De jeunes pousses fleurissent dans le secteur. Inclassables, ces nouveaux venus bousculent l’immobilier traditionnel.
L’« ubérisation » du marché de l’immobilier n’aura pas lieu. Du moins, elle n’aura pas l’apparence de la révolution qui a bouleversé le monopole des taxis. Les nouvelles agences immobilières apparues ces dernières années mettent en avant des arguments commerciaux spécifiques, qui découlent néanmoins peu ou prou d’un même constat : il était urgent de bousculer la profession.
Des vendeurs insatisfaits
L’argument revient en boucle chez les pionniers des nouveaux réseaux immobiliers : les solutions telles qu’elles sont proposées aux vendeurs ne sont pas satisfaisantes. Si tous les acteurs disent la même chose, c’est Thomas Venturini qui résume le mieux le dilemme : « Les particuliers n’ont que deux solutions pour vendre leurs biens, explique le cofondateur et CEO du réseau Liberkeys. Soit, ils se lancent seuls, et ils se retrouvent confrontés à une opération complexe et très chronophage. Soit, ils font appel à une agence… Mais les grosses structures qui fonctionnent bien souvent en franchises facturent des honoraires très onéreux. » Des réseaux comme Hosman et Imop brandissent d’ailleurs le même constat initial : d’un côté, un désaveu massif des réseaux immobiliers tels qu’ils existent aujourd’hui ; et de l’autre, l’absence d’alternative satisfaisante.
Un diagnostic, plusieurs remèdes
Passé ce premier constat, chacun de ces nouveaux entrants met en avant l’avantage financier que représente sa solution : commission fixe ou à faible pourcentage, en fonction du succès de la vente… Avec une utilisation massive de technologies numériques pointues, c’est l’un des rares dénominateurs communs à tous ces réseaux.
Ainsi, le groupe Proprioo explique avoir construit sa stratégie sur une approche nouvelle du métier d’agent immobilier : « Notre biais de départ était de repenser complètement cette profession, explique Simon Primack, l’un des deux cofondateurs. Si nous voulons que les vendeurs soient satisfaits de l’expérience qu’on leur apporte, il faut que nos agents soient heureux de travailler pour nous et qu’ils s’investissent dans leur métier. » Résultat, Proprioo tient à mettre en avant le cadre salarial sécurisé qu’il peut offrir à ses collaborateur : un CDI bien rémunéré, avec bonus à la clé.
Des arguments qu’il semble difficile de vanter dans une publicité à destination du grand public : « Ça ne se voit pas forcément de l’extérieur », concède le cofondateur, qui revendique pourtant un développement rapide : Proprioo, qui affiche aujourd’hui 80 collaborateurs dont une trentaine de commerciaux, se fixe comme objectif d’atteindre un milliard d’euros de transaction d’ici la fin de l’année 2020.
Une refonte technologique
Raboter les prix et se donner l’image d’un réseau rapide et réactif : les nouvelles agences immobilières ont aussi en commun une utilisation massive de technologies pointues qui permettent d’alléger le travail du négociateur. Liberkeys explique ainsi avoir entièrement créé un environnement numérique, au sein duquel ses agents peuvent effectuer rapidement toutes les tâches qui leur incombent : « La création de l’annonce est extrêmement rapide, la description des biens est automatisée, l’agent peut la poster simultanément sur tous les grands portails… », explique Thomas Venturini.
