Le parlement est en train d’examiner le projet de loi d’habilitation qui permettra au gouvernement de modifier par ordonnances le code du travail.
Le parlement est en train d’examiner le projet de loi d’habilitation qui permettra au gouvernement de modifier par ordonnances le code du travail. Il s’agit là de tenir une promesse de campagne majeure du candidat Macron, consistant à moderniser les règles du travail en France et de les adapter aux besoins d’un monde bien différent de celui des années 70. Au demeurant, bien des évolutions législatives sont intervenues depuis les fameux accords de Grenelle, mais il est vrai qu’elles se sont toujours faites dans le même esprit et ont fini par rigidifier l’emploi. En clair, les maîtres-mots sont aujourd’hui la flexibilité ou encore l’agilité sociale, là où les esprits, fût-ce dans le patronat, ne pensaient qu’en référence à la sécurité et la protection des individus.
Il est prévu que la loi soit définitivement votée le 3 août prochain, date de clôture de la session parlementaire, mais pour le cas où la commission mixte paritaire chargée de mettre d’accord l’Assemblée Nationale et le Sénat sur les points de mésentente échouerait, les parlementaires devraient repousser leurs vacances… Surtout, et les centrales syndicales ne s’y trompent pas, ce sont les ordonnances signées en application de la loi d’habilitation qui seront porteuses des réformes, plus que la loi qui les annonce. Que sait-on à ce stade des évolutions que le législateur veut voir introduire par le gouvernement ? Dans trois grands domaines, le consensus s’est dégagé: la place de la négociation de branche et d’entreprise, les institutions représentatives du personnel et la sécurisation des relations de travail.
Le premier sujet valorise les accords conventionnels, les préférant au carcan règlementaire, avec pour les acteurs la faculté de trancher sur les minima de rémunération, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, notamment pour la formation, l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, enfin « la gestion de la qualité de l’emploi ». Il faut entendre par là, la faculté de préciser les modalités de contrats courts dans des secteurs spécifiques. La question de la représentativité traite en particulier des entreprises dans lesquelles les syndicats ne sont pas présents. Quant à la sécurisation des relations, elle cache le débat crucial sur les indemnités de licenciement, notamment les dommages et intérêts en cas de licenciement abusif.
Ce qui est frappant, c’est que cette formidable occasion de moderniser le travail en France continue de faire comme si le salariat restait l’alpha et l’oméga structurant du marché du travail. Certes, on voit bien que les schémas séculiers se fissurent et que ni le contrat à durée indéterminée ni le licenciement, a priori impossible et éventuellement autorisé, ne sortiront indemnes de la réforme en cours. On voit aussi que les déséquilibres auxquels on s’était habitués de façon coupable, entre les sexes ou même entre salarié et employeur, vont être corrigés. Tout cela est louable et il faut en attendre une modernisation qui va redonner au pays de la compétitivité, en créant les conditions du recul du chômage. Pourtant, on sait qu’une partie essentielle se joue ailleurs, dans l’organisation du travail indépendant. Dans tous les secteurs d’activité, la preuve en est faite.
Parmi eux, celui de l’immobilier, où les dix dernières années, avec une accélération de l’histoire depuis cinq ans, ont vu la création de réseaux de négociateurs non-salariés, alors qu’on vivait sur le schéma d’agences immobilières dont les effectifs étaient largement constitués de collaborateurs salariés. Les deux modèles cohabitent désormais et les agences, qui mesurent les vertus de la dématérialisation, recourent elles-mêmes à des indépendants pour démultiplier sur le terrain leur présence et déployer leur efficacité commerciale. Au demeurant, les individus eux-mêmes, plus encore dans les fonctions commerciales, sont à la recherche de l’autonomie, qui leur permet de donner le meilleur d’eux-mêmes, sans contrainte ni de jour ni d’horaire, sans astreinte de reporting, avec la liberté de choisir les méthodes et les outils mis à leur disposition par leur enseigne. Et puis dans les activités de service, le client de 2017 a d’autres aspirations que le client, vendeur, acquéreur, locataire ou propriétaire, des années 80 ou 90. Il veut qu’on vienne à lui, qu’on s’adapte à ses obligations spatio-temporelles, et non qu’on le plie à des déplacements et à des rendez-vous autoritaires donnés aux jours et heures ouvrables.
De cela, on n’entend pas parler. Tout se passe comme si nos dirigeants demeuraient obsédés par le salariat privé et son développement, sans mesurer le raz-de-marée du travail indépendant (la France compte 26 millions d’actifs* ayant un emploi dont 11% de travailleurs indépendants, aux Etats-Unis, ils représentent 34% de la force de travail de la classe des plus jeunes, ce taux devrait atteindre les 50% d’ici 2020**).
Une preuve supplémentaire de ce malentendu: le débat sur le RSI et la volonté affichée du Président Macron et du Premier ministre Édouard Philippe de fondre les indépendants dans le régime général. Sur le fond, il fallait s’attaquer aux tourments des entrepreneurs indépendants et traiter les tracasseries que le RSI leur fait subir. Le système est devenu intenable. A contrario, le régime général n’est absolument pas adapté aux indépendants. Les obligations déclaratives, les calculs de rémunérations assujetties aux charges, le processus administratif lourd sont conçus pour des entreprises structurées et pas du tout pour des individus qui ont choisi d’exercer en-dehors de ce cadre. Peut-être d’ailleurs serait-il opportun pour ces femmes et ces hommes de mettre en place le prélèvement de l’impôt à la source, qui constitue une mesure de simplification, différée par le gouvernement pour l’ensemble des contribuables.
En tout cas, il serait regrettable que le grand débat qui s’ouvre sur la modernisation du travail en France n’ait pas le réalisme de traiter les travailleurs indépendants à l’aune de l’importance croissante de ce statut. Le pays passerait à côté de l’un de ses atouts les plus forts pour redresser sa situation économique, restaurer sa compétitivité et se doter d’un secteur des services adapté aux enjeux du moment.
(*) Source INSEE mars 2016 (**) Etude réalisée en 2014 « Avision for the economy of 2040 » de l’institut Roosevelt et de la fondation Kauffmann