Les « charm prices », venus des États-Unis, ont-ils le même effet dans le secteur de l’immobilier que dans le commerce ?
«14,99 € ». C’est le roman de Frédéric Beigbeder « 99 F », réédité en 2002, qui s’attache à dépeindre le monde cynique de la publicité. Mais pourquoi ce chiffre ? Les chercheurs en marketing se sont régulièrement penchés sur l’effet de ce qu’on appelle les « prix psychologiques » ou plus joliment les « charm prices » en anglais, c’est-à-dire les prix légèrement inférieurs aux prix ronds. À l’origine, cette pratique de « pricing » n’était en rien une stratégie commerciale : au XIXe siècle, voyant trop de produits disparaître, le magasin Macy’s de New-York l’aurait mise en place afin de réduire les vols des recettes commis par les vendeurs. Lorsqu’un objet valait 1,99 $, le vendeur était obligé d’aller à la caisse pour rendre la monnaie et ainsi enregistrer la transaction.
Une question d’encodages opérés par le cerveau
C’est seulement à la fi n des années 1990 que les chercheurs ont compris l’effet que pouvaient avoir ces prix psychologiques sur les comportements des acheteurs : dans le cas des produits de consommation courante en supermarchés, …une terminaison en 9 permet non seulement d’attirer l’attention des consommateurs mais surtout d’augmenter la valeur du panier moyen : les clients achètent plus car ils ont la sensation de faire de bonnes affaires.
En effet, les études en laboratoire ont montré que les consommateurs ont davantage la sensation de bénéficier d’une ristourne en passant de 13 € à 10,99 € que de 13 € à 11 €. Si les prix en 9 augmentent le nombre de produits achetés et la note finale payée, on constate un autre résultat étonnant : les consommateurs n’évoquent pas le prix pour expliquer leurs choix. L’effet du prix psychologique serait en partie inconscient.
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« Les prix en 9 permettent d’obtenir le plus fort écart entre la valeur sous-jacente du bien et le prix final de la transaction »
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Pourquoi une telle influence de ces prix « charmants » ? La théorie de la sous-détermination propose une explication : les « encodages » opérés par notre cerveau pour traiter l’information « prix » – un prix de 200 € ou de 199,99 € – ne se déroulent pas de la même manière. Le premier prix appartient à la catégorie des « 200 » lorsque le second appartient à celle des « 100 ». 200 € sera donc considéré implicitement comme relevant d’une catégorie différente, plus chère que 199,99 €… et déclencherait plus de réticences à l’achat.
Rendre acceptable un prix de mise en vente
Qu’en est-il dans l’immobilier ? Trouve-ton des effets similaires alors qu’il s’agit d’un achat important et réfléchi, bien différent a priori des achats en supermarché ? Les chercheurs Allen et Dare (2004)* ont comparé les effets des prix terminant par 9 avec les effets des prix ronds, ces prix étant ceux affichés initialement sur les annonces : sur 22 000 transactions, ils ont trouvé que les prix initiaux « charmants » aboutissaient à des prix de transaction plus élevés que les prix ronds. Par exemple, un bien à 99 000 $ se négociait à 93 000 $ quand un bien à 100 000 $ se négociait finalement à 91 000 $. Mais ce résultat n’est pas aussi simple car les différents niveaux de prix ne produiraient pas les mêmes effets : 99 490 $ serait plus performant que 99 500 $ mais 495 000 $ serait plus efficace que 494 900 $.
S’il n’existe pas de politique de prix miracle, il semble bien que les prix psychologiques ont un réel effet sur les comportements des acheteurs immobiliers. Ces prix en 9 permettent de maximiser le prix initial acceptable et finalement, comme l’ont récemment montré Beracha et Seiler (2015)*, d’obtenir le plus fort écart entre la valeur sous-jacente du bien et le prix final de transaction. La stratégie de mise à prix est donc fondamentale car elle influence tout le processus d’achat… jusqu’à l’acceptation du prix final.
* Source : « The effects of charm listing prices on house transaction prices », M. T. Allen & W. H. Dare, 2004, Real Estate Economics, 32(4), 695-713. « The Effect of Pricing Strategy on Home Selection and Transaction Pricesc: An Investigation of the Left-Most Digit Effect », Eli Beracha & Michael J. Seiler, 2015, Journal of Housing Research, 24, 2, 147-161.
Fabrice Larceneux
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.