Le débat fait rage sur ce business model qui bouscule le marché de la location tout en mettant en avant son côté relations humaines.
Depuis une dizaine d’années, une jeune entreprise venue des États-Unis a révolutionné les marchés généralement distincts de la location court terme, long terme, de l’hôtellerie, du tourisme et du logement. À l’origine, peu de gens croyaient dans l’idée de Brian Chesky, le fondateur de cette plateforme collaborative. Souvent on lui expliquait que « jamais les gens ne laisseraient entrer un étranger chez eux ! ». Bousculant les professionnels, brouillant les segments traditionnels, cette entreprise, qui n’est toujours pas cotée, a pourtant réussi une levée de fonds de 1 milliard de dollars en 2018 et affiche sa présence dans près de 200 pays. La France est son second marché, après les États-Unis, avec plus de 300000 logements loués. Mais le développement des relations directes entre particuliers n’est pas sans conséquences sur l’écosystème traditionnel.
Les premiers touchés par cette évolution sont les professionnels de l’hôtellerie qui y voient une concurrence frontale, non soumise aux normes du secteur. Les villes s’organisent pour limiter cet impact. New York interdit la location d’un appartement pour une durée inférieure à 30 jours consécutifs et souhaite obliger la plateforme à communiquer le nom des hôtes, quand Paris limite la location via la plateforme à 120 jours/an et impose de communiquer le revenu des hôtes au fisc.
20 000 logements perdus pour la location à Paris
Airbnb impacte aussi le marché immobilier et inquiète d’autres acteurs tels que les pouvoirs publics en charge du logement. Deux positions s’affrontent alors dans le débat. La première, la plus médiatique, consiste à expliquer que, dans les grandes villes, les occupants sont principalement des locataires et que Airbnb retire des logements du marché traditionnel de la location. La Ville de Paris aurait estimé cette « perte » à 20 000 logements. Or ceux-ci auraient pu être proposés aux résidents locaux. Cette diminution de l’offre aurait pour conséquence une augmentation des prix des logements restants.
Un doublement des annonces Airbnb conduirait à une hausse des loyers de près de 2 % et des prix de vente de 2,6%.
Le contre-argument avancé est que Airbnb apporte de nouveaux touristes à la ville et permet aux résidents locaux de gagner un peu plus d’argent grâce à la (sous)-location de leur logement. Ainsi, les retombées induites par les 8 millions de touristes Airbnb en France en 2016 sont évaluées à 6,6 milliards d’euros, soutenant environ 30 000 emplois. Par ailleurs, le gain supplémentaire (en moyenne 720 euros par mois d’après Airbnb Insider) permettrait aux habitants de continuer à résider dans leur logement, en particulier dans des marchés immobiliers tendus. Autres effets peu connus : les hôtes de plus de 60 ans et les offres dans des villages sans hôtels sont des segments en forte croissance, invitant à réfléchir sur le nouveau dynamisme territorial permis par la plateforme.
Le rôle positif de l’économie collaborative
Les recherches menées à Boston par les chercheurs Horn et Merante* montrent que les deux arguments du débat se défendent : dans cette ville, 82 % des hôtes ne proposent qu’un seul logement sur Airbnb (80,5 % à Paris) : ce sont des occupants qui cherchent un revenu complémentaire en louant leur logement. Mais, si seulement 18 % des hôtes proposent plusieurs logements en ligne, ces derniers représentent près de la moitié des annonces sur Airbnb (46 %) : finalement, on considère que la moitié des logements d’Airbnb est louée par des professionnels. Ces logements représentent potentiellement des appartements qui auraient pu être occupés par des résidents locaux même si ces effets de « vases communicants » sont très difficiles à mettre en lumière. Ce qui est démontré en revanche, c’est une légère augmentation des prix : un doublement des annonces Airbnb (comme ce fut le cas entre 2016 et 2018 à Paris) conduirait ainsi à une hausse des loyers de près de 2 % et des prix de vente de 2,6 %, du fait notamment d’une diminution de l’offre locative et de l’augmentation de la rentabilité à la location.
Au final, soutenue par un écosystème américain très favorable, la start-up Airbnb a étendu et transformé le marché de la location immobilière (20 % des locations à New York et San Francisco sont Airbnb). Mais, face aux bouleversements géopolitiques du monde, l’ensemble des plateformes, mondiales et locales, de l’économie collaborative semblent étrangement jouer un rôle assez positif. Derrière une volonté continue d’innover, elles apparaissent étrangement plus stables, fondées sur des principes d’ouverture et d’accueil, incitant les citoyens à faire confiance aux autres, à laisser entrer un inconnu dans sa maison, sa voiture ou sa piscine. D’un point de vue économique, elles permettent un pricing efficient de l’utilisation des ressources. Et, pendant que les pouvoirs publics s’interrogent –à juste titre– sur les régulations les plus adaptées, elles innovent et trouvent de nouveaux relais de croissance : depuis 2018, c’est le business de la vente d’« expériences » entre particuliers qui explose sur Airbnb, allant du cours de poterie à la visite des secrets d’un village…
De la location d’appartement à la visite d’intérieurs
Ces nouveaux business models offrent aussi une nouvelle image du paysage économique, fondée sur les principes assumés de rentabilité financière (valorisation des ressources matérielles et immatérielles des citoyens) et de relations humaines. Ce mouvement de fond ne touche pas que les nouvelles startup mais révolutionne aussi les pratiques des acteurs traditionnels : la Camif, par exemple, incite ses clients à faire visiter leurs intérieurs, valorisant ainsi les meubles à des prospects intéressés. Plus d’horizontal et moins de vertical, au point qu’un éditorialiste du New York Times considérait Airbnb comme l’exemple d’une nouvelle organisation internationale, un nouvel Otan : une opportunité de partager un peu de la vie de l’autre pour mieux la comprendre, à rebours des tendances nationalistes actuelles.
*Source : « Is home sharing driving up rents ? Evidence from Airbnb in Boston », K. Horn & M. Merante, 2017, Journal of Housing Economics, 38, 14-24.
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.