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« FF2i 2021 : une rencontre autour de l’expérience », Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

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La rencontre FF2I fut un moment de bonheur, un état de grâce après une pandémie qui nous a privé de moments festifs et pour ce qui me concerne de relations professionnelles.  Un an de cours en zoom, de colloques en visio, de soutenances à distance, un an enfermée dans une tour d’ivoire m’a faite prendre conscience que l’on ne peut être heureux dans une société du tout numérique.  Le lien social, le contact physique ne sont autre que le barycentre de notre existence et la pandémie au fond nous a donné une leçon de vie et d’humanisme.

photo : nathalie gardes 2

L’évènement FF2I a été pour moi un triple voyage. Physique, parce que l’évènement se déroulait dans les locaux de La Boite Immo à Hyères.  Mental, puisqu’il m’a été donné le rôle d’animer deux tables rondes sur le thème de l’expérience. Sensoriel, parce que les locaux de La boite Immo cosy, épuré, design était un moment d’apesanteur, on ne pouvait rêver mieux pour parler d’expérience.

Merci à Stephane Anfosso, Olivier Alonso, Aurélien Flament, Stéphane Fritz, Yann Jehanno, Alain Letailleur, Audrey Pierson, pour les échanges qui ont induit ces quelques réflexions. Merci à Olivier Bugette pour son accueil.

L’expérience… une trace émotionnelle

« Les gens ne se souviennent pas toujours de ce que vous ne dites ni même de ce que vous faites, mais ils se souviennent toujours de ce que vous leur avez fait ressentir. » Maya Angelou.

Si l’expérience client est aujourd’hui au centre de l’attention des professionnels, l’idée du marketing expérientiel n’est pour autant pas nouvelle puisqu’elle a fleuri au début des années 2000, à partir des travaux de Pine et Gilmore sur un terreau plus ancien, celui de Holbrook et Hirchman (1982). Sans doute le concept était à cette époque trop novateur pour qu’il retienne l’attention des professionnels.

Terme assez galvaudé, il n’est pas inutile de rappeler que dans l’idée de ses fondateurs l’expérience est une trace émotionnelle issue de l’ensemble des interactions que le client a pu avoir lors de son parcours d’achat. Elle désigne donc une nouvelle catégorie d’offre marketing que l’entreprise orchestre. Pour les professionnels de nos tables rondes, elle retrace le vécu des clients lors de leur parcours d’achat.

L’atmosphère du point de vente (design, température, musique, odeur, personnel en contact), l’interface de service (site, applications…) sont des éléments structurants de l’expérience du consommateur, et les technologies numériques en jouant sur les différents leviers cognitif, sensoriel, affectif et social de l’expérience offrent un potentiel important de son enrichissement. Aujourd’hui considéré comme le graal qui permettrait d’atteindre la performance, les professionnels en conviennent, l’expérience client doit être mesurée pour la piloter ou la contrôler.

….que la satisfaction ne mesure qu’imparfaitement

Les échanges autour des deux tables rondes m’ont fait prendre conscience du glissement facile de la réduction de la mesure de l’expérience par une mesure de la satisfaction et les déductions trop hâtives que l’on pourrait en faire.

Une question se pose : Être satisfait serait-il réellement le résultat d’une bonne expérience ? ou dit autrement la satisfaction est-elle la conséquence d’une bonne expérience ? Oui diront les professionnels interrogés, même s’ils reconnaissent qu’il s’agit d’une mesure indirecte et approximative.

Le moment était mal choisi pour donner trop de théorie, toutefois il me semble qu’un petit rappel s’impose pour bien comprendre le risque de déduire d’un niveau de satisfaction le reflet d’une expérience client.

La satisfaction peut s’appréhender de bien des façons, mais nous resterons ici au plus simple et au modèle le plus fondamental, celui de la confirmation (ou non) des attentes initiales.

Dans ce modèle, la satisfaction n’est autre que le résultat d’un processus cognitif qui compare une expérience de consommation à des attentes. Lorsque l’expérience correspond voire dépasse les attentes, le client est satisfait. Cette mise en équation théorique nous fait comprendre qu’un score de satisfaction est insuffisant pour mesurer l’expérience puisqu’il dépend des attentes. L’expérience pourrait être bonne mais avec des attentes initiales très élevées, la satisfaction pourrait ne pas être au rendez-vous.

Par ailleurs, quand bien même la satisfaction pourrait être considérée comme le résultat d’une bonne expérience, il semble difficile de rendre compte de l’expérience que vivent les clients à travers une enquête de satisfaction. Un manque de luminosité, de mauvaises odeurs par exemple sont des éléments de détails qui dévalorisent l’expérience et ne sont pas mesurés.

A juste titre les acteurs immobiliers présents à la table ronde pointent l’intérêt du Net promoteur score en complément de la mesure de la satisfaction pour mesurer l’expérience. Cet indicateur étant, pour ses valeurs extrêmes à tout le moins, un bon prédicteur du comportement client pourrait pallier l’insuffisance d’une mesure de la satisfaction pour approximer l’expérience vécue selon les professionnels. Mais l’affaire n’est pas si simple.

La problématique de la mesure de l’expérience est complexe parce que hautement subjective et multidimentionnelle. Certains auteurs en marketing considèrent que pour qu’une expérience soit bonne, il faut que ce soit facile. Plutôt que de s’intéresser à la satisfaction, Il convient donc de se concentrer sur la réduction des efforts du client, résoudre leurs problèmes et s’attacher à l’aspect émotionnels des interactions. Le Customer Effort Score, conjoint au Net promoteur score constituent à ce titre des indicateurs intéressants de l’expérience client.

