Quelles sont les différences observables entre le schéma juridique de l’indivision et celui du démembrement. Fanny Quilan , Responsable juridique et formatrice chez AXO – L’immobilier Actif rappelle les spécificités de ces ventes complexes.
Le droit de propriété est un droit réel et absolu (inviolable et sacré) constitutionnellement protégé par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, en ses articles 2 et 17. La pleine propriété se décompose en trois droits autonomes :
L’usus qui est la possibilité d’utiliser un bien ;
Le fructus qui est la faculté d’en tirer les revenus ;
L’abusus qui est le pouvoir d’en disposer.
Dans certaines situations, ces attributs sont répartis sous forme, soit d’une indivision [1] , soit d’un démembrement [2].
Le démembrement
Le démembrement est un mécanisme juridique de répartition entre des mains différentes des attributs du droit de propriété.
Dans une situation de démembrement, les attributs du droit de propriété sont répartis entre un usufruitier et un nu-propriétaire. Chacun d’eux est alors propriétaire d’un droit réel et autonome sur le bien.
L’usufruit est le droit « de jouir des choses dont un autre [le nu propriétaire] a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »[3].
Il s’agit d’associer deux droits autonomes : l’usus et le fructus.
Quoique titulaire de deux droits autonomes, l’usufruitier n’est pas propriétaire du bien.
Cet usufruit est un droit réel publié au fichier immobilier, qui ne s’éteint que dans des conditions limitées[4].
La nue-propriété est un concept du droit de propriété. Le nu-propriétaire à la propriété du bien sans en percevoir les fruits (fructus), ni même en jouir/habiter (usus), puisque ces droits appartiennent seulement à l’usufruitier. Le droit autonome du propriétaire, l’abusus, est ainsi un droit de propriété réel grevé d’usufruit.
En somme, usufruitier et nu-propriétaire n’ont pas les mêmes droits.
Le démembrement peut résulter d’une convention ou de la loi. Lorsqu’elle résulte de la loi, cette situation découle notamment du transfert de propriété s’opérant dans le cadre de la succession du premier parent décédé.
En effet, l’article 757 du code civil prévoit que, lorsque les conjoints n’ont pas réglé de leur vivant les conséquences patrimoniales de leur décès, le conjoint survivant disposera alors d’un délai de trois mois pour choisir son « option », c’est-à-dire « l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ». Le conjoint survivant aura donc le choix entre la propriété indivise du bien légué ou la propriété démembrée.
L’article 758-3 du même code précise que, sans réponse de sa part à l’expiration de ce délai, le conjoint survivant sera censé avoir opté pour l’usufruit du bien légué[5].
L’indivision
Les indivisaires sont propriétaires ensemble d’un même bien et disposent des mêmes droits.
La notion d’indivision est définie dans le dictionnaire juridique de Serge Braudo[6] comme « la situation dans laquelle se trouvent des biens sur lesquels s’exercent des droits de même nature appartenant à plusieurs personnes ».
Cette situation peut résulter d’une convention ou de la loi.
Lorsqu’elle résulte de la loi, cette situation découle notamment du transfert de propriété s’opérant dans le cadre de la succession du dernier parent décédé puisque, sauf convention contraire, le droit de propriété de ce dernier (pleine propriété ou 100% usufruit) se transmet aux héritiers directs qui deviennent ensemble indivisaires du bien légué[7].
Chaque indivisaire est ainsi titulaire des mêmes droits réels et autonomes (usus, fructus, abusus) sur le bien.
L’obtention d’une autorisation judiciaire de vente du bien
Qu’il s’agisse d’une indivision ou d’un démembrement, vous devrez obtenir la signature de tous les titulaires pour la mise en vente du bien immobilier. L’unanimité est donc la règle.
En cas d’opposition, l’obtention d’une autorisation judiciaire de vente[8] s’opèrera de manière différente selon trois situations.
Première situation : une indivision entre plusieurs indivisaires
Conformément à l’article 815-5-1 du code civil, un (ou des) indivisaire(s) pourr(a)/ont obtenir la vente du bien à la condition de :
D’exprimer à la majorité des deux tiers son/leur intention devant notaire.
Ce dernier disposera d’un délai d’un mois pour signifier cette intention à l’indivisaire réticent, lequel aura alors trois mois pour faire connaître son intention. S’il s’oppose à la vente, le notaire devra dresser un procès-verbal de difficultés ;
D’adresser une requête au tribunal judiciaire aux fins d’obtenir une autorisation de vendre en démontrant que celle-ci ne porte pas « d’atteinte excessive aux droits des autres indivisaires».
Rappelons que dans cette situation, la conciliation entre indivisaires est fortement recommandée.
Deuxième situation : une indivision entre deux indivisaires
Conformément aux articles 815-5 et 815-6 du code civil, lorsqu’une indivision regroupe deux indivisaires et qu’aucun des deux ne dispose de deux tiers des droits indivis, alors l’indivisaire demandeur ne pourra obtenir la vente du bien qu’à la double condition cumulative :
D’obtenir une autorisation judiciaire de vente ;
Et(pour obtenir cette autorisation) de justifier que le refus de l’indivisaire réticent « met en péril l’intérêt commun » ou qu’il s’agit d’une « mesure urgente que requiert l’intérêt commun ».
Troisième situation : un démembrement de propriété
Lorsqu’un bien est placé en démembrement de propriété, l’article 815-5 du code civil indique « Le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier ».
En démembrement, il n’y a aucune possibilité pour l’usufruitier, et inversement pour le nu propriétaire, d’obliger l’autre à vendre son droit. La conciliation ou le rachat des parts seront les seules solutions possibles.
On comprend ainsi que le droit de l’usufruitier et celui du nu-propriétaire sont des droits réels et autonomes qui ne peuvent subir aucun assaut, ni souffrir d’aucune décision judiciaire de vente forcée.
[7] Cette situation peut aussi résulter du choix du conjoint survivant d’opter pour la propriété du quart de l’héritage, il se retrouvera alors en indivision sur le bien légué.
[8] L’autorisation judiciaire de vente sera opposable à l’indivisaire réticent, de sorte que sa signature ne sera plus nécessaire pour la passation des actes (le prix de la vente lui sera distribué en fonction de sa quote-part).
Fanny QUILAN est responsable juridique chez AXO - L’immobilier Actif depuis 2018 et formatrice. A travers son expérience au sein du réseau AXO immobilier, elle s’est spécialisée dans les sujets juridiques relatifs à l’immobilier. Elle accompagne les conseillers de son réseau avec détermination, bienveillance et pédagogie.