Michel Mouillart, professeur d’Economie à Paris Ouest, convie comme chaque année les professionnels du logement et de l’immobilier aux entretiens d’Inxauseta.
Co-organisateur des entretiens d’Inxauseta Michel Mouillart, Professeur d’Economie à Paris Ouest, FRICS présente l’évènement qui réunit traditionnellement professionnels de l’immobilier et du logement à la fin de l’été. Cette année, il y sera notamment questions des propositions des candidats à la Présidence de la République en matière de politique du logement. Entretien avec Ariane Artinian.
Ariane Artinian : Pouvez-vous nous présenter rapidement ce que sont les Entretiens d’Inxauseta auxquels vous conviez les lecteurs du JDA ?
Dans quelques mois, des propositions seront faites par les candidats à la Présidence de la République afin de préciser les objectifs, les voies et les moyens de la politique du logement qu’ils suggèrent de mettre en œuvre durant le prochain quinquennat. Ces propositions qui seront pour la plupart d’entre elles présentées aux Entretiens d’Inxauseta vont susciter espoirs ou déceptions. Elles chercheront pourtant à s’adapter aux évolutions sociétales, aux enjeux et aux défis qu’il convient de relever parce que face à des objectifs économiques, sociaux et environnementaux par nature ambitieux, elles devront composer avec des moyens budgétaires et financiers toujours difficiles à mobiliser, alors que la tension sur les Finances Publiques ne devraient guère se relâcher. Les Entretiens vont aussi permettre cette année de réfléchir sur ce que les acteurs du secteur associatif, les responsables des milieux socio-professionnels ou les décideurs locaux attendent des grandes orientations de la politique du logement qui sera conduite durant le prochain quinquennat, dans le contexte d’une crise du logement qui n’en finit pas de durer, qui n’épargne aucun territoire ni aucune catégorie de ménages, même si elle pénalise particulièrement les plus modestes et les plus fragiles, les jeunes et les familles mono parentales, les retraités et les travailleurs pauvres notamment.
Ariane Artinian : Mais pourquoi revenir sur cette crise du logement ? Est-ce aussi important pour éclairer les programmes qui se préparent et qui vont éclairer les décisions du futur Ministre du Logement ?
Michel Mouillart : Il ne s’agit pas de revenir sur les origines de cette crise du logement, même s’il est bon de rappeler que c’est bien d’une crise ancienne dont il s’agit, et non d’une de ces crises qui ne serait pour certains que le résultat d’un récent désordre des marchés de la location et de la transaction. D’une crise qui se traduit aujourd’hui par un déséquilibre quantitatif impressionnant : un déficit en logements qui a franchi le cap du million d’unités dès 2013, dans le contexte d’une chute sévère de la construction qui se poursuivait encore en 2015.
Certes, on ne peut que s’accorder sur le chemin parcouru par le passé, lorsqu’on se rappelle par exemple qu’en 1970 près de 8 millions de logements (48.6 % du parc de résidences principales) étaient très inconfortables … et qu’ils n’étaient plus que 200 000 en 2013 (0.7 %). Les conditions de logements se sont formidablement améliorées, mais de nouvelles exigences sociétales ont vu le jour telles, par exemple, celles qu’imposent la lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de GES : plus de 6.5 millions de logements peuvent être considérés comme énergivores, 14.6 % des ménages (3.9 millions de ménages) sont en situation de vulnérabilité énergétique pour leur logement … Et à cet égard, les inégalités territoriales sont considérables : l’espace rural est particulièrement affecté, alors qu’en dehors des grandes métropoles les collectivités locales peinent à mobiliser les ressources nécessaires pour faire face. D’autant que les moyens publics mobilisés ne sont pas à la hauteur du défi quantitatif soulevé.
