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« Que vont devenir les passoires ? », Michel MOUILLART

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Première mesure de la loi Climat et Résilience, le gel de l’augmentation des loyers des logements dits « passoires énergétiques » a pris son effet en aout dernier. Nombre de logements à rénover, échéances arrêtées dans les textes officiels et financements nécessaires aux rénovations, Michel Mouillart Professeur d’Economie, FRICS dresse un état des lieux complet de l’application de la Loi Climat et Résilience .

photo : Energieberatung

Depuis le 24 août dernier, il n’est plus possible d’augmenter le loyer des logements les plus énergivores, ceux classés F et G par le « nouveau DPE » et couramment qualifiés de « passoires énergétiques ». Une des premières mesures de la « Loi Climat et résilience » (dite aussi « Loi Climat ») du 22 août 2021 dont le but déclaré est d’accélérer la rénovation de ces logements très énergivores, car mal isolés ou dotés d’un système de chauffage mal adapté. Car dès le 1er janvier 2023, les logements classés G et consommant plus de 450 kWh/m²/an (les « pires » passoires thermiques, dont le nombre est estimé à 140 000 unités) ne pourront plus être loués. Puis l’interdiction s’appliquera à l’ensemble des logements classés G à partir du 1er janvier 2025. L’interdiction étant élargie aux logements classés F à partir du 1er janvier 2028 et à ceux de la classe E dès le 1er janvier 2034.

Très commentée, cette première étape prévue par la « Loi Climat » a souvent été vue comme un puissant message adressé aux propriétaires afin qu’ils engagent rapidement les travaux de rénovation énergétiques nécessaires pour remettre les logements aux normes. Soit, mais compte tenu du nombre de logements concernés, de leur localisation, des niveaux de loyers pratiqués, … il est fort probable qu’un problème bien vu lors de la 1ère véritable tentative de chiffrage de la population des logements énergivores dès 2008 se posera rapidement : ces logements abritant des ménages très modestes ne disposant que rarement de solutions de logement alternatives (et les revenus suffisants), ne serait-ce qu’en raison de la quasi inexistence de logements sociaux sur les territoires concernés, que faudra-t-il faire des occupants actuels ?

En outre, on peut remarquer que compte tenu du nombre de passoires thermiques estimé (5.2 millions de logements, dont plus de 2.0 millions classés G), la situation étant connue depuis nombre d’années par les décideurs publics et faute d’une véritable stratégie de massification de la rénovation énergétique, il ne restait que peu de solutions pour venir à bout de cette mauvaise situation.

Une approche ambitieuse

 La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dite « Loi de transition énergétique » (LTE) avait été présentée comme une loi « d’action et de mobilisation ». Elle se voulait ambitieuse dans ses objectifs : « La France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes » (Titre II, Article 3). Et précise dans leur réalisation : « Avant 2025, tous les bâtiments privés résidentiels classés F ou G … doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique » (Titre II, Article 5).

Déjà, cette question des logements « les plus énergivores » avait été inscrite parmi les préoccupations du « Grenelle de l’environnement » (juillet à octobre 2007), face à « la nécessité d’améliorer la performance thermique moyenne des logements et de traiter en priorité les logements les plus déperditifs en raison notamment de leur impact sur le budget des ménages concernés ». Et dès janvier 2008 un premier essai de chiffrage avait été réalisé pour le compte de l’Anah : 6.4 millions de résidences principales étaient alors considérées comme « énergivores » (7.7 millions en incluant les résidences secondaires et les logements vacants) représentant 24 % du parc de logements correspondant ; la quasi-totalité de ces logements énergivores relevant du seul secteur privé, moins de 150 000 logements locatifs sociaux présentant une étiquette F et G.

Certes, le chiffrage présenté avait pu paraître fragile au plan de la méthode. Pour autant, ce chiffrage va être largement utilisé afin d’évaluer la pertinence (et même la faisabilité budgétaire et financière) de l’objectif quantitatif de la LTE : 500 000 logements par an auraient dû faire l’objet d’une rénovation énergétique à partir de 2017 et jusqu’en 2030, dont 120 000 logements locatifs sociaux, 50 000 logements locatifs privés et 330 000 logements occupés par leurs propriétaires (dont 200 000 maisons individuelles par an). L’effort retenu dans la LTE pouvait donc paraître insuffisant pour permettre la disparition des 6.25 millions de résidences principales énergivores du parc privé à étiquettes F et G d’ici 2030 : il aurait fallu au moins 450 000 rénovations énergétiques par an pour résorber ce parc (voire 540 000 en incluant les résidences secondaires et les logements vacants).

