Les outils d’estimation en ligne permettent d’avoir une idée générale des prix des transactions. Mais ils réservent aussi de mauvaises surprises … Caroline Theuil revient sur les fondamentaux de l’évaluation immobilière.
Même si le cheminement de l’évaluation immobilière fait intervenir des méthodes scientifiques, on reste très éloigné du principe des sciences exactes.
En effet, bien que formules et chiffres soient présents en forte proportion, ce qui importe avant tout en estimation est la démarche qui amène à la conclusion d’une valeur immobilière. Une évaluation va ainsi bien au-delà d’un simple jugé puisqu’elle exige des recherches sélectives portant sur le marché des biens considérés, la collecte de renseignements pertinents, l’application de techniques analytiques, et surtout la connaissance, l’expérience et le recul nécessaires à la mise au point d’une conclusion propre à chaque bien en raison de ses caractéristiques spécifiques.
On le sait, les outils d’évaluation en ligne restent en la matière imprécis, tirant du marché immobilier une tendance de prix plutôt généraliste. C’est exactement le terme qu’il faut retenir « généraliste » : la machine aussi intelligente soit-elle n’est pas en capacité de porter un jugement de valeur précis, humain, sur les caractéristiques du bien comparé et des biens retenus pour la comparaison.
On aura beau nous prouver par A plus B que le résultat est cohérent, le cheminement emprunté par la machine restera toujours lacunaire et c’est là que le bât blesse.
Un marché immobilier à double tranchant ?
Le prix de mise en vente d’un bien immobilier reste un prix probable auquel ce bien pourrait être vendu ou acheté. En d’autres termes, son évaluation consiste à supputer la plus forte probabilité de prix auquel il pourrait se vendre, s’il était mis sur le marché dans des conditions normales d’offre et de demande.
Mais, contrairement à ce que tendent à nous suggérer les outils d’estimation en ligne, il ne saurait y avoir une unité de prix, fût-ce sur un même marché. En effet, contrairement aux marchés boursiers, en matière immobilière, les conditions d’un marché parfait ne sont jamais réalisées, les biens ne pouvant se substituer les uns aux autres en raison de leurs différences intrinsèques.
L’observation méthodique du marché, c’est-à-dire des prix dominants constatés, sert de base pour dégager une probabilité majeure de prix qui représente la valeur du bien à estimer au moment considéré. Cette observation, rappelons-le, est réalisée selon un schéma en entonnoir qui n’admet pas toujours la même logique comportementale. À titre d’exemple, le marché national peut être dynamique, mais se révéler inversé au niveau sectoriel. Ainsi, malgré un marché porteur, la valeur d’un bien peut faire les frais d’une économie de tassement local. Sur ce point, l’analyse de la machine est plutôt cohérente, à condition que les informations dont elle a été abreuvée traduisent exactement la réalité du marché.
Mais n’en déplaise à certains, seul le professionnel de terrain reste à même de réaliser cette juste analyse du marché à l’instant T. Deux raisons peuvent être soulignées : d’une part, le professionnel maîtrise a priori les comportements de prix au sein de son territoire d’exercice. D’autre part, il reste au plus proche de la demande ce qui lui permet de mesurer l’évolution du marché par la pratique directe qu’il en a. En d’autres termes, il n’est pas contraint par les délais de traitement de l’information qui génèrent indiscutablement un décalage dans le rendu de l’information, notamment lors d’inflexions du marché.
Le choix des comparables, une question de timing
Restons lucides, la méthode la plus simple et souvent la plus efficace reste la méthode par comparaison. L’outil d’évaluation ne fait pas exception et y recourt systématiquement, sans chercher à conforter sa méthode d’évaluation.
Pour rappel, la méthode par comparaison a pour objet de comparer le bien à évaluer, à des biens similaires. Et c’est bien ici un élément subjectif mal maîtrisé par la machine, qui joue le rôle central : le terme de comparaison.
On le sait parfaitement, en matière d’évaluation, tous les termes de comparaison ne peuvent être retenus parce que tous les biens admettent des différences qui influent sur le prix de vente. Il est donc primordial de procéder à un choix méticuleux en raison d’un fourmillement de caractéristiques (date et type de construction, orientation, isolation). Force est de constater que le choix des termes de comparaison n’est pas toujours aisé et peut même s’avérer acrobatique. Une chose est certaine, il nous faut trouver la source (DVF, Perval) et s’assurer qu’elle est suffisamment révélatrice de notre tissu immobilier avant de s’en servir sereinement, démarche que l’outil d’évaluation ne fait que partiellement.