Car à force de ne pas avoir assez construit, une partie du parc bascule dans l’obsolescence. Mais les désordres ne s’arrêtent pas là : faute de logements en quantité suffisante, les exclusions du et par le logement se renforcent, des emplois ne sont pas créés, les entreprises butent sur le manque de logement lorsqu’elles souhaitent se développer ou élargir leur périmètre d’action économique, l’activité économique générale en est pénalisée, les délais de transport entre domicile et travail se sont allongés …
D’autant que si le diagnostic est souvent partagé et les voies pour le réaliser éclairées, l’objectif est fréquemment remis en question. Il n’y aurait plus nécessité de construire beaucoup à l’avenir, les besoins en logements n’étant pas à la hauteur des annonces : les estimations ressorties à l’occasion chiffrant à 350 000 voire un peu plus le niveau de la construction nécessaire pour les prochaines années. Et la référence au déficit en logements qui se serait créé au cours des 30 dernières années, à raison de l’insuffisance de la construction qui faisait jusque-là consensus, n’est guère considérée. Alors que pour d’autres, il faut construire 500 000 logements pendant un (voire deux) quinquennat(s) : et ce n’est qu’à cette condition que la crise du logement qui s’est durcie depuis 2012 pourra être vaincue.
Ariane Artinian : Mais tout cela n’est pas nouveau. Depuis nombre d’années déjà le discours public n’a de cesse que de le répéter…
Michel Mouillart : Tout cela est connu, bien sûr, et les remises en cause d’objectifs ambitieux pour la politique du logement ne sont pas récentes. Pourtant il est toujours aussi difficile de comprendre pourquoi une telle situation de déséquilibre quantitatif perdure : surtout que des décisions publiques mal fondées n’ont rien arrangé à cela, dans un passé récent (comme, par exemple, la remise en cause des aides à l’accession à la propriété ou l’encadrement des loyers) ! Bien sûr, la construction n’est pas le seul levier par lequel on peut assurer une bonne adéquation entre la recherche d’un logement et l’offre présente sur un territoire ! Néanmoins, après plusieurs décennies d’insuffisance de la construction, le déséquilibre entre l’offre et la demande est massif : partout, même en zone C ou dans les communes rurales où la seule possibilité des demandes nouvelles pour se loger était une accession à la propriété qui a été martyrisée … sans qu’une offre locative sociale (notamment) ne soit venue en substitution !
Le chemin qui reste à parcourir semble donc encore très long, pour atteindre cet objectif partagé par celles et ceux qui se préoccupent de la définition et de la mise en œuvre des politiques du logement : permettre à chacune et à chacun de se loger dans des conditions normales de dignité et de confort, tout en supportant une charge financière en adéquation avec le niveau de ses ressources. C’est pour cela que les participants aux Entretiens d’Inxauseta vont être attentifs aux propositions qui vont être faites dans le cadre des projets pour 2017.
Et ils espèrent aussi que les nombreuses questions qui se posent pourront être abordées, même en l’absence de réponses simples : comment tenir compte de la précarité des nouveaux emplois créés qui rendent difficiles voire quasi impossible l’accès à un logement (social ou privé), alors que les moyens publics mobilisables sont (très) rares et que les dispositifs assurantiels ont écartés par principe lors de la préparation de la loi ALUR ? Comment le modèle actuel de financement de l’offre locative sociale nouvelle peut-il imaginer à l’avenir répondre à la demande de logements qualifiés d’abordables, alors que la majorité des ménages à bas revenus (voire pauvres) sont actuellement logés par le secteur privé ? Comment concilier les contraintes qui sont nées des lois récentes (loi ALUR et loi relative à la transition énergétique) et la construction de maisons individuelles, alors que la relance de cette construction est indispensable pour relever durablement l’effort de construction ? Comment les dispositifs publics d’incitation à investir dans le locatif privé ou à accéder à la propriété peuvent s’adapter, alors que les contraintes nouvelles que le Comité de Bâle voudrait voir adopter vont lourdement pénaliser les investisseurs et la primo accession à la propriété des ménages jeunes ou modestes ? … Tout un programme, on le voit bien !