Menaces sur le financement du logement, tel étairMichel Mouillart, Professeur d’Economie à l’Université Paris Ouest a fait le point
Compte tenu des besoins de financement, aussi bien aujourd’hui que pour atteindre les deux objectifs 500 000 affichés par le Président de la République, quels sont les risques associés à la réforme envisagée ?
La question du financement de l’effort supplémentaire de construction (l’objectif annuel des 500 000 logements mis en chantier) et de la mise en œuvre de la LTE (l’objectif annuel des 500 000 rénovations énergétiques) mérite d’être posée.
En 2015, 122 Mds d’€ de crédits nouveaux versés hors rachats de créances dont 32 Mds pour le neuf et 6 Mds pour les travaux.
Atteindre les 500 000, c’est amplifier la relance de l’accession (+ 100 à 110 000 unités par an) et redynamiser le marché des travaux (+ 120 à 125 000 unités par an).
C’est augmenter de 50 % la production des crédits au neuf et aux travaux : + 16 Mds dans le neuf (160 K€ l’unité : 120 pour les moins de 2 SMIC, mais 220 pour les 5 SMIC et plus) et + 2 Mds pour les travaux (14 K€ l’unité).
Au-delà d’une mobilisation large et pérenne des ressources de financement, c’est la question de l’adéquation de ces ressources aux possibilités de remboursement des ménages qui est soulevée :
le relèvement du niveau de la construction c’est l’amplification de la primo accession, pour plus de 60 % vers des ménages modestes ! Pour cela, il faudrait soit un doublement inenvisageable (en l’état des finances publiques actuelles et futures) des aides à la primo accession, soit des augmentations rapides et peu probables du pouvoir d’achat, soit le maintien des conditions actuelles de crédit : et, notamment, des prêts à taux fixes et bas sur de longues durées … ce que le modèle français de financement du logement a permis jusqu’à présent ;
la massification de l’effort de rénovation énergétique nécessitée par la mise en œuvre de la LTE suppose aussi un recours à des crédits … accessibles à des ménages modestes !
Tout cela est possible : tant sur les effectifs ou sur les masses à financer que sur une ouverture plus large de l’offre sur les ménages modestes. C’est ce qui s’est observé durant les années 1995 à 2007 : pour l’accession (+ 90 % durant cette période, avec une proportion de ménages modestes qui passe de 45 à 50 %), pour le total de la construction, pour la masse des crédits, pour les travaux réalisés …
Le modèle français du financement du logement qui a permis de traverser deux crises économiques majeures sans casse sociale ni crise bancaire, a su montrer sa souplesse et sa réactivité lors des reprises du marché : en 2010, en 2013 et aujourd’hui … comme les entreprises du secteur de la construction et de l’amélioration entretien, d’ailleurs.
Et il a su faire face à des crises n’ont pas eu pour origine l’exubérance des marchés immobiliers français, des prix de l’immobilier excessifs ou le gonflement d’une bulle des prix. Elles n’étaient pas non plus dues à un dysfonctionnement du système bancaire français. Elles ont été provoquées par des désordres monétaires et financiers … venus d’ailleurs.
D’ailleurs le modèle français de financement du logement a montré sa solidité. Le taux de créances douteuses (la part de l’encours des crédits à l’habitat rangés en crédits douteux) n’a guère dérapé durant les années de crise : et pour les crédits immobiliers, ce taux (1.5 %) est aujourd’hui 2.5 moindre que pour l’ensemble des clientèles (3.8 %). Pour l’année 2013, l’ACPR estimait que le coût final du risque représentait 0.065 % de l’encours !
Si maintenant on rapproche le nombre de ménages détenant des crédits immobiliers et ayant déposé un dossier de surendettement recevable et le nombre total de ménages détenant des crédits immobiliers, on peut estimer qu’en 2014, 0.17 % de ces ménages sont entrés pour la première fois dans une procédure de traitement du surendettement.
Il est donc peu probable que par lui-même l’endettement immobilier (et notamment celui dédié à l’accession à la propriété) fasse peser un risque potentiel de sinistralité élevé sur le secteur bancaire et financier français.
Il ne devrait donc pas y avoir matière à alarmer, à durcir des dispositifs d’encadrement et de contrôle qui ne débouchent finalement que sur la mise en œuvre d’un rationnement quantitatif de la demande et sur le développement de mécanismes d’exclusion.