Mais ces indicateurs synthétiques sont à eux seuls insuffisants. Comprendre et améliorer l’expérience vécue, la comparer avec l’expérience désirée par l’entreprise nécessite d’écouter et d’apprendre des clients contrariés (réclamation ou mauvais commentaires). Couplés à des audits de clients perdus ou tout simplement à des audits d’expérience, l’entreprise dispose alors de la boite à outils nécessaire pour mettre en lumière les difficultés rencontrées lors de l’expérience de service et détecter les incidents critiques vecteurs de mauvaise image.

Encore aujourd’hui, l’expérience d’achat génère beaucoup trop d’efforts et d’émotions négatives

Les acheteurs déplorent la complexité de la recherche : difficulté à trouver les infos pertinentes, des critères de sélection des biens insuffisants pour faciliter le tri, difficulté à scanner l’ensemble du marché (aucun portail n’a une offre exhaustive, présence de nombreux doublons) ou à recevoir des propositions d’offres adaptées à ses attentes.  Le parcours d’achat n’est donc pas toujours très fluide. Il est par ailleurs extrêmement chronophage et anxiogène. A ce manque de fluidité se surajoute souvent un défaut d’accompagnement (manque de suivi et de réactivité ou de souplesse de la part des professionnels). Bref la recherche et l’achat immobilier- parcours du combattant – génère beaucoup d’émotions négatives. Pour le vendeur, le parcours est plus simple : un nombre de professionnel limité et fixe, une offre de service quasi identique, l’existence de comparateurs, avis, notations simplifie la prise de décision.

Conscients de ces difficultés les professionnels présents ont témoigné s’être engagé à améliorer l’expérience de leur client depuis plusieurs années. Coté agences, en travaillant sur les facteurs qui circonscrivent l’atmosphère du point de vente :  le design (agencement, équipement, confort), l’ambiance (éclairage, propreté, bruits, odeurs) et le comportement des conseillers (formation). L’objectif est d’améliorer l’accompagnement émotionnel du client et de rendre leur parcours plus agréable.

Les portails de leur côté ont travaillé sur l’enrichissement du contenu informationnel des offres (géolocalisation, diagnostics, informations sur le quartier, indicateur d’ensoleillement…), les services associés (prise de rendez-vous ; estimation en ligne, simulation de crédit…) et l’amélioration de la qualité des annonces (plan 3D, qualité des reportages photos….) sur leur site. Sur ce dernier point les acteurs ont souligné le problème de la dépendance partielle des portails envers leur partenaires agents immobiliers.

L’IA un levier potentiel d’amélioration de l’expérience d’achat immobilier ?

S’il s’agit de faire en sorte qu’à la prochaine occasion le plaisir du client soit intense et son effort plus léger, l’IA pourrait jouer à l’avenir un rôle important.

L’intérêt principal de l’IA pour les portails serait de produire de l’information contextualisée en continue et de la projeter en temps réel au client (propositions d’offres ou d’informations adaptées par exemple). Elle permettrait un supplément de qualité par la sophistication des systèmes de recommandation (appariement intelligent à partir de l’établissement de style de vie) et une fluidification du parcours. Les professionnels reconnaissent que la data devient l’or noir de la profession et les portails généralistes bénéficient d’un avantage certain sur ce point.

Toutefois, si une amélioration de l’expérience peut être attendue, l’IA a ses limites. Fondés sur le comportement passé de l’utilisateur, les algorithmes permettent de proposer une offre adaptée au profil d’intérêt du client mais ne remplace pas l’intuition et l’inspiration d’un humain pour proposer des offres pertinentes. Ajoutons que, parce qu’ils s’appuient uniquement sur des comportements passés, ces algorithmes sont par nature incapables de prédire des ruptures, des changements brusques bouleversant la vie des consommateurs.

Pour les agences l’intérêt de l’IA est l’amélioration de la qualité de service : Chabot, assistant virtuel intelligent, analyseur d’emails peuvent servir la relation et rendre plus efficace le collaborateur en contact (libéré tâches chronophages).  La relation gagnera en empathie avec une pleine présence humaine. Avec un collaborateur augmenté, les clients pourraient découvrir une autre façon d’être pris en charge.

Se pose dès lors la question des compétences requises. Au-delà des soft skill nécessaires, la compétence qui devient essentielle est celle relative à la capacité d’une personne à travailler avec une interface humain-machine. Si l’IA est la clé pour libérer l’intelligence émotionnelle au sein de l’entreprise cela n’est possible qu’à la condition que l’homme soit capable de tirer profit de l’efficacité de la machine.

On retiendra

La satisfaction est une mesure imparfaite de l’expérience. Le niveau d’effort du client et l’analyse des avis, commentaires et réclamations des clients permettent de capter l’expérience vécue. On notera au passage que l’attention portée aux clients déçus sont d’une importance certes pour améliorer et comprendre l’expérience vécue mais également pour agir sur la fidélité. Un client insatisfait que l’on a su entendre devient un prescripteur.

L’expérience client retrace l’ensemble de son parcours : les portails et les agents immobiliers doivent agir ensemble pour l’améliorer.

L’IA est un vecteur d’amélioration de l’expérience mais l’intelligence humaine est essentielle pour intégrer la complexité, l’intuition, les dimensions émotionnelle et relationnelle dans la prise de décision.

 


Pine B. J., Gilmore J., The Experience Economy : Work is Theatre and Every Business a Stage, HBS Press, Harvard, 1999.

Holbrook M. B., Hirschman E. C., “The Experiential Aspects of Consumption : Consumer Fantasy, Feelings and Fun”, Journal of Consumer Research, vol. 9, n° 2,1982, p. 132-140.

 

 

 

Nathalie Gardes

Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches.
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.

Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.
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