La CA de Paris a rejeté la requête d’une agente commerciale malgré ses douze arguments supposés établir un lien de subordination.
La requalification d’un contrat d’agent commercial en contrat de négociateur salarié peut résulter d’un contrôle Urssaf qui se serait mal passé. C’est en général ce cas qui est le plus redouté par les entreprises. Il existe pourtant une autre situation pouvant amener à une requalification, celle où l’action est portée directement par l’agent commercial lui-même. Aussi faut-il être particulièrement vigilant pour ce type de collaboration. Tel est le cas dans l’affaire présentée ci-dessous, issue d’une décision de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2018 (n° 16/12474). Cet exemple constitue un bon cas d’école.
Les faits
Une agence immobilière passe un contrat avec une agente commerciale. Après quelques mois, constatant que son activité ne lui génère que peu de revenus, l’agente décide de prendre acte de la rupture de son contrat en reprochant à l’agence de ne pas lui fournir assez d’affaires à traiter. Par la suite, elle saisit le conseil de prud’hommes en invoquant un lien de subordination, se basant sur des conditions d’exécution contestables de son contrat et son implication dans un service organisé, et concluant à une situation de travail devant être requalifiée en salariat.
Cette demande pourrait avoir de lourdes conséquences financières : plus de 110 000 euros de rappel d’éléments de rémunération (hors charges patronales en sus !) et presque l’équivalent au titre de diverses sommes en réparation du préjudice subi. Il va sans dire que pour une petite agence, une telle décision conduit à la faillite sauf à avoir une très bonne trésorerie pour y faire face.
L’analyse
Notons d’abord que, dans une telle situation, c’est à l’agent commercial de rapporter la preuve de l’existence d’un contrat de travail avec comme point clef : la réalité d’un lien de subordination. En effet, son statut d’indépendant fait peser sur lui une présomption de non-salariat.
Les différents arguments présentés par l’agente commerciale vont pourtant se heurter à l’analyse des juges, qui ne vont en retenir aucun et vont finalement rejeter la demande de requalification. Pour étayer sa demande, l’agente commerciale va développer 12 arguments, certains relevant parfois d’une même thématique. Selon elle :
1 – Elle disposait d’une carte de visite sans la mention de sa qualité d’agent commercial et d’une adresse mail au nom de l’agence, qu’elle était contrainte d’utiliser, de même que des cartes de voeux de l’enseigne. L’obligation de faire figurer sa qualité d’agente commerciale sur les cartes de visite s’impose au négociateur indépendant avant tout et non à l’agent immobilier (article 6-2 de la loi du 2 janvier 1970). Cette information visée par le législateur est à l’attention de la clientèle et non en lien avec le contrat passé avec une agence ! C’est au commercial à s’assurer qu’il est en règle. L’absence de cette précision ne conduit en rien à créer un lien de subordination. Notons tout de même que, lors de contrôles effectués par l’Urssaf, le contrôleur peut parfois, parmi les éléments soulevés tendant à une requalification, mettre en avant le fait que cette qualité d’indépendant ne ressort pas des documents professionnels utilisés par le commercial. Quant au mail nominatif dont le domaine est rattaché à l’agence, les juges constatent qu’il s’agit d’un outil de travail permettant d’uniformiser et de rationaliser les relations avec l’ensemble de collaborateurs. Enfin, sur l’utilisation de cartes de voeux, les pièces communiquées ne faisaient ressortir aucune obligation d’utilisation puisqu’elles n’avaient « aucun caractère impératif ».
2 – Elle devait compléter le logiciel de l’entreprise afin de permettre aux associés de suivre ses missions, de contrôler ses rendez-vous et les comptes rendus adressés aux clients, et devait constituer un dossier par affaire, conformément aux instructions.
3 – Elle devait également constituer un dossier par client selon les consignes reçues, plusieurs courriels constituant des rappels à l’ordre à ce sujet.
4 – Elle devait utiliser le logiciel pour renseigner le fichier clients et utiliser les trames y figurant.
5 – Elle recevait des instructions nombreuses et détaillées dans l’accomplissement de ses missions, et les clients étant en réalité gérés exclusivement par la société, sans qu’elle dispose d’une marge de liberté. Ces quatre arguments sont eux aussi la manifestation d’une simple uniformisation des méthodes de travail et de collecte des informations nécessaires au bon déroulement des missions confiées à l’agent commercial. Ils ont la résultante de toute entreprise organisée qui est tenue au respect de nombreuses obligations de par la réglementation qu’elle se voit appliquer. Pour les juges, là encore, ces éléments ne sauraient suffire pour caractériser l’exercice d’un pouvoir de direction. Ils sont la manifestation d’un professionnalisme sérieux qui passe, par exemple, par le respect de la politique, charte commerciale de l’agence.
6 – Elle ne pouvait pas signer de mandat. La réglementation (article 4 de la loi du 2 janvier 1970) précise que l’agent commercial peut rédiger et signer les mandants (tous autres actes étant exclus). Cette possibilité n’est pas pour autant une obligation pour le titulaire de la carte professionnelle qui reste décisionnaire selon sa politique commerciale de déléguer cette signature à ses agents commerciaux. Dans le cas présent, cette faculté n’a pas été retenue. Cet argument ne pouvait servir à qualifier un lien de subordination.
