Le gouvernement veut-il avoir une totale liberté d’action pour ne pas être obligé de discuter ou de faire des concessions ?
C’est le bon Docteur Freud qui a ainsi nommé la difficulté ontologique que nous avons à être intime avec les autres, le « dilemme du hérisson ». L’image est claire. Tout porte à croire que ce gouvernement est confronté à ce dilemme et la politique du logement qu’il mène en est une preuve indiscutable. Décodage.
Lorsqu’un ministre du logement prend ses fonctions, il reçoit traditionnellement des demandes d’audience de la part des organisations professionnelles et des associations du secteur. Il ou elle y fait droit dans les quatre à six semaines qui suivent son entrée au gouvernement. Cette fois, les acteurs ont bien senti que les habitudes étaient malmenées… Certes, il y a d’abord eu l’épisode des trente quatre jours: plusieurs ministres, dont Richard Ferrand, en charge de la cohésion des territoires et du logement, ont été conduits à démissionner, rattrapés par des affaires. Cette période a compté pour du beurre si l’on peut s’autoriser l’expression. A l’arrivée de son successeur, le ministre Jacques Mézard, secondé du secrétaire d’État Julien Denormandie, quelques rares institutions, sans doute jugées plus importantes stratégiquement, ont eu l’heur de rencontrer l’un et l’autre. La plupart ont dû patienter et patientent encore. Les plus chanceux ont le loisir d’échanger avec un conseiller à Matignon ou au cabinet du ministre.
Projet de loi en cours d’élaboration
On arguera que les mois de juillet et d’août sont des mois sans activité… Pas du tout! Un projet de loi sur le logement est en préparation et doit être déposé sur le bureau des assemblées en octobre. En somme, c’est maintenant que tout se joue. Sans parler de ce qui est déjà dans le marbre et qui s’est écrit sans que les lobbies aient pu se mobiliser, de l’exonération de taxe d’habitation -dont le scénario s’est stabilisé entre fin juin et début juillet- au rabotage des APL-décidée brutalement-.
Et puis il y a ce surprenant message du ministère de la cohésion des territoires parvenu à la cantonade en pleine période de vacances: en vue de l’élaboration du projet de loi, une plateforme numérique est mise à la disposition des fédérations, du monde associatif ou encore des collectivités locales pour qu’ils y déposent leurs propositions. Les contributions à rendre avant le 10 septembre. Sachant que de telles notes ne peuvent émaner d’un président d’institution sans qu’il en réfère, sans que des techniciens aient eu le temps d’y travailler, sachant que la rentrée officielle sera pour nombre des personnalités concernées le 4 septembre, cela laisse aux parties prenantes quelques jours pour mettre en forme et faire part de leur pensée intime sur la politque du logement. Il se trouve des esprits chagrins pour trouver que le procédé relève du simulacre de consultation… Sans s’associer à eux, on reconnaîtra que la méthode est désarçonnante.
Un parlement délesté de ses experts
Car enfin, les questions de logement n’exigent-elles pas un débat face à face? Peut-être même un débat élargi à l’ensemble des acteurs majeurs: dans cet état d’esprit, le président de la FNAIM réclamait naguère un Grenelle… Il devra se contenter d’une synthèse des contributions à huis-clos au sein du cabinet du ministre. Alors bien sûr, on objectera que c’est le seul moyen d’écouter tous ceux qui ont quelque chose à dire… Écouter ou entendre?