L’objectif de la LTE concernant la rénovation du parc privé n’était guère ambitieux : et que dire de l’objectif concernant le parc locatif privé, puisqu’avec 50 000 rénovations énergétiques par an, il aurait fallu 34 ans au mieux (et non pas 14 ans) pour éradiquer les étiquettes F et G ! Il est vrai que la question du chiffrage des montants et du financement des travaux à réaliser sur ces logements n’avait pas été traitée, ou plutôt avait été volontairement négligée. Alors que l’objectif annuel de rénovation énergétique du parc locatif social affiché par la LTE était volontaire et les moyens mobilisés pour cela à la hauteur, avec 120 000 logements chaque année entre 2017 et 2030 … faisant qu’en 18 mois (au plus) l’affaire aurait dû être réglée.

Mais la réalité des nombres

L’absence d’ambition de la LTE concernant le parc privé a d’autant plus pesé sur le rythme de la rénovation énergétique que dans le même temps, le financement des travaux réalisés par les ménages avec des crédits immobiliers et qui avait durant de nombreuses années permis une amélioration sensible de la qualité des logements (dont leurs performances thermiques) est devenu plus difficile à obtenir.

Après deux crises économiques majeures et les remises en cause du PTZ dans l’ancien, les opérations les plus lourdes réalisées lors d’une acquisition-amélioration n’ont guère bénéficié de l’expansion du marché de l’ancien constatée dès 2015. Le lien longtemps constaté (et souvent invoqué pour « prédire » une reprise du marché des travaux) entre l’achat du bien et la réalisation des travaux s’étant durablement distendu. Quant au marché des travaux seuls financés par des crédits immobiliers, l’effondrement de l’activité s’est produit comme attendu à partir de 2014 : puisqu’à partir de cette date la quasi-totalité des travaux d’entretien-amélioration ne pouvait plus être financés par des crédits immobiliers.

Et au global, l’ensemble du marché des travaux d’amélioration-entretien réalisés à crédit a connu un recul spectaculaire qui, entre 2014 et 2018 (et donc aujourd’hui), c’est traduit par un recul de plus de 50 % du nombre des opérations financées.

Dès lors, il paraissait difficile de faire comme si l’effort d’amélioration du parc était sur la bonne voie, qu’il s’agisse de l’ensemble de travaux d’amélioration-entretien ou des seuls travaux de rénovation énergétique réalisé dans le parc privé. Même si depuis, les dispositifs publics d’aide ou de soutien à la réalisation des travaux de rénovation énergétique se sont « modernisés » (comme avec la création de MaPrimRénov’), en permettant notamment de mieux contrôler les flux de ressources budgétaires dédiées.

En affinant le précédent chiffrage du nombre de logements énergivores, le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) a permis d’éclairer un peu plus l’ampleur des engagements (budgétaires et/ou financiers) qu’il faudrait envisager en présentant (en septembre 2020) une photographie des performances énergétiques du parc de logements au 1er janvier 2018 :

  • 8 millions de résidences principales sont désormais considérées comme très énergivores (étiquettes F et G du DPE), soit 16.8 % du parc correspondant. Les logements étiquetés G représentent alors 6.0 % du parc (1.7 million d’unités) ;
  • ces logements très énergivores maintenant clairement qualifiés de « passoires thermiques » se trouvent essentiellement au sein du parc privé : ils sont 4.5 millions (18.7 % du parc privé), dont 1.6 million étiquetés G (7.1 % du parc privé) ;
  • plus précisément, le nombre de passoires s’établit à 1.7 million dans le parc locatif privé (22.8 % de ce parc), dont 0.7 million étiquetés G (9.5 % de ce parc) ;
  • alors que dans le même temps, le parc locatif social qui a largement bénéficié des aides et des financements publics pour se « mettre aux normes », ne compte que 328 000 passoires (dont 73 000 avec étiquette G), soit 7.1 % du parc correspondant (respectivement, 1.6 %).

