Les condamnations de professionnels en matière de surévaluation des biens immobiliers sont relativement rares, faute de procédure ; mais les rares décisions sont porteuses de sens en ce qu’elles rappellent les devoirs de conseil et la déontologie.
La Cour d’Appel de Rouen a rendu le 25 mars 2021 un arrêt particulièrement sévère en ce qu’il sanctionne lourdement la surévaluation d’un bien par un professionnel.
Rappel des faits
En 2012 une agence immobilière évalue un bien immobilier à hauteur de 400 000 €. Les propriétaires du bien, ravis de cette estimation, font l’acquisition auprès de ce professionnel d’un autre bien immobilier et contractent un prêt relai dans l’attente de voir leur bien vendu par ce même professionnel.
Mais la vente du bien ne se réalisera que deux ans plus tard pour un prix de 242 000 €.
Les vendeurs ont demandé réparation de leur préjudice à l’agent immobilier estimant que l’évaluation de leur bien pour une valeur trop importante les a induits à faire l’acquisition d’un autre bien et que le délai entre leur nouvelle acquisition et la vente de leur bien a entrainé un préjudice économique lié au prêt relai.
Discussion et analyse
La valeur estimée du bien des vendeurs à hauteur de 400 000 € ne semblait pas en corrélation avec le marché, puisque les vendeurs ont missionné un autre agent immobilier qui avait visité les lieux en 2013 et évalué le bien à 250 000€ soit une valeur proche du prix réalisé en 2014.
Il est reproché à l’agent immobilier qui a fait la première estimation d’avoir surévalué le bien pour conduire les vendeurs à faire l’acquisition d’un nouveau bien. Certes, il a été rappelé que la conjoncture économique immobilière à l’époque était instable, mais il est reproché à l’agent immobilier de ne pas avoir fourni une évaluation réaliste et surtout, cette décision se rapproche de l’arrêt du 7 mars 2018 de la Cour d’Appel de Bordeaux, en ce qu’elle fait grief au professionnel de ne pas avoir justifié son évaluation par la production de références de marché comparables.
Solution
Tout comme la Cour d’Appel de Lyon le 5 février 2015 avait sanctionné le préjudice de perte de chance de vendre à un prix élevé comme laissé espéré par l’estimation, dans cette affaire, la Cour d’Appel de Rouen a lourdement sanctionné le professionnel.
La juridiction a pu retenir que la surévaluation fautive entrainait à la fois un préjudice de perte de chance de conclure une acquisition de leur nouvelle maison à de meilleures conditions par les vendeurs, et notamment dans le préjudice pour eux de pouvoir renoncer à collaborer avec ce professionnel.
Ce préjudice de perte de chance est évalué à 22 000 €.
La Cour d’Appel a aussi retenu un préjudice moral correspondant à la perte de confiance ressentie envers le professionnel à hauteur de 5 000 €.
Conclusion et recommandation
Bien que rares, ces condamnations liées aux surévaluations semblent justifiées en ce qu’elles peuvent créer réellement un préjudice pour des particuliers.
Le professionnel est débiteur d’un devoir de conseil et le code de déontologie du 28 août 2015 rappelle les devoirs de transparence dans les informations données et la nécessaire justification des estimations données.
Il découle donc des obligations légales, jurisprudentielles et déontologiques les recommandations suivantes :
Le professionnel devrait toujours évaluer un bien avant de conclure le mandat, en se fondant sur des comparables vendus, proches temporellement et géographiquement.
Le professionnel devrait pouvoir prouver avoir procédé à cette évaluation, donc par écrit, sans oublier la mention indiquant que cet avis de valeur n’est pas une expertise.
Le professionnel devrait, tout au long de la commercialisation, vérifier à l’adéquation du prix du bien au regard du marché, surtout en cas de fluctuations de valeurs.
Le professionnel devrait indiquer dans le mandat de vente le prix du bien estimé, comme un avertissement au mandant, le prémunissant de toute déception en cas de mise en vente à prix illusoire.
Quentin LAGALLARDE , Chartered surveyor MRICS, expert évaluateur en immobilier près la Cour d’Appel de Caen.
Certifié en expertise immobilière de l'ESSEC Business School et titulaire du DU expertise judiciaire (faculté de Droit de l'université de CAEN). Il est membre agréé du collège des experts du SNPI, Quentin LAGALLARDE dispose de plusieurs années d'expérience dans différents cabinets immobiliers en matière d'expertise, transaction et location. Il est certifié REV par TEGoVA, MRICS et également inscrit sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Caen.
En sus de son activité expertise, il est formateur auprès des professionnels de l’immobilier. Ses formations sont disponibles sur www.cotentin-expertise.fr.
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