D’autant que les tests de résistance et l’évaluation complète des bilans bancaires réalisés par la BCE de novembre 2013 à octobre 2014 ont souligné « la capacité des banques à absorber les chocs en situation de crise sévère » : même dans le cas du scénario stressé (adverse), calibré par la BCE pour refléter les risques les plus susceptibles d’affecter la stabilité du secteur financier européen, avec des prix de l’immobilier ancien qui chutent de 28 % et des taux longs (OAT à 10 ans) qui remontent de près de 300 points de base ! Donc une situation bien pire que celle qui motive la nécessaire réforme appelée de ses vœux par le Comité de Bâle.
Le modèle de production des crédits immobiliers est ainsi celui d’un marché de masse solide, largement ouvert sur tous les ménages et sécurisé, tant pour les emprunteurs que pour les établissements de crédits. Par exemple, sur l’ensemble de la période 2001-2014 :
les banques ont accordé plus de 26 millions de prêts immobiliers aux ménages, dont 6 millions pour la réalisation d’opérations dans le neuf ;
ces prêts ont permis de financer près de 18 millions d’opérations immobilières, dont près de 4 millions dans le neuf. Les banques ont ainsi financé plus des ¾ des mises en chantier (hors construction locative sociale) réalisées durant ces années ;
pour cela, ce sont 1635 Mds d’€ de crédits nouveaux qui ont été distribués (soit pratiquement le PIB moyen des années 2001 à 2014), dont près de 484 Mds d’€ pour financer des opérations dans le neuf.
A la fin de l’année 2014, on comptait donc 8.7 millions de ménages détenant des crédits immobiliers pour un encours estimé à près de 923 Mds d’€ par la Banque de France.
Alors que le risque de taux des établissements de crédit français ne doit pas être surévalué :
si depuis le début des années 2010 la durée moyenne des crédits immobiliers accordés est de l’ordre de 18.5 ans, la durée théorique moyenne de l’encours est de 10 ans ! Parce que les ménages revendent (par choix ou par contrainte) bien avant la fin du prêt, parce qu’ils renégocient fréquemment les conditions de remboursement de leurs crédits. Depuis le milieu des années 80, par exemple, les ménages utilisent les périodes de baisse des taux des crédits pour pratiquer une « gestion active » de leur dette immobilière : et la dette qui subsiste en sortie de période de baisse des taux a généralement fortement rajeunie. Dans la majorité des cas, il n’y a donc pas lieu de prévoir un refinancement des crédits en cours sur 20 ans, mais sur une durée sensiblement plus courte, de l’ordre de 10 ans ;
en outre afin de déterminer leur risque de taux, les établissements de crédit considèrent habituellement que les dépôts à vue non rémunérés de leurs clients sur lesquels leurs prêts immobiliers sont adossés sont stables, avec une durée de vie estimée entre 7 ans et 10 ans. Mais les autorités monétaires estiment pour leur part que la maturité théorique ne peut être aussi grande : d’après elles, elle ne devrait pas excéder 5 ans. Si à la suite des décisions que le Comité de Bâle prendra il fallait adopter cette nouvelle règle, il est clair que le gap de taux serait coûteux pour les établissements de crédit, sans que cela ne paraisse justifié.
Mais alors, s’il y a aussi peu de risques, pourquoi ce besoin de réformer ?
Si les risques sont négligeables, si le système bancaire est solide, où peut donc bien être le problème ?
C’est la spécificité du modèle français de financement du logement qui fait tache : des taux fixes et bas sur des durées longues, l’absence de transfert du risque aux emprunteurs et/ou aux investisseurs à la différence des modèles de titrisation généralisée, l’évaluation de la capacité de remboursement du prêt par l’emprunteur comme le recommande le Parlement Européen (Directive 2014/17/UE du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel) et non l’évaluation de la valeur du gage, … rien de tout cela ne respecte les règles culturelles et les standards des régulateurs bancaires du Comité de Bâle qui estiment maintenant nécessaire de s’assurer que les établissements bancaires ont bien la capacité à faire face à un risque de taux contenu dans leur portefeuille de créances.
Tel est le danger, voir le modèle français de financement du logement se dissoudre dans le modèle « anglo-saxon » et les conditions de financement du secteur du logement se dégrader, tant en prix qu’en volume.
