En France, le viager souffre d’une mauvaise image. Des facteurs tant rationnels qu’émotionnels permettraient de le rendre populaire.
Que penserait-on d’un système dans lequel les propriétaires peu fortunés pourraient utiliser leur capital immobilier pour vivre mieux et faire plus facilement face aux aléas de la vie ? Un système qui leur permettrait et, en même temps, de toucher un capital de départ et une rente mensuelle à vie, tout en profitant de leur maison comme ils l’entendent ? Ce système paraît idéal, notamment pour les (papy)boomers qui souhaitent profiter à plein de leur retraite. Faire des projets, investir dans leurs passions, aider leurs enfants à acquérir leur résidence principale et les petits-enfants à payer leurs études, etc. Ce système existe. Mais, en France, il est peu développé car il aurait une… mauvaise image ! Il s’agit du viager.
D’un point de vue macro, ce mécanisme apparaît comme une recette miracle : il permet d’injecter du pouvoir d’achat, notamment dans les territoires défavorisés où les retraités sont très souvent propriétaires. De fait, le patrimoine mis en viager aujourd’hui ne représente que 0,2 % des 1 000 milliards d’euros de logements appartenant aux retraités. Sa répartition est par ailleurs très inégale. La moitié de ce patrimoine en viager se trouve dans seulement cinq départements (Paris et Côte d’Azur principalement). Les personnes âgées vivant dans les quatre-vingt-onze autres départements du pays, qui en auraient le plus besoin, bénéficient en revanche très peu de cette possibilité. Ils vivent souvent dans le besoin, sans profiter de cette richesse immobilisée.
Des analyses rationnelles
Il est donc important de comprendre les raisons de l’échec apparent du viager, et notamment les réticences des vendeurs potentiels. Nous avons mené une recherche spécifique, en partenariat avec le réseau Renée Costes Viager : vingt retraités propriétaires ont été interviewés pour connaître leurs freins et motivations au viager. Les résultats des analyses montrent que les propriétaires se représentent le viager sous quatre grands registres narratifs différents. Le premier est celui de la rationalité : certains considèrent qu’il s’agit d’une manière simple et rationnelle de rendre disponible son capital et de bénéficier d’un revenu supplémentaire pour s’offrir une sécurité sur le long terme et faire face aux éventuels risques financiers à venir (dépendance, départ en maison de retraite, etc.). Mais – deuxième registre – des erreurs d’analyse apparaissent parfois. Par exemple, les vendeurs ne sont pas sûrs que ce soit une opération financièrement rentable (alors qu’elle l’est), notamment du fait de la comparaison hasardeuse avec une vente classique, car ils négligent la valeur de la possibilité de rester dans leur maison ; en fait, le prix du viager est calculé de manière rationnelle par le barême Daubry qui intègre l’espérance de vie. Dans ce cadre, la vente en viager est clairement profitable pour le vendeur.
«Le patrimoine mis en viager ne représente que 0,2 % des 1 000 milliards d’euros de logements appartenant aux retraités.»
Un ressenti d’ordre affectif
Les derniers registres sont émotionnels : les vendeurs utilisent des émotions positives pour exprimer qu’ils seront heureux de pouvoir rester chez eux et soulagés d’avoir des liquidités qui leur permettent de se faire plaisir au quotidien. Mais ils mentionnent aussi des émotions négatives, comme le sentiment de ne plus vraiment être chez soi, l’impression de déshériter ses enfants et finalement la difficulté à devoir faire face à « sa propre mort », entrant dans un jeu trouble avec leur probable date de mort.
Tous ces registres narratifs ont été compilés dans un questionnaire qui a été envoyé à 380 vendeurs âgés en moyenne de 75 ans. Les modèles statistiques montrent que les émotions positives, à l’appui des analyses rationnelles, constituent le registre qui explique le mieux la décision de vendre en viager. Nous démontrons donc que ce sont les émotions positives projetées qui guident les décisions de donner mandat de vente.
«Les retraités d’aujourd’hui, qui sont devenus propriétaires tout au long de leur vie, ont entraîné une hausse des prix immobiliers inédite.»
Les fonds d’investissement au secours du viager
Du côté des acheteurs et des investisseurs, l’attrait du viager apparaît aussi problématique. Il est souvent perçu comme trop risqué. l’histoire de Jeanne Calment, la doyenne de l’humanité, qui a connu Van Gogh et enterré le notaire qui avait acheté sa maison en viager, est fortement ancrée dans la conscience collective. De fait, le viager est fortement perçu comme un pari un peu obscène sur la mort d’un pauvre retraité. Curieusement, l’héritage des biens après le décès l’est moins…
Finalement, vendre en viager permettrait aux personnes âgées des zones rurales de mieux vivre au quotidien et de pouvoir rester chez elles dans de bonnes conditions. Cette situation serait aussi bénéfique à l’économie locale. Ce faisant, les transferts financiers entre
générations seraient favorisés. Les retraités d’aujourd’hui, qui sont devenus propriétaires tout au long de leur vie, ont entraîné une hausse des prix immobiliers inédite : la valeur du parc français est passé en vingt ans de 2 500 à 6 000 milliards d’euros. Les vendeurs pourraient ainsi transmettre directement à leurs enfants le capital touché à la signature – le « bouquet » – sous forme d’héritage et ce avant l’âge moyen de succession (52 ans). Mais le salut du viager viendra peut-être des fonds d’investissement qui portent sur une multitude de biens, limitent les risques et évitent les relations directes entre vendeurs et acheteurs. Avec 8 % de rentabilité, la prospection de viagers s’oriente en priorité vers les territoires attractifs, à la fois bien connectés et associés à une vie plus saine. Ces fonds d’investissement pourraient rééquilibrer les politiques de métropolisation à la faveur d’un retour en grâce des villes moyennes et des villages ruraux. La finance au service de la solidarité territoriale et intergénérationnelle ? C’est peut-être une des facettes du monde d’après.
Sources : J-B Coulomb et F Larceneux « Reversing the «house rich cash poor » situation : The role of reasoning and emotion when selling a house en viager », Revue Economique, A paraître. J-B Coulomb, R Languillon et A Simon, « Le viager en France : un dispositif au service du développement des territoires vieillissants ? ». Revue d’Economie Régionale et Urbaine. A paraître.
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.