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Faut-il vraiment une « France de propriétaires » ?

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photo : Fabrice Larceneux, chercheur CNRS

Le taux de propriétaires ne rime pas forcément avec richesse nationale. Et pourtant, l’État a tout fait pour se désengager du logement. 

L’accession à la propriété est considérée com- me le symbole de la réussite, l’aboutissement du « rêve américain » qui s’est généralisé dans toutes les sociétés occidentales dites développées. Des études montrent que la majorité des citoyens perçoivent la propriété comme le meilleur moyen de créer de la richesse. Mais plus encore, les cher- cheurs ont établi que la propriété améliore le sens civique et le taux de participation aux élections, et qu’elle apporte une meilleure estime de soi, un meilleur environnement social avec de meilleures conditions sociales et moins de crimes (notamment aux États-Unis), etc. Cette vision, très enracinée dans nos sociétés occidentales, est portée par nos représentants. Exprimée clairement par Nicolas Sarkozy avec le « Je veux une France de propriétaires », cette volonté de l’État soutenue par les différentes aides (PTZ, etc.) pour aider les primo-accédants s’articule avec l’idée populaire que payer un loyer « c’est jeter de l’argent par les fenêtres ».

Taux de propriétaires et PIB par habitant

Roumanie 96,6 % (7 542 $)Lituanie 91,9 % (11 043 $)Hongrie 90,5 % (12 879 $)

Slovaquie 90,4 % (16 103 $)

Croatie 89,5 % (13 720 $)

Bulgarie 87,4 % (6 334 $)

Norvège 84,8 % (84 443 $)

Malte 83,1% (19 746 $)

Pologne 82,4 % (12 300 $)

Estonie 82,2 % (14 835 $)

Lettonie 81,2 % (10 694 $)

Italie 74,1 % (34 058 $)

Finlande 73,9 % (44 488 $)

Chypre 73,2 % (28 236 $)

Luxembourg 70,8 % (108 831 $)

Suède 69,9 % (48 874 $)

Grande-Bretagne 67,9 % (36 119 $)

Pays-Bas 67,5 % (47 172 $)

Danemark 64,3 % (56 147 $)

France 63,7% (41 018 $)

Allemagne 53,3 % (40 631 $)

Suisse 43,8 % (67 245 $)

 

Pourtant, au-delà du phénomène de location bourgeoise que l’on constate actuellement, certains chercheurs ont montré qu’en termes économiques, les individus pouvaient être largement gagnants à rester locataires, sous réserve d’une gestion rigoureuse de l’épargne dégagée. La plupart des gens préfèrent cependant être propriétaires de leur résidence principale car cela a l’avantage d’obliger à une épargne forcée et apporte un confort psychologique de réassurance en période de crise : « C’est du concret, au moins j’ai un toit à moi ». Mais l’accession à la propriété est une voie sans retour : il existe un effet de cliquet qui veut qu’une fois qu’un individu accède à la propriété, il lui est très difficile de redevenir locataire (4 % des propriétaires deviennent locataires dans les deux ans outre-Atlantique). Il faut donc être sûr que cet idéal soit performant d’un point de vue économique.

Cette idée que la propriété immobilière constitue l’accomplissement d’une vie réussie, est en partie le résultat de la révolution industrielle et de la croissance de la classe bourgeoise pour laquelle la famille nucléaire (couple et enfants) se conçoit au sein de la maison qu’elle possède. Avant le XIXe siècle, le travail était essentiellement dans et autour d’une maison qui accueillait différents membres de la famille et d’autres personnes, travailleurs occasionnels ou pensionnaires. L’organisation de la maison était fondée davantage sur la sociabilité que sur la vie privée. Avec le transfert du travail dans des zones de production situées hors du logement, l’idéologie de la propriété privée s’élargit au reste de la société. Par exemple, s’appropriant le concept de « Homeland », i.e. la patrie, la classe dirigeante anglaise cherche à promouvoir une forme de nationalisme et de patriotisme, volontairement reliée au niveau familial nucléaire et à la propriété de la résidence principale à protéger. À cette période, la confusion est fortement entretenue entre le « House », le bâti, et le « Home », le chez-soi et la famille. Accompagnant le mouvement individualiste, c’est la logique de l’accroissement du capital individuel, constituant de l’activité économique et de la croissance, qui se généralise. Avec les années 60, les gouvernements français ont ainsi progressivement transféré le « bien-vivre ensemble » vers le logement individuel et la famille nucléaire pour le sortir de la responsabilité de la sphère de l’État et desinstitutions. L’expansion des classes moyennes pendant cette période et le désinvestissement de l’État dans le logement expliquent en partie l’augmentation du nombre de propriétaires, avec l’idée que la propriété constitue la brique fondamentale de l’aboutissement d’une famille. Être propriétaire de ses murs est devenu un constituant de l’identité personnelle, du statut social, de la sécurité personnelle et familiale, bref l’affichage de la réussite. Pourtant, il est des chiffres qui questionnent cette logique implacable. Quel lien existe-t-il entre la richesse nationale et le taux de propriétaires ? Un lien fort et positif, serait-on tenté de répondre. Et pourtant, il est effectivement fort, mais inverse. Il est même de – 0,56 en Europe : les pays qui ont le plus fort taux de propriétaires (Roumanie, Bulgarie, etc.) sont ceux qui ont le plus faible PIB par habitant. À l’inverse, les pays qui créent le plus de richesses affichent un taux de propriétaires beaucoup plus faible (Suisse, Allemagne, etc.). Il ne s’agit pas d’en déduire une relation de cause à effet, mais au moins une occasion de repenser notre propre idéologie de l’accession à la propriété comme condition et horizon d’un grand pays développé.

Source : « Lessons from Over 30 Years of Buy versus Rent Decisions : Is the American Dream Always wise ? », Elie Beracha & Ken H. Johnson (2012), Real estate Economics, 40, 2, 217–247. 

Fabrice Larceneux

Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.
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