Intéressons-nous également à la source elle-même. En règle générale, et lorsque le marché est stable, cette source est plutôt probante et nous pouvons nous y fier de manière assez certaine. Charge toutefois à l’utilisateur de borner ses recherches en fonction des caractéristiques du bien à évaluer. Mais soulignons-le une nouvelle fois, seule la stabilité des échanges de biens nous permet d’affirmer le choix du prix de mise en vente. La difficulté du processus réside ainsi le plus souvent dans les délais de mise à disposition des données (environ 6 mois). Cette problématique est d’autant plus accrue lors d’un ralentissement du marché voire d’un retournement des comportements.
Dans de tels contextes, la machine est temporairement incapable d’assumer le changement avant le déversement de nouvelles données constatant, a posteriori, l’évolution. À ce moment précis, que nous reste-t-il, si ce n’est le jugement humain porté sur la réactivité du combo offre/demande ? Et c’est bien ce manque de réactivité et de maîtrise du processus d’évaluation, qui fait qu’un bien n’a pas été correctement évalué.
Caroline Theuil
Juriste, expert en évaluation et médiatrice judiciaire et conventionnelle
Titulaire d'un double master en droit, Caroline THEUIL est avant tout spécialiste des contrats immobiliers : elle dispose d'une expertise de près de 10 ans en la matière notamment auprès des personnes publiques. Elle pratique par ailleurs l'évaluation immobilière avec la particularité d'avoir une expérience, et donc une approche, à la fois fiscale et privée de la matière. Éprouvée par la dureté des contentieux, elle s'est instinctivement orientée vers l'apaisement des relations humaines. Médiatrice, elle participe ainsi aujourd'hui activement à la prévention des différends et à la résolution amiable des situations conflictuelles, que celles-ci apparaissent dans un cadre privé ou en entreprise. Forte de cette richesse professionnelle, elle est chargée d'enseignement universitaire, et forme, partout en France, des professionnels de tous horizons.
Bonjour,
Merci pour cet article. Je suis entièrement d’accord avec beaucoup de vos remarques. L’estimation est un exercice complexe faisant intervenir une multitude de paramètres et de compétences (différentes méthodes, qualité des données et retraitement, connaissance de l’état de la demande au-delà de l’offre actuelle,…). Même si beaucoup d’éléments sont mathématiques, l’expérience humaine est indispensable. J’ai écrit un article sur le sujet expliquant les risques pour un particulier d’évaluer seul un bien immobilier sans l’intervention d’un professionnel. Je vous en souhaite une bonne lecture : https://www.peter-jorgensen-consulting.com/blog/estimer-un-bien-sans-professionnel-les-risques
Bonjour et merci à tous pour ces apports très pertinents.
Christian, j’ai choisi une approche de l’évaluation très axée dans cet article, mais il va de soi que tous les éléments que vous pointez ont une incidence avérée sur la valeur des biens. Je partage parfaitement votre point de vue : nous n’y prêtons pas toujours autant d’attention que nous le devrions. J’irai même jusqu’à affirmer que certains ne savent malheureusement pas toujours de quoi il s’agit…
Très belle journée
Comme d’habitude vos analyses sont performantes mais le sujet que vous traitez sur l’avis de valeur devrait prendre en compte l’aspect juridique du bien à évaluer. En effet, le principe du choix des comparables est important et incontournable. Mais certains points doivent être évoqués qui doivent impacter une valeur. Je fais notamment allusion aux servitudes privées ou publiques, aux éventuelles donations, aux règles d’urbanisme (par exemple trait de côte), des DPE, etc…
Les avis de valeur engagent la responsabilité de ceux qui les produisent, le devoir de conseil est, malheureusement, oublié
J’ai eu trois agences et fût promoteur constructeur 40 ans et la conclusion est que la comparaison mal utilisée c’est comparer pomme et poire. En effet si l’évaluateur se borne au M2 et à la moyenne vendue dans les 6 derniers mois son estimation sera biaisée puisqu’il vendra un bien qui a peut être des vétustés énormes, des points faibles évidents et une situation différentes.
C’est aussi vrai pour la partie terrain qui accompagne le bien.
Dès lors si un vrai état des lieux technique n’est pas fait pour ajouter des bonus ou retrancher des moins values , si l’état environnementale, exposition et Peb n’est pas intégré , cela restera une mauvaise évaluation . Et souvent l’évaluateur dans sa comparaison manque de données sur les biens choisis comme témoins .
