Dans l’immobilier aussi, ce qui est rare et inaccessible peut se vendre plus vite et plus cher. Parlons du marketing de rareté.
Aujourd’hui, les individus ont l’habitude d’avoir le choix. Le choix des candidats pour lesquels ils peuvent voter, des personnes avec lesquelles ils peuvent se marier, des produits qu’ils peuvent acheter, des services qu’ils peuvent commander. En fait, c’est tout le panel de leurs actes qui ouvre une myriade d’options possibles. Alors, comment font les entreprises et les marques pour être plus attractives que leurs concurrents ? Le marketing et la publicité ont justement pour objectif de réduire ce champ des possibles afi n d’orienter les décisions des consommateurs vers certains biens et services. Parfois, leur stratégie peut même aller jusqu’à supprimer la possibilité de choisir, en annonçant notamment qu’un produit ou qu’un service n’est accessible qu’en quantités limitées, voire qu’il n’est plus disponible. C’est ce que l’on appelle le « marketing de la rareté ».
«En ne cherchant pas à faire des affaires, vous obtiendrez encore plus d’affaires»
Contrarier les possibilités pour susciter l’envie
« Désolé, j’ai déjà reçu une offre pour ce bien », « Cette maison n’est plus à vendre, un autre acheteur s’est positionné », etc. Réelle ou inventée, la rareté, lorsqu’elle est utilisée par les agents immobiliers, peut avoir des effets importants sur l’attractivité et la désirabilité d’un bien auprès des acheteurs potentiels. Tout comme dans les jeux amoureux, plus la cible est inaccessible, plus son intérêt est fort. Ce mécanisme psychologique s’explique assez bien. Tout individu a instinctivement un désir de liberté dans ses choix et toute entrave à ses envies peut devenir difficile à supporter. Cette crainte de la frustration commence d’ailleurs très jeune. Déjà tout petit, l’enfant a du mal à accepter le « non ! » de ses parents. L’apprentissage du refus et l’acceptation de la règle se font souvent dans les pleurs. Dans le même ordre d’idées, de nombreux psychologues ont théorisé la transgression de l’interdit pour lequel il existe une réelle jouissance au simple fait de braver l’entrave. Il suffit parfois d’énoncer un interdit pour que l’enfant veuille l’enfreindre.
Plus tard, l’adulte citoyen est supposé comprendre et accepter l’existence de règles qui limitent sa liberté et lui permettent de vivre en société. Et pourtant, cet adulte garde toujours en lui une trace de l’enfant qu’il était lorsqu’il est en situation de choix. Il peut retrouver ce sentiment de frustration lorsque son option d’achat est contrariée. Prenons plusieurs exemples : dans une boulangerie, le gâteau déjà réservé nous semble souvent plus appétissant que les autres ; au vernissage d’une galerie, un point rouge sur les tableaux (signifiant que l’œuvre vient d’être réservée) crée le sentiment d’avoir manqué une opportunité. Le simple fait de voir « édition limitée » ou « plus que 2 articles en stock » suscite l’envie quasi irrépressible d’acheter vite. Le client est alors davantage motivé par le désir que l’autre éprouve pour le bien, que par le bien lui-même. Dans un autre registre, tous ceux qui ont longuement attendus devant un restaurant en vogue ou qui ont été refusés à l’entrée d’une boîte de nuit ont déjà fait l’expérience de cet inconfort et de cette recherche d’exclusivité.
C’est ce que, en psychologie, la théorie de la réactance démontre bien : le désir croît à mesure du sentiment d’inaccessibilité. Alors que la tendance est aujourd’hui principalement à l’abondance et au « tout, tout de suite », la création de la rareté, voire l’impossibilité d’acheter, peut s’avérer être une stratégie fructueuse dans tous les domaines, y compris l’immobilier.
«Réelle ou inventée, la rareté lorsqu’elle est utilisée par les agents immobiliers peut avoir des effets importants sur l’attractivité et la désirabilité d’un bien.»
Le marketing de la rareté
Une des stratégies en marketing immobilier consiste à mettre en avant le fait qu’un bien est fortement désiré, et qu’il risque d’être vendu très vite si le client potentiel ne l’achète pas rapidement, voire immédiatement. Vous le savez, les fameuses mentions «bien rare» ou «à saisir» dans les annonces immobilières ne sont pas anodines pour piquer la curiosité des acheteurs potentiels ou simples promeneurs passant devant la vitrine d’une agence.
Appelée parfois « l’anti-vente », cette technique consiste à semer le doute dans l’esprit des clients sur l’accessibilité d’un bien à vendre, ou sur leur capacité à l’acheter. Son objectif : faire jouer le désir de possession, voire parfois même, titiller l’orgueil des acheteurs. Elle a notamment été utilisée par un promoteur immobilier de Londres, qui avait annoncé que l’accès aux appartements en vente serait très restreint : les clients seraient sélectionnés uniquement sur la base de leur profil professionnel, autrement dit, sur leur capacité à avoir réussi dans la vie. L’annonce ayant fait le buzz, l’idée que certains acheteurs ne pas seraient assez « successful » s’est répandue et la liste des candidats à l’achat s’est allongée de manière vertigineuse. Prenons aussi le cas de ce courtier qui a refusé de vendre un immeuble de prestige à un acheteur se faisant de plus en plus insistant. Quelques mois plus tard, il aura finalement vendu le bien au double de son prix. Comme dirait un agent immobilier célèbre aux ÉtatsUnis : « By not going after the deals, you get more deals », soit « En ne cherchant pas à faire des affaires, vous obtiendrez encore plus d’affaires ».
Toutefois, attention à bien maîtriser cette stratégie. D’une part, elle est susceptible d’être réellement efficace et pertinente surtout avec des biens de prestige ou d’exception, et/ou dans les zones tendues en pénurie de biens. D’autre part, pour les professionnels de l’immobilier, il s’agit également de bien identifier les clients qui seront les plus sensibles à la frustration, sans risquer de les perdre. C’est ici que les qualités d’observation, d’analyse et d’adaptation d’un agent immobilier peuvent faire la différence pour parvenir aux plus belles ventes .
Sources : Amarnath, D. D., & Jaidev, U. P. (2021). Toward an integrated model of consumer reactance : a literature analysis. Management Review Quarterly, 71(1), 41-90.
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.