Le réseau Imop, qui revendique des honoraires fixes de 3 900 euros, joue aussi la carte de la transparence pour ses utilisateurs. « Nous avons mis en place un outil qui permet au vendeur de suivre toutes les étapes de sa transaction, explique Laurent Sabouret, cofondateur de l’entreprise, pour lui permettre de savoir exactement de quelle manière on travaille pour lui. »
« Chacun y va de son argument fi nancier en avançant être moins cher que les autres. Bien sûr que le coût est un élément important, mais nous faisons le pari que les vendeurs préfèrent mettre un peu plus cher pour la garantie absolue d’un travail de qualité ! ». Henri Pagnon et Simon Primack co fondateurs de Proprioo
Des approches distinctes sur le montant des honoraires
Casser les tarifs est peut-être l’un des leitmotiv de ces nouveaux entrants… mais tous ne tiennent pas le même discours sur la manière de s’y prendre. Avec 3 900 euros, mais sans employer le terme de low-cost, Imop assume le mélange entre réseau numérique et vente de biens… immobiliers ! « Nous n’avons pas d’agence physique, explique Laurent Sabouret, mais nous rencontrons évidemment le vendeur pour l’estimation de son bien. Ce premier rendez-vous dure d’ailleurs une heure et nous permet de prendre la mesure de tout ce qu’il attend de nous et de la transaction. Sur sa demande, il est évidemment possible de nous revoir à n’importe quel moment ! »
Le réseau Hosman assume de son côté des honoraires plus élevés (4 500 euros), en préférant mettre en avant le côté affectif important d’une transaction immobilière : « Nous ne vendons pas des iPhone sur LeBonCoin, s’amuse Stanislas de Dinechin, l’un des cofondateurs. On n’a jamais voulu faire du low-cost de l’immobilier : la vente d’un appartement ou d’une maison représente un enjeu financier immense, auquel s’ajoute d’ailleurs une très forte
charge émotionnelle. Des honoraires de 4 500 euros nous paraît être la somme juste… qui, d’ailleurs, n’a jamais augmenté depuis notre création. »
Liberkeys ajoute un autre argument pour justifier ses 4 990 euros d’honoraires : « L’agent immobilier local qui va prendre en charge le bien qu’on lui confie est un véritable expert du quartier dans lequel il évolue », explique Thomas Venturini, pour qui il est par ailleurs impératif « d’éduquer le marché à cette notion d’honoraires fixes. »
Proprioo, justement, a préféré la formule classique d’honoraires au pourcentage, bien qu’ils soient beaucoup plus faibles que ce que pratiquent habituellement les grands réseaux (1,99 %). « Chacun y va de son argument financier en avançant être moins cher que les autres, observe Simon Primack. Bien sûr que le coût est un élément important, mais nous faisons le pari que les vendeurs préfèrent mettre un prix légèrement plus élevé pour la garantie absolue d’un travail de qualité ! »
Différentes politiques de recrutement
Qu’elle soit rapide et vorace ou au contraire plus prudente, la politique de recrutement est différente chez chacun des nouveaux réseaux. Sur la trentaine de commerciaux qu’il affiche aujourd’hui, Proprioo espère en recruter une vingtaine d’ici la fin de l’année, pour parvenir à 200 agents fin 2020.
Liberkeys, quant à lui, revendique quinze agents immobiliers sous contrat, avec un variable en fonction des résultats obtenus. Le groupe prévoit un recrutement massif dans les prochains moins, puisqu’il envisage d’embaucher une centaine de personnes. « Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de mandataires étaient aussi intéressés par notre groupe, ajoute Thomas Venturini. Nous avons donc lancé une phase de test avec cinq mandataires, qui sont rémunérés grâce à des honoraires fixes. » Ce test, concluant, va désormais être étendu à 300 indépendants.
Pas question en revanche d’entendre parler d’un tel modèle chez Hosman : « Nous avons 100 % de CDI, assure Stanislas de Dinechin. Et nous ne prévoyons pas de nous élargir à de futurs mandataires. » D’après lui, ce mode de fonctionnement serait trop éloigné du modèle sur lequel est bâtie la société : « Il est trop difficile de maintenir un lien étroit avec les mandataires et le terrain qu’ils couvrent, explique-t-il. Si nous voulons progresser et nous améliorer, nous avons besoin que nos experts fassent des remontées constantes à nos équipes techniques, pour qu’elles puissent apporter les améliorations et les ajouts dont ils ont besoin. »
« On est obligé d’inventer sans cesse. On peut dire qu’on a bouleversé le métier d’agent immobilier, en insufflant l’apport des nouvelles technologies. Mais si on s’arrête à cette seule numérisation des processus, finalement, on n’a rien inventé… » Thomas Venturini, Liberkyes.
Des profils divers
Paradoxalement, ce qui semble rapprocher ces nouveaux acteurs, ce sont les horizons différents dont ils sont issus : qu’il s’agisse de géants du commerce en ligne, de l’entreprenariat, de la finance ou du conseil, les fondateurs de ces nouveaux groupes ne sont pas des anciens de l’immobilier « traditionnel » qui ont débarqué dans le métier en étant bardés de connaissances. Thomas Venturini (Liberkeys) évoque son « expérience catastrophique » lors de l’achat de son premier appartement, tandis que Stanislas de Dinechin (Hosman) revendique de ne pas recruter que des agents immobiliers au sein de ses équipes. Ce qui compte, à ses yeux, est de s’entourer de « professionnels de l’expérience client ».
