Dans un monde digitalisé où l’internaute est appelé à donner son avis, la relation client se gère sur un plan émotionnel.
L’Expérience Client est devenue la priorité numéro un pour une majorité des cadres américains en 2018. Les hérauts des entreprises « successfull », Amazon et Google, ont nommé des directeurs généraux et des vice-présidents de l’Expérience Client. Depuis les années 2000, la gestion de la relation client (ou CRM pour « Customer Relationship Management») reste une pratique indispensable pour une entreprise de services. Mais une vision plus globale s’impose aujourd’hui : développer plus d’empathie avec le client pour une amélioration de l’Expérience client. C’est la priorité numéro un car les consommateurs d’aujourd’hui interagissent via une myriade de points d’entrée avec l’entreprise, utilisant des canaux et des médias très variés (sites Internet, portail, téléphone, réseaux sociaux, applications, agences, etc.). Et cette « omnicanalité » du parcours offre de multiples occasions pour le client d’évaluer son niveau de satisfaction… ou d’insatisfaction avec les services proposés.
Répondre à la frustration, à l’anxiété, à la sensation d’abandon, et encourager le soulagement, le plaisir, la fierté.
Associer l’émotionnel au fonctionnel
Le digital a joué un grand rôle dans cette évolution en transformant les processus de création de valeur, permettant la participation active des clients (estimation rapide de son bien en ligne, etc.), la génération de nouveaux business models centrés non plus sur l’agence mais sur le client (portail Internet, mandataires, etc.) et l’émergence d’outils renseignant sur les comportements des autres clients (corrélation avec les visites des clients similaires, nombres d’internautes qui ont regardé l’annonce, etc.). Mais beaucoup d’entreprises restent encore prisonnières d’une stratégie seulement orientée vers les technologies. Pour les chercheurs Lemon et Verhoef*, savoir piloter l’expérience client signifie intégrer les innovations technologiques dans le registre émotionnel : l’Expérience Client laisse une trace mentale, subjective et personnelle de ce qui a été vécu tout au long du parcours client, virtuel et/ou réel, avant, pendant et après l’achat. Les analyses de parcours sont souvent trop « fonctionnelles », identifiant les étapes et les points de contacts avec l’entreprise. L’Expérience Client insiste sur la trace sensorielle et émotionnelle ressentie par le client à ces différents moments « critiques » : présentation du bien sur Internet, contacts avec l’agent immobilier, visite… Cette émotion se traduit en satisfaction, ou insatisfaction, et pour chaque étape, à la poursuite ou à l’arrêt du processus d’achat.
Trois défis majeurs
Quand le CRM répondait avant tout à un enjeu commercial direct avec l’objectif de maximiser rapidement le chiffre d’affaires, l’Expérience Client insiste sur une vision plus transversale. L’objectif est d’éviter un maximum la perte du client en limitant les occasions d’abandon : formulaire trop long à remplir ou trop intrusif, annonce sans pitch parfait, pas de suivi fluide entre le site internet, les applis smartphone, et l’interlocuteur téléphonique à qui il faut définir son projet une seconde fois, etc. Piloter l’Expérience Client soulève au moins trois défis majeurs pour les agences immobilières :
définir a priori une expérience cible pour les différents segments de clientèle ;
s’assurer que l’agence et ses collaborateurs délivrent effectivement cette expérience à l’ensemble des prospects ;
vérifier que la promesse expérientielle est véritablement ressentie comme telle par les clients.
L’expérience doit non seulement être fluide et apprenante entre les différents canaux, mais aussi porteuse de sens, reflétant les valeurs de la marque de l’agence : empathie, efficacité, rapidité, etc. Souvent, cette Expérience Client est définie hors-sol avec des termes du type : expérience unique, spéciale, différenciante, offrant de l’expertise, etc. Cette manière de conceptualiser reste trop intangible et ne permet pas de nourrir les valeurs de l’agence. C’est donc une opportunité à saisir pour (re)définir l’ADN de la marque agence et décliner ces valeurs sur tous les supports, d’une manière concrète pour construire une marque forte en enrichissant les bénéfices avec une prise en charge des émotions : il faut par exemple savoir répondre à la frustration, à l’anxiété, à la sensation d’abandon et savoir encourager le soulagement, le plaisir, la fierté, etc. (Jacob et al. 2017*).
Réenchanter l’expérience client
L’innovation client ne se limite pas aux dispositifs digitaux d’il y a vingt ans (site web et emailing), aux réseaux sociaux d’il y a dix ans, aux applis d’il y a cinq ans ou aux objets connectés aujourd’hui. Une vision centrée sur le seul déploiement technologique ne permet pas de saisir la dimension stratégique de l’Expérience Client. La notion même de création de valeur s’inverse : les agences ne doivent plus seulement créer de la valeur pour leurs clients. Cette nouvelle vision impose de penser comment offrir la possibilité aux clients de créer de la valeur pour eux-mêmes, en utilisant les services des agences. L’agence se transformera alors en chef d’orchestre d’un réseau, en organisateur et agrégateur de services avant, pendant et après l’achat, une plateforme conçue pour améliorer l’expérience vécue des clients. Mais attention, celle-ci n’est permise que lorsque l’expérience vécue par les collaborateurs est elle-même repensée en phase avec cette nouvelle stratégie : en termes d’environnement de travail, d’outils technologique et d’autonomie. La clé du succès, c’est la cohérence entre l’expérience des clients et celle des collaborateurs, et c’est tout l’intérêt de cette révolution : l’automatisation offre l’opportunité de repenser pleinement l’intérêt de la valeur humaine.
*Sources : Stratégie Clients, P. Volle P. (2012), Pearson. « Understanding customer experience throughout the customer journey », KN. Lemon &PC. Verhoef (2016),Journal of Marketing, 80(6), 69-96. « Pourquoi un si faible niveau de satisfaction des clients qui achètent un bien immobilier neuf ? Une explication par le gap émotionnel », F. Jacob, F. Larceneux et V. Renaudin (2017), Colloque international Étienne Thil.
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.