7 – Elle n’avait aucune possibilité de négocier les honoraires, se contentant de transmettre aux clients la facture établie par la société. La réglementation sur la publicité des honoraires du professionnel immobilier ne permet pas de les « négocier ». Il est tout à fait logique que cette interdiction soit étendue à l’agent commercial. En revanche, le négociateur indépendant peut revoir à la baisse la part qui lui revient s’il souhaite faire un geste commercial. Enfin, bien que cela soit une évidence, il semble tout de même important de rappeler que SEUL l’agent immobilier est en mesure de facturer la clientèle puisque, pour ce faire, il faut être titulaire d’une carte professionnelle.
8 – Elle devait rendre compte de l’exécution de ses missions, des démarches effectuées et adresser des comptes-rendus réguliers. Les dispositions légales du Code du commerce (art. L134-4 et R134-1) obligent le mandataire à rendre compte de l’accomplissement des missions de son mandat. Il n’y a donc rien de surprenant dans ce qui lui était demandé. En tout cas, aucun élément apporté aux juges n’a permis d’établir qu’un lien de subordination serait constitué ! Il n’y avait pas, par exemple, des réunions obligatoires auxquelles sa présence était exigée, sauf à s’exposer à des sanctions disciplinaires.
9 – Elle aurait subi une mesure disciplinaire à la suite d’une plainte d’un client adressée directement à la société. L’agence l’aurait menacée de ne pas lui verser une prime exceptionnelle, en conditionnant le versement à la mise à jour des données dans le logiciel. L’unique mail apporté par l’agente commerciale sur ce sujet «disciplinaire » n’a pas convaincu les juges de l’existence d’un pouvoir disciplinaire. Il n’établissait en rien une prétendue sanction, faisant au contraire ressortir le mécontentement du client. En conséquence, cet argument est écarté par la cour d’appel.
10 – Elle avait l’interdiction de recourir à des sous-agents, était soumise à une clause d’exclusivité, cantonnée à un secteur déterminé et, ainsi, placée dans un état de dépendance économique vis-à-vis de la société.
Sur les sous-agents : s’il est acquis que l’interdiction au recours à des sous-agents est une clause contraire à l’indépendance de l’agent commercial (Cass. soc., 2 déc. 1993, n° 3894), encore faut-il que cela soit possible ! Cet argument soulevé ici ne l’est justement pas. Soumis aux règles d’une profession réglementée, l’agent commercial en immobilier doit être détenteur d’une attestation d’habilitation que seul le titulaire de la carte professionnelle peut demander. De ce fait, un sous-agent sans attestation d’habilitation serait en infraction pour exercice illégal d’une activité en immobilier. Lorsqu’un agent immobilier a recours au service d’un agent commercial, il le fait intuitu personae et les missions qui lui sont dévolues ne peuvent dans le cadre présent être déléguées. En écartant cet argument, les juges ont légitimement retenu la particularité de la loi Hoguet.
Sur l’exclusivité : le statut de négociateur indépendant ne permet pas de contractualiser une exclusivité. Celui-ci peut travailler pour autant d’entreprises qu’il le souhaite. Encore faut-il que nous soyons sur une exclusivité réelle, c’est-à-dire totale. Ici, non seulement les juges relèvent que l’agente commerciale pouvait mener d’autres entreprises parallèlement à son mandat. Ce qui a d’ailleurs été fait un temps avec une activité de graphologue ! La cour relève surtout que la clause d’exclusivité alléguée n’était en fait qu’une clause de loyauté lui interdisant de collaborer avec des entreprises concurrentes. Ce qui, dans le secteur immobilier, peut tout à fait se comprendre.
Si un état de dépendance économique envers l’agence immobilière existait, il n’était en rien imputable à cette dernière mais uniquement à l’inaction de l’agente commerciale.
11 – Elle devait informer la société de ses dates de congés. Cet argument n’est pas concluant : il semble logique qu’en l’absence d’un commercial, l’activité économique de l’entreprise ne doit pas être pénalisée. Pour répondre aux demandes adressées à l’agence, une organisation temporaire doit être prévue. Informer son mandant de son absence est une manifestation de l’obligation de loyauté qui repose sur les parties et de bon exercice des missions confiées. De plus, les mails rapportés à la procédure ne démontraient aucunement qu’il s’agissait d’une autorisation préalable et obligatoire, contrairement au traitement des congés des salariés.
12 – Sa rémunération reposait sur les seuls dossiers confiés par la société et ses revenus étaient pour l’essentiel issus de son activité au sein de la société. Cet argument ne tient pas non plus pour les juges. D’abord, parce qu’il ressort des pièces que cette personne a cumulé une autre activité de services à un moment donné. Ensuite, l’agente commerciale gérait librement le temps qu’elle entendait accorder à son activité immobilière. Elle était ainsi, de fait, la seule à être en mesure d’augmenter ses revenus en fonction de son investissement dans son travail.
Pour conclure sur cette affaire, deux points peuvent tenir de leçon. Tout d’abord, comme l’avocat de la plaignante l’a tenté, nous constatons qu’il est rare qu’un seul élément suffise à caractériser un lien de subordination. Pour emporter la conviction des juges, il en faut plus ! Il est indispensable d’établir qu’un faisceau d’indices conduisent à cette conclusion, d’où l’action engagée sur douze arguments. Ensuite, il n’est jamais bon d’alimenter en affaires un négociateur indépendant de façon automatique sans qu’il n’ait réellement travaillé en amont. Sa fonction première est justement de prospecter. Lui fournir des prospects quand l’agence ne peut faire face à la demande peut s’entendre, mais rendre cela systématique conduit à la situation que nous venons de voir. L’agent immobilier se retrouve finalement à devoir justifier que ce négociateur indépendant l’est réellement.