De même, il serait trompeur de croire que ces réseaux sont tous des copies conformes de modèles qui auraient essaimé chez nos voisins anglais ou américains. Certains dirigeants racontent avoir eu connaissance de jeunes pousses qui se créaient dans les pays anglo-saxons, mais beaucoup revendiquent une expérience « indépendante » et éloignée de ces modèles.
Quelle position face à la concurrence ?
Miser sur des honoraires « cassés » et des vitrines virtuelles attractives ne résout pas l’équation complexe qui consiste à exister face à une concurrence féroce. Comment se faire une place face à des mastodontes implantés partout en France, dont le grand public connaît sinon le nom, du moins le logo ? « Les grands réseaux resteront toujours en place, analyse Thomas Venturini. Et nous ne sommes d’ailleurs pas là pour tuer les agents immobiliers…
Au contraire, je dirai même que l’on peut leur redonner toutes leurs lettres de noblesse ! »
Il n’empêche que certains se prennent à déjà à rêver d’être calife à la place du calife. Les grosses structures immobilières ont eu beau rattraper le train numérique il y a plusieurs années, Stanislas de Dinechin juge que le compte n’y est pas, pour le moment. « Le numérique et la technique, ce sont deux secteurs où les grands groupes pourront combler leur retard, juge-t-il. Mais la manière qu’ils ont de gérer le “facteur humain“, ça n’est pas quelque chose que l’on peut rattraper : il faudrait tout revoir », estime encore celui qui assume de vouloir «révolutionner l’immobilier en France ».
Simon Pimack ne dit pas autre chose : « C’est bien de voir que les grands groupes développent leur secteur numérique, abonde le cofondateur de Proprioo. Ça montre à quel point le retard dans ce domaine était béant et qu’il y avait une vraie obsolescence. Mais il ne faut pas se tromper d’enjeu, ajoute-t-il. La première qualité est celle de l’agent immobilier, et ces grands réseaux ne sont pas organisés pour former et développer leurs agents ! »
Quitter Paris pour grandir !
Ces jeunes pousses ont commencé à essaimer sur le micromarché parisien, avant de s’étendre (ou de vouloir s’étendre) dans d’autres grandes villes. Ici encore, les ambitions divergent en fonction de la taille de l’entreprise. Simon Primack ambitionne de faire de Proprioo le « leader sur les quarante plus grandes villes de France », tandis que Liberkeys prévoit d’étendre ses services à une dizaine de métropoles françaises dans les prochains mois, en plus des marchés parisien, lyonnais et niçois.
Prudent, Laurent Sabouret assume de déployer Imop par petites touches : « Nous n’avons qu’un an d’existence, et nous avons déjà commencé à nous développer dans les villes de la première couronne, explique-t-il. D’ici la fin de l’année, nous devrions couvrir toute l’Île-de-France… et nous nous étendrons en région normalement dès l’année prochaine ! »
Ambitieuses, fortes de modèles de jeunes pousses qu’elles ont su adapter à un secteur qui ne s’y prêtait pas, les nouvelles agences immobilières ne semblent pas prendre en compte pour l’heure le secteur des villes moyennes, préférant concentrer leur force de frappe sur les grandes métropoles où elles visent un public jeune et à l’aise avec les nouvelles technologies.
Cela suffira-t-il ? « Tout va très, très vite, reconnaît Thomas Venturini, et on est obligé d’inventer sans cesse. On peut dire qu’on a bouleversé le métier d’agent immobilier, en insufflant l’apport des nouvelles technologies. Mais si on s’arrête à cette seule numérisation des processus, finalement, on n’a rien inventé… »
« Aussi efficace qu’il puisse sembler, ce modèle n’est pas suffisamment solide pour s’implanter durablement « , Olivier Lanza HomeAgency
Après plusieurs années passées chez Foncia, Olivier Lanza s’est lancé dans l’aventure en créant HomeAgency. Une expérience aujourd’hui entre parenthèses… « Le modèle d’une start-up ne peut pas suffire à couvrir tout un pays dans un domaine aussi vaste que l’immobilier », résume-t-il. D’après lui, ces jeunes pousses se retrouveront inévitablement confrontées, à un moment de leur développement, à un mur que leur mode de fonctionnement ne leur permet pas de franchir.
