. On notera cependant que le salarié n’invoquait pas les dispositions de l’article L1254-3 du Code du travail. Il faisait état de l’existence d’un lien de subordination, lequel a été factuellement écarté par la Cour d’Appel de VERSAILLES.
Il apparait également que cette décision n’est pas relative à la question de savoir si le portage salarial est compatible avec la loi Hoguet ou ne l’est pas.
On rappellera que l’article 4 de la loi Hoguet prévoit que « tout négociateur » doit être salarié ou agent commercial et doit se faire délivrer une attestation visée par la CCI en vertu de l’article 9 du décret d’application du 20 juillet 1972 de la loi Hoguet.
L’article 4 de la loi Hoguet précise que les dispositions relatives aux agents commerciaux sont applicables aux négociateurs lorsqu’ils ne sont pas salariés, mais on ignore s’ils doivent être obligatoirement salariés de l’agence immobilière ou s’ils peuvent être salariés d’une société qui ne détiendrait pas la carte professionnelle.
Or, une entreprise de portage salarial n’a pas l’opportunité d’être titulaire d’une carte professionnelle.
La question se pose donc de savoir si un salarié d’une entreprise de portage salarial peut se voir délivrer une attestation par une agence immobilière laquelle n’est pas son employeur et qui serait utilisée dans le cadre des démarches avec la CCI.
A l’heure actuelle, l’arrêté fixant le modèle d’attestation, et le CERFA ne permettent pas de cocher une case conforme… La lecture de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de VERSAILLES du 7 septembre 2023 révèle que l’attestation dont était titulaire le salarié porté, délivrée par l’agence immobilière, mentionnait la qualité de « salarié » dudit salarié porté. Or, le salarié porté n’était pas salarié de l’agence immobilière. C’est toute la difficulté…
On notera également que cette attestation n’a pas permis au salarié d’obtenir la requalification du contrat de portage salarial en contrat de travail le liant à l’agence immobilière. Il s’agit d’un point « encourageant »… Mais il n’est pas mis un terme aux dispositions restrictives relatives au droit du travail, alors que le risque essentiel se trouve là, en lecture de l’article L1254-3 du Code du travail.
On notera également que le CNTGI a considéré, en 2015, que le portage salarial n’était pas adapté à l’immobilier. La DGCCRF considère à l’heure actuelle que le portage salarial est inadapté au regard de la loi Hoguet, et de la nécessité de détenir une attestation d’habilitation remise par le titulaire de la carte professionnelle au nom et pour le compte duquel le salarié travaille.
On peut souhaiter, alors que de nombreuses agences immobilières traversent à l’heure actuelle des difficultés, que le législateur assouplisse les règles relatives au portage salarial, dans le secteur de l’immobilier, d’une part et que, d’autre part, la loi Hoguet subisse une modification permettant de sacraliser le portage salarial emportant, de plano, une nécessaire modification de l’arrêté fixant le modèle d’attestation d’habilitation de collaborateur (carte blanche).
Avocat à la Cour d'appel de Montpellier depuis 1980 Alain COHEN-BOULAKIA s'est forgé une solide expérience en Droit de la Distribution (Franchise, Concession, Agents commerciaux, Coopérative de détaillants …) et en Droit Immobilier (Copropriété, Baux commerciaux, Rcp des professionnels de l'immobilier, Application de la loi Hoguet …).
Il est membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF) et du Conseil Québécois de la Franchise (CQF).
Alain COHEN-BOULAKIA est également Professeur à l'ICH ; il intervient dans de nombreux colloques et séminaires en droit immobilier ainsi qu'en droit de la franchise.
Bonjour,
Parmi les conditions à remplir pour être salarié porté, vous avez omis une précision importante qui élimine la grande majorité des négociateurs en poste actuellement.
Il s’agit des compétences dont le salarié porté doit justifier et qui sont prévues à l’article L 1254-2 du Code du travail et définies 2.2 et 2.3 de la CCN du portage salarial :
« Le salarié porté dispose au minimum d’une qualification professionnelle de niveau III, conformément aux dispositions issues de la circulaire relative à la nomenclature interministérielle par niveau (1), ou d’une expérience significative d’au moins 3 ans dans le même secteur d’activité. »
Sont donc éliminés tous les négociateurs non titulaires d’un bac + 2 ou qui n’ont pas 3 ans d’ancienneté. Or, l’ancienneté dans l’immobilier ne concerne que les personnels salariés.
L’ancienneté d’un agent commercial n’est pas considérée sinon il serait éligible à la carte pro à l’issue d’un certain nombre d’années de pratique, ce qui n’est pas le cas.
Par ailleurs, le ministre du travail s’est déjà prononcé sur le sujet en réponse à une question d’une sénatrice. Il conclut à la non compatibilité du statut de portage salarial dans l’immobilier. (Rép. min. n° 01237 JO Sénat 17 11 2022).
Enfin, on pourrait aussi évoquer l’obligation de rémunération minimale qui est difficilement compatible avec la rémunération à la commission.
Très bonne journée à vous.
Gilles
Par Gilles, il y a 1 année
Bonjour,
Parmi les conditions à remplir pour être salarié porté, vous avez omis une précision importante qui élimine la grande majorité des négociateurs en poste actuellement.
Il s’agit des compétences dont le salarié porté doit justifier et qui sont prévues à l’article L 1254-2 du Code du travail et définies 2.2 et 2.3 de la CCN du portage salarial :
« Le salarié porté dispose au minimum d’une qualification professionnelle de niveau III, conformément aux dispositions issues de la circulaire relative à la nomenclature interministérielle par niveau (1), ou d’une expérience significative d’au moins 3 ans dans le même secteur d’activité. »
Sont donc éliminés tous les négociateurs non titulaires d’un bac + 2 ou qui n’ont pas 3 ans d’ancienneté. Or, l’ancienneté dans l’immobilier ne concerne que les personnels salariés.
L’ancienneté d’un agent commercial n’est pas considérée sinon il serait éligible à la carte pro à l’issue d’un certain nombre d’années de pratique, ce qui n’est pas le cas.
Par ailleurs, le ministre du travail s’est déjà prononcé sur le sujet en réponse à une question d’une sénatrice. Il conclut à la non compatibilité du statut de portage salarial dans l’immobilier. (Rép. min. n° 01237 JO Sénat 17 11 2022).
Enfin, on pourrait aussi évoquer l’obligation de rémunération minimale qui est difficilement compatible avec la rémunération à la commission.
Très bonne journée à vous.
Gilles