La pertinence de ce choix mérite une grande attention car il emporte des obligations. Analysons-le au regard de ce qui intéresse les banquiers prêteurs, grâce à l’éclairage de Bruno Rouleau.
Il y a des montages, des produits, qui rencontrent un intérêt par période, parce que leur pertinence se fond avec la conjoncture ou au travers des soutiens appuyés de professionnels du conseil, qui découvrent ou redécouvrent leurs avantages. La Société Civile Immobilière (SCI) est une illustration parfaite de cette affirmation.
Avec le blocage de l’accès au crédit constaté entre le début de l’année 2022 et le début d’année 2023, quelques banques, des notaires et des intermédiaires en banque et en patrimoine, se sont réintéressés à des montages financiers en utilisant le statut de la SCI pour contourner les plafonds de l’usure, puisque ce dispositif de protection du consommateur n’impacte que très spécifiquement les personnes morales, et donc les Sociétés Civiles.
Cependant, réaliser une acquisition immobilière par le truchement d’une société n’est pas neutre, que ce soit lors de sa constitution, mais surtout après l’achat du bien. La pertinence du choix de ce type de montage mérite quelques attentions, car il emporte des obligations et surtout le ou les biens acquis au manque de la société n’offre pas la même liquidité ni les mêmes qualités, en cas de revente, de modification du ménage, ou de nouveaux projets.
Je n’évoquerai ci-après que les conséquences sur la demande de financement et sur les aspects de risques qu’étudie une banque lorsqu’elle est sollicitée pour un projet via une SCI.
Pourquoi créer une SCI pour réaliser un achat immobilier ?
Si l’aspect juridique est affaire de spécialiste du Droit et du Conseil patrimonial, il est bon d’appréhender l’analyse que va avoir un conseiller bancaire ou un courtier en crédit face à la présentation d’un projet échafaudé ainsi. Il faut donc pouvoir déjà répondre à la question essentielle : pourquoi réaliser ce projet via une SCI ? Les réponses sont multiples : intérêt patrimonial de protection de son environnement familial, dissociation d’autres actifs du patrimoine détenus en direct, volonté de préparer une transmission, intérêt fiscal au regard du degré de parenté entre associés… bref, encore faut-il avoir un motif qui soit existant et exposé, avec un fondement patrimonial avéré.
Car le choix d’une société civile doit absolument répondre à un objectif patrimonial non commercial. Quand bien même les actifs détenus peuvent être professionnels à vocation commerciale, et sans que cela prive de pouvoir dégager des profits.
Ensuite, l’identification et l’identité des associés sont tout aussi importantes pour la banque. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le choix de la fiscalité des revenus qui détermine cela (impôt sur les sociétés ou impôt sur les revenus des personnes physiques), mais bien le lien parental entre les associés. La présence d’enfants, quel que soit le lien direct avec les associés adultes dans la SCI, est totalement possible. Autre information dont il faut tenir compte : une SCI ne peut être créée si elle ne compte pas au minimum deux associés (sauf cas très spécifiques en cours de vie de la société, ou la mise sous administration).
Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit qu’une SCI étant avant tout une personne morale sous forme de société, celle-ci doit répondre à des obligations inhérentes à toutes les sociétés : tenir une comptabilité, tenir une assemblée générale annuelle et avoir un siège social. Le trop souvent entendu « la SCI c’est nous, c’est pareil » n’est pas audible. C’est d’ailleurs parce que la SCI est bien une personne morale à part entière, détenant son propre patrimoine, que les actifs qu’elle détient ou détiendra, ne pourront pas bénéficier directement aux associés sauf à générer un abus de bien social. Il convient donc de s’interroger préalablement du devenir des actifs qui vont être logés dans la SCI.
Enfin – et je m’en tiens à ce qui intéresse le banquier prêteur – la sortie des actifs logés dans la SCI et leur disponibilité méritent là aussi d’envisager toutes les hypothèses avant l’opération. Et que dire des aléas de la vie de la société ou des contraintes liées à une liquidation de la SCI, surtout si celle-ci doit avoir lieu suite à un désaccord entre associés ?
Tout ceci pour rappeler que la création d’un statut d’associé doit être anticipée et que le recours à un notaire ou à un professionnel du patrimoine est le premier des conseils à donner. Le professionnel du crédit se renseignera pour savoir si cette démarche a été faite, afin d’être rassuré sur le degré de confiance qu’il peut mettre dans le projet qui lui est soumis.
Quels sont les risques qu’un distributeur de crédit doit mesurer et verrouiller économiquement ?
En matière de crédit, les banques sont confrontées à trois natures de risques : la défaillance (l’incapacité de l‘emprunteur à satisfaire à ses obligations de remboursement de l’emprunt), l’immobilisation (la difficulté à actionner les garanties ou à faire reprendre le cours du remboursement en cas de rupture du contrat de prêt), et enfin le défaut de conseil (la mise en responsabilité du professionnel sur un prêt où il n’aurait pas suffisamment verrouillé la qualité de l’analyse ou du montage à son octroi). Ces risques sont identiques pour toutes les formes de prêt et quel que soit le statut de l’emprunteur. La société civile présente cette particularité de se trouver au confluent des entreprises et des particuliers.
