Le marché de l’ancien a repris des couleurs en 2024. Mais les perspectives économiques et financières pour 2025 se sont dégradées depuis le renversement du gouvernement Barnier. La montée des incertitudes induites va alors peser sur la poursuite du redressement de l’activité. Analyse de la conjoncture par Michel Mouillart.
Avec l’amélioration des conditions de crédit et le regain de l’offre bancaire, le marché des crédits immobiliers a confirmé son redressement. Le marché de l’ancien en a pleinement bénéficié, même si le profil des clientèles a rapidement évolué. Mais la montée des incertitudes générées par la dissolution de l’Assemblée nationale et surtout par le renversement du gouvernement Barnier sont venues bouleverser les perspectives économiques et financières pour 2025 et 2026. Et les conditions de crédit risquent de ne plus s’améliorer que doucement à partir de l’été prochain.
Même si le retour de la récession est à exclure, la remontée des ventes de logements anciens devrait nettement ralentir. Et leur évolution sera lente, voire très lente dans les prochaines années.
Amélioration rapide des conditions de crédit en 2024
En 2024, le marché des crédits immobiliers a bénéficié d’un environnement favorable : au-delà des incertitudes politico-économiques qui se sont renforcées (tant au niveau intérieur qu’au plan international), l’amélioration des conditions de crédit (baisse des taux des crédits immobiliers, allongement des durées des prêts) et le regain de dynamisme d’une partie des banques ont accompagné le redressement des intentions d’achats immobiliers des ménages et alimenté l’augmentation de leur demande de crédits immobiliers. Aussi, après un début d’année incertain, avec une production de crédits immobiliers toujours en recul, l’activité a commencé à se ressaisir au cours du printemps et l’année s’est terminée beaucoup mieux qu’elle n’avait commencé. Le retournement de conjoncture amorcé au cours du printemps s’est confirmé.
L’amélioration des conditions de crédit a été remarquable, bien sûr : avec des taux qui s’établissent à 3,32 % en décembre d’après l’Observatoire Crédit Logement/ CSA, la baisse a été de 88 points de base (pdb) en un an. Et la durée des crédits accordés s’est affichée à 252 mois en décembre, à son niveau le plus élevé observé jusqu’alors. Mais tout cela n’est pas suffisant pour expliquer le rebond du niveau de la production de crédits, avec un nombre de prêts à l’ancien en augmentation de 7,2 % sur un an.
Car la remontée du prix des logements anciens s’est amorcée en 2024 d’après le Baromètre LPI-iad : cela a atténué l’efficacité attendue de l’impact des modifications des taux et des durées sur la solvabilité des emprunteurs. Ainsi l’annuité de remboursement moyenne pour un emprunt de 100 000 euros, par exemple, est certes inférieure de 9,8 % à son niveau de décembre 2023, mais elle reste plus élevée de 8,6 % par rapport à décembre 2022 et surtout de 20,1 % par rapport à décembre 2021, avant que les conditions de crédit ne se détériorent en réponse à la décision de la BCE de revenir sur sa stratégie de soutien aux économies de la zone euro.
En revanche, l’apport personnel moyen mobilisé par les emprunteurs a reculé depuis le début de 2024. Le taux d’apport personnel est revenu deux années en arrière à son niveau de l’automne 2022 : cela a permis d’élargir sensiblement la taille du marché sur laquelle le resserrement de l’accès au crédit décidé par la Banque de France avait jusqu’alors lourdement pesé. Mais le profil des clientèles s’est transformé en 2024 : jusqu’alors, les banques s’étaient efforcées de consolider (voire même de développer) la place des jeunes et des acheteurs modestes dans le marché par des offres spécifiques ; mais depuis le début de 2024, la situation s’est rapidement modifiée avec le retour des ménages plus aisés (cadres supérieurs et professions libérales) en réponse à la réapparition des tensions sur les prix des logements dans les grandes villes.
Mais dégradation de l’horizon économique et financier en 2025
La plupart des scénarii macroéconomiques récents pour les années 2025 et 2026 présentés par les établissements bancaires s’accordent sur un nouveau ralentissement de la croissance. Ils estiment que l’économie française devrait souffrir d’un climat d’incertitudes renforcé et d’une BCE plus prudente qu’en 2024, dans le contexte d’un probable resserrement budgétaire. Ils dégradent donc l’état prévisionnel de l’économie française, bien au-delà des scénarii de faible croissance présentés en 2024. Car tous ces scénarii insistent sur le fait que les risques pesant sur les perspectives économiques présentées vont se renforcer : du fait notamment d’une dégradation accrue de l’environnement socio-politique avec les conséquences que beaucoup redoutent sur le processus budgétaire, ainsi que sur l’attentisme des entreprises et des ménages ; sans oublier que les tensions géopolitiques devraient rester élevées ; et lorsque l’incertitude de politique intérieure actuelle aura été levée, l’orientation de la politique budgétaire sera plus restrictive et pèsera un peu plus sur la demande intérieure, avec le risque de rajouter une dose supplémentaire d’attentisme aux incertitudes actuelles.