Dès lors les théories sont défaillantes et si l’expert n’est pas aguerri un minimum au domaine du bâtiment, s’il n’a pas pas de compétences minimums techniques mais seulement administratives ou juridiques sont travail restera moyen voir médiocre . J’ai assisté dans le cadre des heures obligatoires de recyclage IPI à bien des formations et quasi toutes survolait la question et ne révélait aucun outil sérieux d’expertise. Cela reste dans l’autosatisfaction, d’ailleurs dès que l’on sort de la deux ou quatre façades bien des estimateurs sont désarmés et délivre une estimation qui ne repose sur rien. C’est une constat sur le long terme et j’ai eu jusqu’à 11 agents à sensibiliser avec des réunions régulières et mensuelles. C’est juste de vécu et un témoignage.
Bonjour Caroline,
Votre article est très intéressant. En effet, le marché de l’immobilier est l’exemple type du marché imparfait.
Je me suis amusé (si j’ose écrire cela) à faire estimer un bien immobilier par 7 outils en ligne différents, en entrant les même caractéristiques (évidemment). Du prix le plus bas au prix le plus haut, il y avait 80000 € d’écart…
En réalité, ces logiciels d’estimation sont souvent réalisés par des informaticiens ayant un lointain rapport avec l’immobilier et qui écrivent des algorithmes forcément binaires. En ce qui concerne les références à prendre quand on utilise la méthode par comparaison, la difficulté consiste à relever des unités homogènes. Et là, la notion homogénéité mérite notre attention. Car elle ne regroupe pas que les caractéristiques du bien mais aussi la cible d’acquéreurs par exemple.
Excellente journée à vous.
Gilles
Merci pour cet article très intéressant qui évoque un sujet sensible. Je reste persuadé que les agents immobilier, grâce à leur expertise locale, apporte toujours une plus value aux porteurs de projets. L’immobilier est un métier de proximité, on ne le dira jamais assez 😉
Bonjour,
C’est un vrai problème qui est abordé dans cet article. Non pas en raison du petit côté « boîte noire » des méthodes d’estimation que les uns et les autres utilisent. A quelques nuances près, ce sont les mêmes méthodes. Mais justement, elles présentent presque toutes les mêmes faiblesses : rien n’est dit sur la stabilité des estimateurs statistiques des modèles construits, peu d’éléments sont (rarement) apportés sur la dispersion/variabilité des résultats présentés, … De ces points de vue, il est clair que le dire d’expert n’a rien à envier (et c’est peu dire) à ces méthodes. Surtout que la granularité des espaces géographiques traités (la pertinence des découpages géographiques retenus) laissent souvent perplexes. D’autant que le problème, le vrai et peut-être le seul et qui est passé sous silence (pas par l’article, mais par ceux qui présentent ces méthodes miracles), c’est celui de l’origine, de la qualité et de la fraicheur des données utilisées pour construire ces modèles. Et d’ailleurs, faute de données en nombre et en qualité suffisante, ces modèles utilisent presque toujours les bases fiscales ou notariales pas vraiment connues pour leur fraicheur ! Sans oublier évidemment tous les problèmes « théoriques » mais réels : les effets de grappe, la qualité des échantillonnages, la stabilité temporelle des modèles construits, … Ainsi, comme on dit bien souvent : faute de données, on va construire un modèle !
Par Jorgensen, il y a 2 années
Bonjour,
Merci pour cet article. Je suis entièrement d’accord avec beaucoup de vos remarques. L’estimation est un exercice complexe faisant intervenir une multitude de paramètres et de compétences (différentes méthodes, qualité des données et retraitement, connaissance de l’état de la demande au-delà de l’offre actuelle,…). Même si beaucoup d’éléments sont mathématiques, l’expérience humaine est indispensable. J’ai écrit un article sur le sujet expliquant les risques pour un particulier d’évaluer seul un bien immobilier sans l’intervention d’un professionnel. Je vous en souhaite une bonne lecture : https://www.peter-jorgensen-consulting.com/blog/estimer-un-bien-sans-professionnel-les-risques
Par Caroline THEUIL, il y a 2 années
Bonjour et merci à tous pour ces apports très pertinents.
Christian, j’ai choisi une approche de l’évaluation très axée dans cet article, mais il va de soi que tous les éléments que vous pointez ont une incidence avérée sur la valeur des biens. Je partage parfaitement votre point de vue : nous n’y prêtons pas toujours autant d’attention que nous le devrions. J’irai même jusqu’à affirmer que certains ne savent malheureusement pas toujours de quoi il s’agit…
Très belle journée
Par PINCI Christian, il y a 2 années
Comme d’habitude vos analyses sont performantes mais le sujet que vous traitez sur l’avis de valeur devrait prendre en compte l’aspect juridique du bien à évaluer. En effet, le principe du choix des comparables est important et incontournable. Mais certains points doivent être évoqués qui doivent impacter une valeur. Je fais notamment allusion aux servitudes privées ou publiques, aux éventuelles donations, aux règles d’urbanisme (par exemple trait de côte), des DPE, etc…
Les avis de valeur engagent la responsabilité de ceux qui les produisent, le devoir de conseil est, malheureusement, oublié
Par EMILE PARIS, il y a 2 années
J’ai eu trois agences et fût promoteur constructeur 40 ans et la conclusion est que la comparaison mal utilisée c’est comparer pomme et poire. En effet si l’évaluateur se borne au M2 et à la moyenne vendue dans les 6 derniers mois son estimation sera biaisée puisqu’il vendra un bien qui a peut être des vétustés énormes, des points faibles évidents et une situation différentes.