Le professionnel du crédit se doit donc d’analyser la demande de financement en tentant de se préserver sur ces trois natures de risque.
S’agissant tout d’abord du risque de défaillance, l’analyse va porter à la fois sur la capacité financière propre de la société civile emprunteuse et à la fois sur la capacité des associés à se substituer à la société. Pour mémoire, les associés d’une société civile sont engagés indéfiniment au prorata de leur participation dans le capital de la société mais sur leur patrimoine. Le professionnel du crédit va donc vérifier que le remboursement du prêt à contracter se fera par des revenus certains ou par des apports réguliers des associés. Il y aura donc une analyse de l’endettement et des capacités financières des associés.
Faisant le lien entre défaillance et immobilisation, le sujet des garanties est majeur. On commence logiquement par la valeur et la liquidité de la garantie sur l’actif financé au travers la demande de prêt, avec son lot de précautions inhérentes à celles-ci. Mais le prêteur va aussi sans aucun doute demander l’engagement personnel des associés en plus de leur engagement légal lié au principe même de la SCI. Cette caution sera d’ailleurs généralement solidaire pour renforcer la possibilité de se retourner vers tout ou partie des garants. Enfin, il sera aussi demandé le nantissement des parts de la SCI. L’enjeu est là moins la valeur des parts – puisqu’en cas de défaillance sur le prêt, il y a lieu de parier sur la possible défaillance des associés -, que d’assurer un droit de veto à la banque en cas de cession des parts ou en cas de changement d’associés. Cette garantie nécessite plus d’attention encore si parmi les associés, il y a d’autres personnes morales au capital.
« Le recours au financement via une SCI doit être explicable,
expliqué et accompagné de contreparties commerciales
pouvant séduire le banquier. »
Il convient ici de purger un débat permanent sur les délais de réflexion nécessaires à la mise en place d’un crédit consenti à une SCI. S’agissant d’une personne morale, les délais de réflexion ne s’appliquent pas. Mais comme les garants sont très souvent des associés ayant le statut de personnes physiques, ils peuvent opposer le droit à ce délai. La jurisprudence étant encore trop complexe et disparate, beaucoup de banques préfèrent ne prendre aucun risque et demandent à appliquer le délai des 10 jours avant déblocage.
Le risque de défaut de conseil enfin peut revêtir des sujets très divers, allant de la pertinence du montage ou du projet financé, au respect de l’analyse du risque, en passant par le recueil des informations, le conseil en assurance ou les vérifications administratives préalables. La responsabilité des professionnels du crédit, banquiers comme intermédiaires, est souvent recherchée afin de faire pression sur la valeur finale de la dette ou des pénalités.
Un contexte tendu : des conditions de crédit peu favorables au crédit à des SCI
Pour conclure, il faut observer que la conjoncture ne favorise pas les accords bancaires lors de l’étude d’un dossier monté en SCI. En effet, si les contreparties commerciales et financières sont facilement appréhendables par les banques face à des emprunteurs physiques, la négociation est plus complexe face à une société civile, pour peu que le seul actif à appréhender soit le bien objet du prêt sollicité. Une action auprès des associés est envisageable, mais le suivi de la mise en œuvre et du respect des engagements sera plus complexe puisque non lié à la personnalité de l’emprunteur. Qui plus est, imposer pour une banque de récupérer la relation commerciale intégrale avec l’ensemble des associés, pourrait facilement être contesté en cas de litige, au motif d’un abus de position.
Autant dire qu’en ces temps un peu confus, le recours au financement via une SCI doit plus que jamais être explicable, expliqué et accompagné de contreparties commerciales (directes ou indirectes) pouvant séduire le banquier, dont la seule mise en place d’un crédit n’aura pas grand intérêt.
Bruno ROULEAU ex Président de l'APIC. Diplômé du CNAM dans le domaine bancaire, il a exercé durant 20 ans au sein de 4 groupes bancaires, où il a occupé toutes les fonctions opérationnelles sur les marchés du Particulier, du Professionnel et des PME. Il a ensuite rejoint l’enseigne de courtage en crédits In&Fi Crédits pendant 5 ans, avec la fonction de Directeur Associé, en charge de la Formation, de l’Assistance et des Partenariats, et a créé In&Fi Crédits Pro et l’IFIB (Institut de Formation des Intermédiaires de Banque) aux côtés de Pascal BEUVELET. En 2010, il rejoint le Comité de Direction Générale, puis le Comité Exécutif de CAFPI, en charge des Grands Accords commerciaux du groupe et de l’Organisation Interne. Il a créé MUTANS CONSULTANTS en septembre 2015, cabinet de formation et de conseil qui accompagnait les entreprises et les réseaux dans leur virage digital, et notamment pour optimiser leur mutation dans la gestion de la Relation Client. Revenu dans le monde du courtage en 2018, il a d’abord retrouvé IN&FI Crédits comme Directeur des Partenariats et porte-parole, avant de passer chez La Centrale de Financement comme Secréta ire Général, et est désormais porte-parole et ancien Directeur de la Stratégie et de l’Innovation chez AFR Financement.