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Entre le 23 avril 2020 et le 24 avril, le covid-19 aura tué 389 personnes, dont une, Jean-Philippe Ruggieri

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Retour sur le parcours de Jean-Philippe Ruggieri, directeur général de Nexity qui s’est éteint le 24 avril à Paris.

photo : JP-RUGGIERI_@Christophe Rousseau

Entre le 23 avril 2020 et le 24 avril, le covid-19 aura tué 389 personnes, dont une, Jean-Philippe Ruggieri. Une vie vaut une vie, et il n’eût pas aimé qu’on le sortît du rang, qu’on l’élevât à une dignité supérieure aux autres mortels. Il nous eût rappelé d’ailleurs que ce compteur inexorable, qu’on finit par regarder avec résignation sinon indifférence, ce sont autant de destins qui se sont arrêtés. Alors pour tourner la difficulté, ne pas le trahir, ne pas forcer sa simplicité, nous dirons qu’il était plusieurs vies. Car c’est bien cet être riche et protéiforme que nous avons connu, croisé peut-être seulement.

Un grand professionnel d’abord. Peu après son diplôme de Toulouse Business School, la Grande École de sa ville natale, il rejoint l’entreprise de promotion familiale, dont il aimait arpenter les bureaux depuis son plus jeune âge. Il y apprend ce qu’est une construction, mais surtout ce qu’est un client, ce que sont les clients dans la diversité de leurs moyens. Il ne l’oubliera jamais, jusqu’à pouvoir dire naguère haut et fort, parvenu aux responsabilités, qu’on construit dans ce pays pour les riches, qu’il est temps d’abaisser les coûts pour réduire les prix, ou encore que les professionnels ne sont pas assez assidus à suivre leurs clients d’un jour et ne jouent pas leur rôle. Quand des années plus tard, en 2001, l’entreprise éponyme qu’il dirige entre dans le giron du groupe Nexity, Alain Dinin comprend vite qui est cet homme. Jean-Philippe, invité d’honneur de l’assemblée générale de FIABCI France, l’organisation mondiale de l’immobilier, en juin 2019, dira devant un parterre de figures de l’immobilier, ce qu’il lui doit: il a appris avec lui les codes de la capitale, du pouvoir, et ceux d’une entreprise leader, devenue une référence dans tous ses métiers. Chez Nexity, il gravira les échelons jusqu’à ce que le fondateur, son mentor, fasse de lui son successeur. Ses compétences bien sûr, sa vision surtout, son souffle, sa capacité à entraîner le désignaient comme le leader naturel, et le fondateur du groupe ne s’y était pas trompé. Le choix s’était imposé à lui. Il y a quelques jours, les plus attentifs dans le communauté immobilière ont pu être troublés par un moment de communication singulier, en forme de palinodie: l’article de presse d’un magazine économique informe officiellement de l’hospitalisation du directeur général et semble dire que le président du conseil d’administration a repris les rênes. Un rectificatif suit: la direction générale demeure vacante jusqu’au rétablissement définitif de son titulaire, Jean-Philippe, et c’est un management provisoire qui s’est mis en place. Jean-Philippe était irremplaçable et il faut savoir gré à Alain Dinin d’avoir voulu que les mots fussent à cet égard précis.

Jean-Philippe Ruggieri à la soirée de gala FIABCI France présidée par Léo Attias.

 

Au-delà du grand professionnel salué par tous, c’est l’homme que nous pleurons. Authentique, jusqu’à l’audace, jusqu’au courage quand il dit aimer un homme, puis être marié à lui, après avoir connu une autre vie, plus orthodoxe. Il parle à cœur ouvert, il n’avoie pas, dans un monde immobilier qui n’a pas le respect et l’ouverture pour premières vertus, dans un monde tout court qui s’accommode des idéologies dominantes et se rassure sans cesse. Humain, terriblement humain, avec ce que nous avons en nous de complexité, sans nous l’avouer le plus souvent. Pas question ici de part d’ombre, justement pas: il avait fait la lumière en lui sur ses choix, ses désirs profonds et il était lumineux grâce à ce cheminement. Complexe et humain parce qu’il intégrait tout ce qu’il était et avait été, sans rien renier. Généreux aussi. Ceux qui ont eu la chance d’être de ses amis le savent: il partageait sa réussite, matérielle certes, mais professionnelle: il était resté fidèle à son école, il avait accepté d’être le parrain de l’institut d’enseignement immobilier que j’ai fondé et son discours face à ses filleuls a marqué les mémoires comme un moment de transmission, pas de leçon, non, d’exemplarité. Il y avait enjoint à ces futurs managers de la filière d’être eux-mêmes. Humain enfin au sens de l’humanitude de Saint-François de Sales, sensible aux peines, aux malheurs, attentif, altruiste.

Quand un être meurt, qu’il était important, reconnu, l’esprit de sérieux s’empare des commentateurs. Beaucoup se sentent même l’âme d’hagiographes. Ceci n’est pas une oraison funèbre et on mentionnera l’humour de celui qui nous manque, sa dérision. Il aimait rire avec les autres, se moquer de lui-même et piquer parfois, avec affection toujours. Il était malicieux, voilà. Il avait la malice d’un enfant. Il évoquait sur ce ton sa maladresse à son arrivée à Paris venant de la Ville rose. Il savait d’ailleurs jouer de cette image et j’en connais qui s’y sont fait prendre jusqu’à la condescendance et la conscience trop tardive de son intelligence.

Esthète et voluptueux enfin. Il aimait le beau, les beaux immeubles, heureusement, les belles carrosseries, les belles pièces d’horlogerie, le beau geste sportif, au rugby par exemple, la bonne chère. Le goût du beau et du plaisir est une quête d’idéal, un rempart contre la satisfaction, qui vire vite à l’autosatisfaction, une exigence supérieure en fait. Il avait cette exigence, qui empêche la béatitude idiote, et qui fait progresser. C’est elle qui lui a assuré ce parcours hors norme et cette ascension fulgurante.

Il est tentant de dire enfin qu’il aimait la vie, et que quand on aime la vie à ce point on ne meurt pas, de dire qu’on ne veut pas d’un monde d’après sans Jean-Philippe Ruggieri, et de fermer le ban. On est tenté de nier la cruauté qui nous l’a pris, d’autant que la période barbare nous prive de l’aurevoir ou de l’adieu -selon la croyance de chacun- à l’ami, au père, au fils, au mari, au collègue. On peut faire comme  si de rien n’était, garder le numéro de téléphone portable en mémoire si l’on en disposait, s’attendre à le croiser rue de Vienne ou dans l’Ile Saint-Louis ou au Pays basque. Il faut ouvrir les yeux et tout est limpide: sa permanence ne tient pas à une sorte de vie triomphante que rien ne pourrait arrêter, d’indestructibilité. Fanfaronnade. Elle tient au sens. Il avait donné un sens à sa vie et il nous appartient de prolonger son œuvre, loger les familles et les entreprises, et ses combats, aimer coûte que coûte et donner sans calcul.

Henry Buzy Cazaux

Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.

Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.

Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.
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