Dégradation du marché immobilier, annonces décevantes dans le cadre des conclusions du CNR Logement, ajustements insuffisants décidés par le HCSF pour relancer la production de crédits… Les mauvaises nouvelles s’enchaînent ces dernières semaines pour les professionnels de l’immobilier.
Michel Mouillart, Professeur d’économie émérite et spécialiste de l’économie immobilière, décrypte pour le Journal de l’Agence les conséquences des mesures annoncées par les pouvoirs publics et dessine les perspectives des mois à venir.
Dans quel contexte, les dernières décisions liées au secteur immobilier s’inscrivent-elles ?
Depuis l’été, voire l’automne 2021, la quasi-totalité des marchés immobiliers est en récession. Le rythme de dégradation de l’activité a été plus ou moins rapide suivant les marchés, mais dès l’été 2022, celle-ci a été suffisamment notable pour que tous les observateurs du secteur du logement en prennent acte. C’est donc dans ce contexte que des réflexions ont, par exemple, été conduites autour du CNR Logement et que des mesures ont été proposées et, à peu près unanimement, portées par la profession. Pourtant les pouvoirs publics n’ont pas bougé, non par manque d’informations, puisque ces derniers avaient tous les indicateurs en main, mais peut-être que leur stratégie n’est pas en adéquation avec celle que le secteur du logement attend.
Justement, qu’elles étaient les attentes des professionnels de l’immobilier ?
Des mesures plus ou moins fortes suivant les uns, un accompagnement pour relancer la demande sur la plupart des marchés, ou encore un soutien à la production sur tous les secteurs. Ainsi, si l’on prend comme illustration la construction de maisons individuelles qui était déjà entrée en crise dès l’automne 2021 et qui affichait un recul de plus de 30 % des ventes sur un an lorsque les réunions sous l’égide du CNR logement ont débuté en novembre 2022, force est de constater qu’aucune mesure efficace n’a été annoncée par Elisabeth Borne à l’issue des conclusions présentée le 5 juin dernier. Pourtant, tous les indicateurs sont au rouge depuis plusieurs mois et la situation a eu pour conséquence la fermeture d’importantes entreprises de construction de maisons individuelles, des licenciements, sans oublier des pans entiers du territoire où l’offre de logements s’est restreinte de manière dramatique et affecte durablement les perspectives de développement des collectivités locales concernées.
Quelles conclusions faut-il tirer de la stratégie choisie par le Gouvernement ?
On peut craindre que sous l’égide des autorités monétaires, de la Banque de France et aussi du Haut Conseil de Stabilité Financière dont le président n’est autre que le ministre de l’Economie et des Finances, la stratégie adoptée soit de restreindre l’accès au crédit afin de faire baisser les prix des logements et ainsi de relancer automatiquement la demande et à sa suite la production sur tous les marchés. Face au contrecoup de la crise économique et faute de ressources publiques (voire même d’une volonté suffisante) pour relancer la demande, il semble que c’est la voie qui a été choisie aujourd’hui par le Gouvernement. Dans ce contexte, force est de constater que la satisfaction des professionnels de l’immobilier n’est pas une priorité et peu d’entre eux partagent par ailleurs aujourd’hui cette analyse portée par les autorités monétaires et le ministère des Finances.
Pour désamorcer un tant soit peu la crise du logement, Elisabeth Borne a apporté quelques éléments de réponse homéopathiques dans le cadre des conclusions du CNR Logement avec quelques mesures en faveur du logement des plus démunis, pas grand-chose en faveur du logement social, ou encore la possibilité pour les promoteurs immobilier de déstocker des appartements neufs. A noter que cette dernière mesure copie celle qui avait été mise en place par Nicolas Sarkozy, à la différence près qu’aucun accompagnement pour relancer la demande n’a été prévue : cette mesure ne sera donc, très certainement, qu’un un coup d’épée dans l’eau pour la production de logements.
Et cela d’autant plus qu’en parallèle du déstockage, aucune mesure n’a été proposée par la Première ministre concernant la maîtrise des prix du terrain à bâtir. Or l’un des gros problèmes de la promotion immobilière qui a été rencontré ces derniers mois a été justement l’inflation des prix des terrains à bâtir du fait de la surenchère des promoteurs pour acquérir ces terrains. Si l’on y ajoute la mise à mort du prêt à taux zéro, l’exécution du dispositif Pinel ou encore l’annonce de la poursuite de la mensualisation du taux d’usure jusqu’à fin 2023, presque tout le monde (à l’exception de la Banque de France et des ministères) est d’accord pour dire que les dernières mesures annoncées n’auront pas d’effets sur l’amélioration de l’activité du marché immobilier.