Et le risque est d’autant plus grand que le discours si souvent repris semble l’appeler de ses vœux. Le financement bancaire du logement est accusé de tous les maux :
Les durées de prêts sont trop longues et conduisent au surendettement : alors qu’une durée longue lors de l’octroi du prêt permet de faire accéder des ménages modestes … qui rembourseront en général deux fois moins longtemps que ce que prévoyait le contrat d’origine.
On se souvient aussi de certains titres d’articles évoquant, il y a quelques années de cela, « les subprimes à la française ».
Certains n’ont de cesse de tenir la baisse des taux d’intérêt pour responsable de la hausse des prix de l’immobilier …
Et tout cela, sans jamais expliquer qui financera si les banques ne le font pas ou trop peu : l’Etat peut-être, la Caisse des Dépôts ou les ménages eux-mêmes devenus subitement tous riches ?
Finalement, la persistance du Comité de Bâle à vouloir « réformer » notre modèle de financement du logement ne peut que susciter des craintes : les régulateurs ont en effet lancé une consultation sur le « risque de taux dans le portefeuille bancaire » qui restera ouverte jusqu’en septembre 2015.
A l’issue de la consultation, le Comité devrait « trancher » entre deux options :
l’instauration d’une surcharge minimale de fonds propres destinée à couvrir le risque de taux : ce qui reviendrait à inclure des nouvelles règles dans le « pilier 1 » de la régulation bancaire et les rendrait uniformes et obligatoires pour tous et partout. La méthode de calcul du risque de taux qui serait alors choisie par les superviseurs serait commune à tous les pays laissant peu de place à la prise en compte des spécificités de chacun des modèles de financement nationaux ;
l’instauration d’une surcharge discrétionnaire décidée par les superviseurs bancaires nationaux : donc leur inscription dans le « pilier 2 », ce qui laisse de fait de la latitude aux autorités nationales.
Jusqu’alors, le Comité de Bâle a laissé aux régulateurs nationaux la responsabilité de la surveillance et du calcul du risque de taux d’intérêt, en tenant compte des spécificités de leur modèle propre: le risque afférent est appréhendé dans les normes de Bâle III, c’est le modèle actuel du «pilier 2».
Et derrière le modèle actuel du « pilier 2 » se trouve la spécificité du modèle français : en procédant comme elles le font aujourd’hui, les banques peuvent proposer à leurs clients des taux fixes et bas sur des durées longues, puis elles se couvrent contre les variations de taux. Elles portent donc seules les risques de taux que les régulateurs (dont nos autorités monétaires) veulent faire reposer sur l’emprunteur en basculant sur le modèle du « pilier 1 ». Mais si le risque de taux des banques françaises devait être revu en hausse, les prêteurs auraient le choix entre se couvrir davantage ou mobiliser plus de fonds propres.
Et bien sûr, ce nouveau modèle s’appuierait sur une titrisation généralisée … mais finie la souplesse du mécanisme de la caution solidaire qui a permis, en France, de développer un modèle de « production de masse » (donc non producteur d’exclusions) et solide.
Il convient néanmoins, à cet égard, de distinguer un modèle de titrisation généralisée tel celui auquel le Comité de Bâle peut faire référence, d’une recherche de souplesse dans la gestion des bilans des banques, en allégeant le poids des financements très longs, comme les normes réglementaires les y incitent, tout en récupérant des liquidités. C’est d’ailleurs dans cette seconde voie que le gouverneur de la Banque de France a souhaité que les banques s’engagent : alors que pendant plusieurs années la pratique de la titrisation avait été mise en sommeil en France, (très) souvent assimilée à la crise américaine des subprimes. Avec des arrières pensées sans doute, puisque même s’il ne s’agissait que d’une titrisation partielle (de 20 à 25% des emprunts immobiliers résidentiels accordés), il est à craindre qu’une des conséquences ne soit l’augmentation des taux des crédits immobiliers : les crédits immobiliers sont trop souvent faiblement margés du point de vue des investisseurs et ne peuvent en l’état actuel que leur proposer un rendement insuffisamment attractif ; d’autant que ces investisseurs sont plutôt habitués aux crédits garantis par une hypothèque, alors que le crédit hypothécaire entendu au sens strict n’est pas la règle générale en France ; et que l’augmentation des taux sera accompagnée « presque sûrement » par un raccourcissement des durées et une sélection (marquée) des clientèles servies … On conçoit dès lors que la voie de la titrisation ne puisse être que périlleuse.
Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement.
L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011.
En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001.
Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015).
Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère.
Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement.
Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.