Ne nous cachons pas que ce gros temps peut rappeler le cap à tenir et ramener à leur raison d’être les métiers de l’immobilier et ceux qui les exercent.
La réalité économique apparaît désormais crûment : la machine immobilière est sévèrement grippée. L’omerta est tentante et elle guide encore certains discours de responsables du secteur. On ne les blâmera pas : annoncer de mauvaises nouvelles est difficile, les admettre l’est tout autant.
Pourtant, travestir cette réalité ne tient pas : les équipes des entreprises immobilières, les clients même, voient bien les conséquences des dérèglements actuels. Ils remettent en question les fondamentaux auxquels on s’était habitué : l’argent gratuit, l’accès aisé au crédit, les prix qui montent sans discontinuer, la boulimie immobilière des Français dont rien n’avait raison, pas même une pandémie.
Peut-être chez certains y a-t-il moins que l’envie d’atténuer le constat : l’inconscience. Prévert avait une belle expression : « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quant il s’en va ». L’immobilier vivait des jours heureux depuis si longtemps que nombre de professionnels n’ont connu que cela et ont encore du mal à sentir que les vents favorables ont tourné.
Oui, la communauté immobilière a pour partie vécu dans l’illusion, et comment faire autrement ? On n’allait pas s’attrister que tout marche ou à peu près ! La plus grande illusion a sans nul doute concerné le crédit, carburant de l’immobilier, notamment résidentiel, mais également l’immobilier d’activité. Il était à fort indice, riche, et le voilà appauvri. L’endettement pas cher et aisé a en particulier détourné nos regards des prix trop élevés sur l’essentiel du territoire de notre pays.
Ce sont encore les taux bas qui ont redressé les rendements locatifs, et fait oublier le poids de la fiscalité sur les revenus fonciers. Les espoirs de plus values ont gommé les impôts et les taxes qui affectent l’immobilier, comme les droits de mutation à titre onéreux ou la taxe foncière en hausse constante, transformant la suppression de la taxe d’habitation en victoire à la Pyrrhus. Jusqu’aux tracasseries règlementaires que la vigueur du marché a voilées, plafonnement des loyers, plafonnement des honoraires, permis de louer… Nous avons aussi oublié d’apprécier la faiblesse du coût des énergies, au point d’en être peu parcimonieux.
Les enseignements vertueux de la désillusion
Tout cela est-il terrible ? En fait non. On pourrait même trouver cette désillusion vertueuse, dans la limite des conséquences les plus sombres de ces dérèglements : des ménages sont aujourd’hui dans le désarroi. Ceux qui basculent de l’autre côté, les déclassés, les sans-abris, sont plus nombreux. Pour autant, les grandes désillusions décillent les yeux quant aux préjudices causés par la facilité sur les métiers et sur la baisse de la valeur ajoutée.
Tous les patrons de réseaux nationaux le reconnaissent avec courage et lucidité : ces dix ou quinze dernières années ont fait perdre aux professionnels les réflexes fondamentaux. A-t-on soigné le client comme il le méritait ? A-t-on travaillé les datas et les fichiers de clientèle comme on aurait dû ? Les agents immobiliers, les administrateurs de biens, les promoteurs, les constructeurs de maisons ont-ils suivi les parcours de vie des ménages qui ont eu recours à eux, pour les fidéliser et répondre par anticipation à leurs besoins évolutifs ? Les spécialistes de l’immobilier d’activité ont-ils été assez innovants ou se sont-ils contentés de fournir des mètres carrés ou des emplacements ? Les conseils en gestion de patrimoine ont-ils davantage eu le souci de conseiller ou de vendre ?
Les professionnels se sont-ils assez intéressés à valoriser les actifs, ou ont-ils attendu les contraintes de la loi pour en redresser la qualité et les performances, notamment énergétiques ? N’aura-t’il pas fallu le resserrement du crédit pour que les professionnels de l’immobilier considèrent devoir aider leurs client à trouver les bonnes solutions d’emprunt ?
Les pratiques ont-elles été assez guidées par la transparence, l’éthique et la responsabilité sociale ? Par la déontologie, la confraternité, la solidarité et le partage ? Par l’engagement maximum ? Quand on voit le faible recours au mandat exclusif partagé et le nombre de transactionnaires utilisateurs de l’AMEPI ou de Listigo, de l’ordre d’un négociateur sur six, on est fondé à croire que les périodes prospères ont empêché de réfléchir et d’avancer. Quand on mesure qu’un logement locatif sur six seulement géré par un professionnel est protégé par une couverture contre les impayés, on se dit que le service est en retrait de la main.
Il n’est pas question de tomber dans le cynisme et de se réjouir des épreuves à venir. Il n’est pas question d’oublier que des entreprises souffrent déjà et souffriront. Il s’agit plutôt de ne pas se cacher que ce gros temps peut rappeler le cap à tenir et ramener à leur raison d’être les métiers de l’immobilier et ceux qui les exercent. Aux tourments économiques et immobiliers du moment, on doit reconnaître cette vertu, fût-elle la seule.
Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.
Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.
Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.