Le HCSF a également annoncé des ajustements le 13 juin dernier, quelles conséquences ces décisions vont-elles avoir sur la production de crédits ?
Le HCSF a annoncé un aménagement de l’utilisation des fonds libres bénéficiant d’une dérogation et qui sont donc disponibles par les établissements de crédit dans le cadre de la contrainte qu’ils ont de limiter à 35 % le taux d’effort des emprunteurs. Jusqu’à présent le HCSF accordait la possibilité de déroger à cette règle dans la limite de 20 % de la production. Les dérogations devaient concerner majoritairement et principalement des accédants et des primo-accédants à la propriété, à hauteur de 80 %. 20 % étaient libres d’affectation et pouvaient donc être affectés à des investissements locatifs ou à des résidences secondaires. Cette dernière proportion est désormais portée à 30 %.
Cette mesure est purement cosmétique et ne modifiera pas fondamentalement le dynamisme de l’investissement locatif privé. Et cela d’autant plus que le dispositif Pinel est supprimé, ce qui signifie que les investisseurs particuliers ne sont plus incités à s’engager sur des opérations qui prennent place sur des marchés locatifs dont les loyers sont de plus en plus encadrés. A l’instar des annonces d’Elisabeth Borne, celles du HSCF s’apparente clairement à de la communication, comme le font par ailleurs les autorités monétaires depuis 2 à 3 ans en essayant de justifier la recommandation du HCSF de décembre 2019, et elles auront véritablement peu d’impact sur la production de crédits.
Quelles mesures auraient pu être efficaces selon vous pour relancer le marché immobilier ?
Nombre d’observateurs du secteur sont maintenant à peu près d’accord pour constater que ce qui a véritablement impacté la demande de crédit n’est pas fondamentalement l’évolution des taux d’intérêt, même si sur le plan médiatique cette évolution a été très largement portée, mais plutôt l’exigence d’un taux d’effort qui est plafonné à 35 %. Cette mesure a en effet eu pour conséquences que certaines catégories de ménages, telle que les primo-accédants à la propriété, les ménages aux revenus modestes ou rencontrant des difficultés professionnelles ou familiales, n’ont plus ou moins eu accès aux crédits. Cette exigence d’apport personnel qui se cache derrière le taux d’effort limité à 35 % a ainsi été à l’origine du formidable recul de la demande de crédit. Et on peut rappeler à cet égard que l’effondrement du marché des crédits immobiliers aux particuliers est sans précédent, en raison de sa violence, de sa durée et de son impact sur les marchés immobiliers.
Si les autorités monétaires avaient voulu véritablement donner ce coup de pouce indispensable, il aurait fallu donc jouer sur ce taux d’effort à 35 %. Mais ne nous trompons pas, tout le monde en a eu conscience et même le ministre de l’Economie lorsqu’il s’est publiquement interrogé sur le bien-fondé des dispositions du HCSF. Pour autant et pour des raisons que je qualifierais d’idéologique, la Banque de France n’a pas voulu modifier quoi que ce soit dans son raisonnement, sans jamais chercher à évaluer les conséquences de sa décision : pourtant, et en théorie, n’importe quel dispositif législatif doit être évalué des points de vue écologique, économique et social ; et les travaux réalisés pour cela doivent être rendus publics et rester accessibles à tout citoyen… Ce n’était donc pas sur la marge de dérogation de 20 % qu’il fallait jouer, mais bien sur le taux effort à 35 %. Cette décision aurait eu non seulement un impact très rapide, mais aurait également présenté énormément d’avantages.
Quels auraient été les avantages et pourquoi insistez-vous autant sur la nécessité qu’il y aurait eu de relever le taux d’effort à 35 % ?
Si les pouvoirs publics avaient véritablement voulu redynamiser les marchés immobiliers, ils pouvaient intervenir sur 3 grands leviers. Le premier est le pouvoir d’achat des ménages. Force est de constater que les pouvoirs publics traînent les pieds en termes d’augmentations salariales, du SMIC ou encore des prestations sociales, au motif que la situation économique et budgétaire de la France ne le permettrait pas. Soit, et à en croire les dernières prévisions macroéconomiques qui ont été présentées par la Banque de France et surtout les grands établissements de crédit, le pouvoir d’achat des ménages va continuer à reculer fortement en 2023 et même en 2024. Ce n’est donc pas de ce côté-là que les pouvoirs publics auraient pu trouver un levier leur permettant d’appuyer une relance de l’activité des marchés immobiliers.