Alors on est tenté de diagnostiquer un syndrome du hérisson. Le gouvernement veut avoir les coudées franches et ne pas être obligé de discuter, de recevoir des suppliques et des doléances, de concéder ou d’essuyer des quolibets. Il fonce. Si c’est le cas, il oublie deux choses. Premièrement que l’expérience et l’expertise dont les corps intermédiaires sont dépositaires constituent des biens précieux, à utiliser. Qui au gouvernement aujourd’hui détient ces clés pour le logement? Le propos vaut pour les ministres et pour ceux qui les entourent, dont les plus chevronnés sont jeunes dans cet univers. Jacques Mézard lui-même, qui fut certes longtemps sénateur du Cantal et président de la communauté d’agglomération du Bassin d’Aurillac, va devoir se familiariser avec les problématiques des territoires tendus. Ils auraient tort de se passer des apports des syndicats et des associations. Bien sûr, il peut falloir trier entre les revendications et garder la liberté du décideur public, mais ne pas négliger la science des acteurs ni leur intelligence des problèmes qui se posent. Oui la FPI connaît parfaitement les logiques de la construction, la FNAIM celles du marché de la revente et de la gestion du stock, le SNAL la question foncière et l’Union Sociale pour l’Habitat ou la Fondation Abbé Pierre les difficultés des ménages fragiles. On ne cite ces maisons que pour exemples et d’autres sont estimables… De la même manière, les maires de Toulouse, de Lyon, de Marseille ou de Paris sont compétents pour remédier aux embarras liés aux tensions d’une demande excessive par rapport à l’offre.
Les députés fraîchement élus ne maîtrisent pas la question du logement
Sans compter que si l’exécutif en place a moins d’intimité que ceux qui l’ont précédé avec la matière, ce n’est pas l’Assemblée Nationale qui va combler le manque: les députés fraichement élus ne maitrisent pas la question du logement. Ils pâtissent de deux faiblesses, la nouveauté dans le mandat et l’absence de lien avec un exécutif local -non cumul des mandats oblige-. On ne peut non plus compter sur les anciens: entre les battus et ceux qui ne se sont pas représentés, notamment pour ne pas être battus, il n’y a plus de ténor connaissant le logement au Palais Bourbon. Le Sénat? Après le renouvellement de la moitié de la Chambre Haute à la fin du mois de septembre, y subsistera-t-il les spécialistes identifiés, telle Marie-Noëlle Liennemann?
Création d’un think tank sur le logement
En somme, c’est le plus mauvais moment pour faire le hérisson et ne pas s’ouvrir aux lobbies. Une démocratie éclairée a besoin de ces corps intermédiaires. Elle en a besoin pour que les décisions concernant le logement et quelques autres grandes questions que l’État ne règlera jamais sans l’engagement des acteurs ne soient pas hors sol, déconnectées de la réalité et que le courage ne se dégrade pas en irréalisme. Elle en an besoin pour s’éviter des palinodies, des retouches, des retour en arrière et pour finir des incohérences et de l’illisibilité. Elle en a besoin aussi, quand un choix s’est imposé, pour expliquer à l’opinion, des professionnels, des consommateurs, ce qui a rendu nécessaire tel changement, tel effort ou parfois tel sacrifice. Sans ces ligaments, les articulations vont se gripper, se raidir et bientôt ne plus jouer. On a entendu le porte-parole du gouvernement, Monsieur Castaner, affirmer l’indépendance de ceux qui gouvernent aujourd’hui aux sondages: ils révèlent une chute de popularité record et y être soumis reviendrait à renoncer aux mesures drastiques nécessaires. Soit, il ne s’agit pas de conditionner l’action aux avis de la rue. Il s’agit de voir qu’entre la rue et l’Élysée, Matignon ou les ministères, il y a des lieux de savoir et de raison, où peuvent souffler -c’est vrai- des vents de passion ou d’égoïsme, mais où l’on a tout de même appris à penser en en fonction de l’intérêt du pays. Ces organisations professionnelles, ces associations sont bel et bien des réservoirs de compétences. On annonce aussi la création prochaine d’un think tank sur le logement, « République et logement »: encore un institution qui pourra inspirer l’État.
Il faut en revenir à l’imaginaire des enfants, que Freud ne démentirait pas: le hérisson y est un animal aimable et il aime se mettre sur le dos pour se faire caresser le ventre. Et si les rapports entre l’État et les lobbies étaient empreints de confiance au cours du quinquennat et de la législature? La France y gagnerait.
Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.
Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.
Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.