Un modèle financier qui ne permet pas de s’étendre à l’ensemble de la France
La dématérialisation a ses limites. En clair, s’il lui semble possible que les nouveaux réseaux ouvrent efficacement le marché parisien, voire celui de l’Île-de-France, ils ne pourront pas s’étendre à toute la France en suivant la même voie : « Couvrir tout un pays, cela implique d’embaucher beaucoup de monde, raisonne-t-il. Outre les infrastructures nécessaires, il faut aussi pouvoir former, encadrer et manager toute cette masse salariale. Et le modèle financier que ces agences mettent en avant ne leur permet pas de dégager suffisamment de marge pour se lancer dans une telle opération. »
Car voilà bien le deuxième écueil qu’analyse Olivier Lanza : les honoraires fixes, si ils représentent un indéniable argument marketing sur un marché aussi onéreux que celui de la capitale, ils constituent néanmoins des entraves cruelles au développement de ces nouvelles agences. « Combien sont rentables aujourd’hui ? s’interroge-t-il. combien ont augmenté progressivement ces honoraires au fil des mois, en se rendant compte que les prix qu’elles proposaient au départ n’étaient définitivement pas viables ? »
Si les lignes commencent à bouger, on n’est pas encore dans l’ubérisation de l’immobilier
Enfin, et même si les nouveaux réseaux ont su exploiter intelligemment les possibilités offertes par les nouvelles technologies, Olivier Lanza nuance le discours. « Il n’y a pas eu de véritable révolution technologique dans ce domaine », nuance-t-il. Et les gros réseaux immobiliers, malgré leur taille, ont su s’adapter. Difficile donc, selon lui, de vanter indéfiniment la transparence, la rapidité ou la facilité d’utilisation. Est-ce à dire alors que cette belle aventure est perdue d’avance et que ces nouveaux réseaux ne seront que des start-up éphémères condamnées à disparaître aussi rapidement qu’elles sont arrivées ? « Non ! tempère Olivier Lanza. Elles ont le mérite d’avoir senti qu’il y avait quelque chose à faire dans le domaine de l’immobilier et d’avoir commencé à faire bouger les lignes pour le moderniser. » Mais définitivement, selon lui, le bouleversement absolu n’est pas encore arrivé. L’ubérisation du marché de l’immobilier, une fois encore, n’aura pas lieu. Du moins, pas tout de suite…
Vouloir disrupter la transaction immobilière ne se fera pas en développant des concepts basés uniquement sur des honoraires bas ou la digitalisation des process.
Une société doit avant tout dégager de la rentabilité si elle a l’ambition de prendre des parts de marché face aux acteurs en place. Ces nouvelles agences sans commission seront confrontées à cette problématique majeure, surtout quand elles devront déployer leur modèle sur tout le territoire.
Ce n’est pas parce que vous offrez des honoraires bas, qu’un propriétaire vendeur vous signera plus facilement un mandat exclusif !
Je pense cependant que le système de vente immobilière sera néanmoins ubérisé à court terme. Ce marché est trop fragmenté, les agents immobiliers ont, globalement, une mauvaise image de marque et les honoraires sont jugés excessifs.
La transaction immobilière a donc tous les symptômes d’une future ubérisation.
Un matin, les acteurs en place se réveilleront avec un nouveau concurrent dont le concept matchera à 100% avec la demande client. Et dont le modèle sera rentable.
Il sera alors trop tard pour eux.
Il faut toujours répondre aux insatisfactions des clients. Si vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre le fera à votre place !
Dommage pour les agences immobilières classiques, mais tant mieux pour les vendeurs !
Par Charline, il y a 5 années
Vouloir disrupter la transaction immobilière ne se fera pas en développant des concepts basés uniquement sur des honoraires bas ou la digitalisation des process.
Une société doit avant tout dégager de la rentabilité si elle a l’ambition de prendre des parts de marché face aux acteurs en place. Ces nouvelles agences sans commission seront confrontées à cette problématique majeure, surtout quand elles devront déployer leur modèle sur tout le territoire.
Ce n’est pas parce que vous offrez des honoraires bas, qu’un propriétaire vendeur vous signera plus facilement un mandat exclusif !
Je pense cependant que le système de vente immobilière sera néanmoins ubérisé à court terme. Ce marché est trop fragmenté, les agents immobiliers ont, globalement, une mauvaise image de marque et les honoraires sont jugés excessifs.
La transaction immobilière a donc tous les symptômes d’une future ubérisation.
Un matin, les acteurs en place se réveilleront avec un nouveau concurrent dont le concept matchera à 100% avec la demande client. Et dont le modèle sera rentable.
Il sera alors trop tard pour eux.
Il faut toujours répondre aux insatisfactions des clients. Si vous ne le faites pas, quelqu’un d’autre le fera à votre place !
Dommage pour les agences immobilières classiques, mais tant mieux pour les vendeurs !