C’est aussi vrai pour la partie terrain qui accompagne le bien.
Dès lors si un vrai état des lieux technique n’est pas fait pour ajouter des bonus ou retrancher des moins values , si l’état environnementale, exposition et Peb n’est pas intégré , cela restera une mauvaise évaluation . Et souvent l’évaluateur dans sa comparaison manque de données sur les biens choisis comme témoins .
Dès lors les théories sont défaillantes et si l’expert n’est pas aguerri un minimum au domaine du bâtiment, s’il n’a pas pas de compétences minimums techniques mais seulement administratives ou juridiques sont travail restera moyen voir médiocre . J’ai assisté dans le cadre des heures obligatoires de recyclage IPI à bien des formations et quasi toutes survolait la question et ne révélait aucun outil sérieux d’expertise. Cela reste dans l’autosatisfaction, d’ailleurs dès que l’on sort de la deux ou quatre façades bien des estimateurs sont désarmés et délivre une estimation qui ne repose sur rien. C’est une constat sur le long terme et j’ai eu jusqu’à 11 agents à sensibiliser avec des réunions régulières et mensuelles. C’est juste de vécu et un témoignage.
Par Gilles, il y a 2 années
Bonjour Caroline,
Votre article est très intéressant. En effet, le marché de l’immobilier est l’exemple type du marché imparfait.
Je me suis amusé (si j’ose écrire cela) à faire estimer un bien immobilier par 7 outils en ligne différents, en entrant les même caractéristiques (évidemment). Du prix le plus bas au prix le plus haut, il y avait 80000 € d’écart…
En réalité, ces logiciels d’estimation sont souvent réalisés par des informaticiens ayant un lointain rapport avec l’immobilier et qui écrivent des algorithmes forcément binaires. En ce qui concerne les références à prendre quand on utilise la méthode par comparaison, la difficulté consiste à relever des unités homogènes. Et là, la notion homogénéité mérite notre attention. Car elle ne regroupe pas que les caractéristiques du bien mais aussi la cible d’acquéreurs par exemple.
Excellente journée à vous.
Gilles
Par Caroline THEUIL, il y a 2 années
Bonjour,
Merci pour vos commentaires.
Merci Michel pour la pertinence de votre intervention.
Très belle journée
Par L'Agencerie, il y a 2 années
Merci pour cet article très intéressant qui évoque un sujet sensible. Je reste persuadé que les agents immobilier, grâce à leur expertise locale, apporte toujours une plus value aux porteurs de projets. L’immobilier est un métier de proximité, on ne le dira jamais assez 😉
Par Michel Mouillart, il y a 2 années
Bonjour,
C’est un vrai problème qui est abordé dans cet article. Non pas en raison du petit côté « boîte noire » des méthodes d’estimation que les uns et les autres utilisent. A quelques nuances près, ce sont les mêmes méthodes. Mais justement, elles présentent presque toutes les mêmes faiblesses : rien n’est dit sur la stabilité des estimateurs statistiques des modèles construits, peu d’éléments sont (rarement) apportés sur la dispersion/variabilité des résultats présentés, … De ces points de vue, il est clair que le dire d’expert n’a rien à envier (et c’est peu dire) à ces méthodes. Surtout que la granularité des espaces géographiques traités (la pertinence des découpages géographiques retenus) laissent souvent perplexes. D’autant que le problème, le vrai et peut-être le seul et qui est passé sous silence (pas par l’article, mais par ceux qui présentent ces méthodes miracles), c’est celui de l’origine, de la qualité et de la fraicheur des données utilisées pour construire ces modèles. Et d’ailleurs, faute de données en nombre et en qualité suffisante, ces modèles utilisent presque toujours les bases fiscales ou notariales pas vraiment connues pour leur fraicheur ! Sans oublier évidemment tous les problèmes « théoriques » mais réels : les effets de grappe, la qualité des échantillonnages, la stabilité temporelle des modèles construits, … Ainsi, comme on dit bien souvent : faute de données, on va construire un modèle !