Il n’est guère étonnant que l’essentiel des passoires relèvent du parc privé. Et compte tenu de la faiblesse des loyers du parc privé constatée sur une large partie du territoire (et dont la réalité est fort opportunément occultée par la situation des marchés locatifs des grandes agglomérations) et de la défaillance des soutiens publics à l’amélioration de ces logements (s’accompagnant du « recentrage » vers plus de « social » et d’un « verdissement » bien venu), la situation thermique de ce parc n’aurait pas dû surprendre ! D’autant que comme le CGDD le souligne, « la part des logements très énergivores … est à l’inverse la plus élevée dans certains départements ruraux et/ou montagneux (plus de 40 % dans la Nièvre et la Creuse, et jusqu’à 46 % dans le Cantal) » : donc, sur ces territoires fréquemment considérés comme  trop longtemps « abandonnés par la République ».

Un constat statistique très inconfortable

Une politique de construction plus ambitieuse aurait probablement permis de renouveler plus largement le parc de logements (dont le taux de renouvellement est particulièrement bas depuis la fin des années 70), en permettant de promouvoir un parc faiblement énergivores et donc le remplacement des passoires thermiques (à raison, par exemple, de plusieurs dizaines de milliers de logements chaque année, notamment en milieu rural, …). D’autant que si jusqu’alors (c’est-à-dire avec le DPE ancienne version) les pouvoirs publics estimaient à 4.8 millions le nombre de passoires thermiques au sein du parc de résidences principales (16.8 % du parc), la mise en place du nouveau DPE a révelé une situation nettement plus critique.

Le nouveau chiffrage du nombre de passoires présenté en juillet 2022 par l’ONRE (Observatoire national de la rénovation énergétique) présente une situation plus dégradée que celle proposée en septembre 2020 par le CGDD et, au final, assez proche de celle décrite par l’Anah en 2008.

Il y aurait en France 7.2 millions de passoires thermiques (19.5 % du parc de logements), dont 712 000 « très énergivores ». Si on se limite au seul parc des résidences principales, 5.2 millions de passoires ont été « identifiées » statistiquement (17.3 % du parc correspondant). L’essentiel des passoires se retrouvant, comme cela semble logique, dans le parc privé : 1.6 million dans le parc locatif privé (19.8 % de ce parc, dont 140 000 logements très énergivores) et 3.1 millions dans la parc des propriétaires occupants (18.3 % de ce parc, dont 320 000 logements très énergivores).

La situation paraît donc particulièrement dégradée, après plusieurs décennies de rapports, d’actions déterminées de l’Etat et de ses agences, de modernisation des outils d’intervention …

Déjà, avec l’ancien DPE et compte tenu des interdictions programmées de mises en location dans le parc privé (les classes F et G à l’horizon 2028), l’effort de rénovation énergétique qui devait être consenti d’ici 2028 était énorme. Avec le nouveau DPE, la situation est clairement ingérable eu égard aux moyens budgétaires mobilisés par l’Etat sur ce dossier : 1 5790 000 passoires thermiques (dont 140 000 logements très énergivores) représentant 19.8 % du parc correspondant, soit plus de 300 000 logements en 5 ans à « rénover » si aucun retard n’était pris dans la mise en œuvre d’un « ambitieux programme d’actions » !

L’objectif était clairement intenable, tant au plan budgétaire qu’au plan financier. Sans même évoquer les conséquences de la hausse des coûts de l’amélioration-entretien qui depuis le début de l’année 2021 ébranle tous les équilibres économiques des opérations envisagées/envisageables, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur social. Aussi l’éradication d’un parc énergivore était apparemment plus facile à réaliser par la coercition que par l’incitation.

Vers la fin des passoires ?

De multiples difficultés économiques risquent donc de contrarier la réalisation de l’objectif d’éradication des passoires thermiques dans le parc locatif privé. Comme d’ailleurs d’autres avaient dû entraver la réalisation du projet porté par le « Plan Bâtiment Durable » qui ambitionnait en 2018, dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique, « d’éradiquer, d’ici dix ans, 1.5 million de passoires thermiques détenues par les ménages modestes, ce qui conduit à viser un rythme de 150 000 rénovations de ces passoires par an ».

D’autant que la réalisation de l’objectif de la « Loi Climat » concernant le parc locatif privé aurait dû s’accompagner d’une action forte et volontaire afin d’apporter une réponse à la question lancinante déjà posée lors du chiffrage de 2008 presenté par l’Anah : quelle sera l’offre alternative de logements qui devra (très probablement) être faite, d’ici 2025, aux 292 000 ménages pauvres et très modestes qui occupent aujourd’hui les logements de la classe G ; et aux 689 000 ménages pauvres et très modestes logés dans les passoires thermiques d’ici 2028 ?

Michel Mouillart

Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement.

L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011.

En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001.

Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015).

Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère.

Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement.

Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.
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