La croissance économique va donc ralentir (+ 0,7 % en 2025, puis + 0,8 % en 2026) et le taux de chômage remonter assez rapidement, pour s’établir au-dessus de 8 % dès 2026. Dès lors, la croissance du pouvoir d’achat des ménages va rester faible. Et le ralentissement de l’inflation reste la seule bonne nouvelle de ce scénario : l’inflation devrait redescendre sous les 2 % à la fin du printemps 2025, pour s’établir à 1,70 % fin 2025 et s’y maintenir.
Aussi, la BCE va poursuivre la baisse de ses taux débutée en 2024 : celle-ci serait de l’ordre de 75 pdb en 2025, à un rythme trimestriel et avec probablement un coup de pouce supplémentaire en fin d’année comme cela s’est constaté en 2024 afin de limiter le ralentissement économique de la zone euro. Néanmoins ces baisses ne seront pas suffisantes pour desserrer les contraintes pesant sur le financement bancaire de l’économie : même en ramenant son principal taux de refinancement à 2,25 % à la toute fin de l’année 2025, niveau auquel il se stabiliserait en 2026.
D’autant que compte tenu du climat d’incertitudes qui se renforce au fil des mois, le taux de l’OAT à 10 ans devrait se maintenir au-dessus des 3 %, au moins jusqu’à l’automne 2026.
Dans ces conditions, après être descendu à 3,32 % en décembre, puis à 3,24 % en janvier 2025 d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA, le taux moyen des crédits immobiliers reculerait encore en 2025, mais un peu moins rapidement qu’en 2024. Il finirait l’année 2025 à 2,85 %, niveau auquel il se stabiliserait en 2026.
La route vers des jours meilleurs sera longue
La dégradation du paysage politico-économique et de l’environnement financier, ainsi que les conséquences de la remise en cause des mesures en faveur du secteur du logement initialement prévues dans le PLF pour 2025 annulé à la suite du renversement du gouvernement Barnier devraient peser sur la poursuite du redressement du marché des crédits en 2025.
La progression de la production de crédits attendue en 2025 serait deux fois moins rapide que celle escomptée en octobre dernier (+ 10,7 %, contre + 20,7 %), lorsque la croissance semblait repartir et que le secteur du logement devait être redynamisé par les mesures présentées par la Ministre du Logement, Valérie Létard.
Le gap d’activité qui aurait alors été créé persisterait en 2026, même si son niveau se réduit légèrement. Mais dès 2025, la perte de production serait de l’ordre de 14 milliards d’euros (soit 10 % de la production de 2024).
Si dans ces conditions, un retournement de conjoncture des marchés immobiliers en 2025 paraît peu probable sur le marché de l’ancien ou sur celui des travaux d’amélioration-entretien et si les quelques améliorations observées sur le marché du neuf (sur les ventes aux particuliers des constructeurs de maisons individuelles notamment) vont perdurer, en revanche les évolutions de leur activité seront lentes, voire très lentes dans les prochaines années.
Sur le marché des travaux, l’activité risque de stagner en 2025 et peut-être en 2026.
Sur les marchés de l’ancien et du neuf, la progression d’activité restera limitée en 2025 : de l’ordre de 3 % au mieux sur ces deux marchés (si tout va bien, + 7 000 mises en chantier et + 20 000 achats d’ancien par des particuliers). Dans le neuf, par exemple, cela signifie qu’au mieux le niveau de la construction attendu en 2025 restera comparable à celui de 1954 ! Sur le marché de l’ancien, les achats réalisés par les particuliers ne devraient pas s’élever de plus de 3 % par an pour retrouver péniblement leur niveau de 2016. Et dans le neuf, le nombre de logements commencés reviendra fin 2026 au niveau qui était le sien en 1997.
Dans tous les cas donc, la dégradation de l’environnement économique et financier qui s’est constatée au cours de l’automne 2024, aggravée par l’incertitude renforcée avec le renversement du gouvernement Barnier, a nettement affecté le dynamisme renaissant des marchés immobiliers. Sans même faire référence à l’abandon (provisoire ou définitif, de tout ou partie ?) des mesures de soutien prévues lors de la préparation du PLF pour 2025, la perte d’activité devrait être de plus de 70 000 logements en 2025 et de l’ordre de 85 000 logements par an à partir de 2026.
Les annonces de François Bayrou lors de son discours de politique générale du 14 janvier 2025 concernent pour une petite partie d’entre elles le secteur du logement. Mais pour l’heure, il paraît difficile d’intégrer ces « mesures de soutien » et de modifier le scénario retenu, en l’absence des précisions nécessaires à un chiffrage des modifications à lui apporter. Tout au plus peut-on, en première analyse, considérer que ces mesures bénéficieront essentiellement au secteur de la construction, et plus précisément à l’accession à la propriété et à l’investissement locatif privé… à coût budgétaire (très) contenu.
Le scénario de l’automne dernier n’annonçait pas les jours heureux, mais simplement des jours meilleurs. La révision des hypothèses économiques et financières a assombri les jours à venir. Ce ne seront pas des jours de désespoir et de récession, mais ce seront seulement des jours probablement moins tristes que durant les dernières années.
Michel Mouillart
Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement.
L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011.
En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001.
Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015).
Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère.
Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement.
Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.