Le deuxième levier se situe du côté des aides publiques, mais les explications apportées encore récemment par le ministre de l’Economie permettent de comprendre que la situation budgétaire de la France ne le permettrait pas, de son point de vue. Ce n’est donc pas non plus du côté des soutiens budgétaires qu’une relance de l’activité des marchés immobiliers aurait pu trouver appui.
L’ultime levier est donc le financement par crédit et dans cette optique il est nécessaire de se donner les moyens d’accroître la production de crédits. La solution est donc de revenir sur les facteurs qui ont conduit au recul de cette production de crédit, donc la contrainte de taux d’effort. L’avantage de libérer cette contrainte aurait été de permettre une relance de la demande, et ce sans aucun coût budgétaire et de manière rapide. Une telle mesure aurait également non seulement permis de relancer le marché des travaux d’entretien-amélioration et l’activité du marché du neuf, donc de permettre un redressement rapide des rentrées de TVA dans le budget de l’Etat ; mais aussi de redynamiser l’activité du marché de l’ancien et donc de permettre un accroissement des droits de mutation. Celle-ci n’aurait donc pas coûté grand-chose, tout en rapportant beaucoup. Mais c’est peut-être cela qui gênait !
Quel est aujourd’hui l’effet de la révision du taux d’usure ?
Sa révision a permis de libérer des possibilités supplémentaires d’augmentation des taux de crédits immobiliers aux particuliers. Elle a ainsi offert aux établissements de crédit la possibilité d’améliorer la profitabilité de leur production qui était descendue très bas et donc de servir des dossiers qui n’auraient pas pu être montés et accordés avec une mise à jour trimestrielle du taux d’usure. Maintenir la mensualisation du taux d’usure jusqu’à la fin de l’année était une demande justifiée semble-t-il de beaucoup de réseaux de distribution de crédit, mais il n’en est pas moins étonnant que les autorités monétaires aient suivi cette voie.
Pour quelles raisons ?
La Banque de France, pour se dédouaner et diluer sa responsabilité dans l’effondrement des marché immobiliers, explique que le recul de la demande n’est pas en lien avec les dispositions du HCSF, mais qu’il résulte de la volonté de la Banque centrale européenne de s’engager dans la voie de la remontée des taux d’intérêt et donc des taux des crédits immobiliers. La Banque de France a donc aussi acté le fait que la remontée des taux de crédits pesait sur la demande. Comment peut-on alors expliquer que cette même Banque de France ait milité pour le maintien de la mensualisation jusqu’à la fin de l’année ? Cette décision ne semble pas logique sauf si évidemment le calcul est de dire que tout ce qui vient peser un peu plus sur la demande pourrait finalement contribuer à une meilleure baisse des prix.
Comment voyez-vous le marché évoluer dans les mois à venir ?
Terminons par une petite note d’optimisme ! Il est clair que depuis quelques mois la situation de la profitabilité des banques sur les nouveaux crédits accordés est meilleure, sans être bien entendu euphorique. Cette dernière devrait encore s’améliorer au cours de l’été, ce qui signifie que les banques vont regarder d’un œil plus bienveillant les demandes de crédit qui pourront leur être adressées. Le creux de la récession du marché des crédits immobiliers devrait ainsi être franchi au début de l’automne. Nous devrions ainsi assister à un lent et léger rebond de la production de crédits vers la fin de l’année, et 2024 sera sans aucun doute meilleure que 2023. Mais nous n’assisterons pas, pour autant, à un redémarrage fulgurant de l’activité des marchés immobiliers : car nous pouvons faire confiance aux pouvoirs publics, leur volonté de brider les marchés immobiliers reste intacte. Mais nous pouvons tout de même et sans aucun doute entretenir une lueur d’espoir. Après, quelles seront l’intensité de cette lueur et sa durée dans le temps ? Seul l’avenir nous le dira.
Après avoir évolué pendant 10 ans au sein d'un groupe spécialisé dans les médias étudiants, l’orientation professionnelle et la gestion de carrière, en tant que rédactrice en chef adjointe, Stéphanie Marpinard a choisi de travailler à son compte et collabore depuis à différents médias. Ses domaines de prédilection sont entre autres l'immobilier, l'emploi et les ressources humaines.