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«Nous n’avons constaté aucune annulation de projet immobilier depuis le début du conflit en Ukraine», Philippe Buyens, Capifrance
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les armées russes, le monde est en effroi. Entre la hausse des matières premières, le sentiment d’inquiétude lié au climat d’incertitudes ou encore l’instabilité des bourses, les conséquences nées du conflit pèsent-t-elles aujourd’hui sur le marché immobilier français ? L’analyse de la situation avec Philippe Buyens, directeur général de Capifrance.
Quels sont les risques d’impact de la Guerre en Ukraine sur les investissements en France ?
Il faut distinguer clairement le marché du neuf et le marché de l’ancien car les conséquences ne sont pas les mêmes. A court terme, c’est en effet l’immobilier neuf qui va être impacté par l’augmentation des prix des matériaux et des matières premières. Alors que les prix sont déjà actuellement globalement assez élevés, cette situation risque de poser un problème dans la fixation des grilles des programmes. Pour absorber ce coût supplémentaire, il est probable que les promoteurs décident de le reporter sur le prix des biens à la vente. Cette augmentation pourrait se répercuter d’ici 12 à 24 mois.
Du côté du marché de l’ancien, les impacts devraient être plutôt indirects. Ainsi, le prix des carburants qui a beaucoup augmenté pourrait éventuellement faire réfléchir certains Français sur la localisation de leur futur logement. Alors qu’il y a eu l’année dernière une volonté affirmée des acquéreurs de s’éloigner des grands centres urbains, les nouveaux porteurs de projets pourraient chercher à réduire leur trajet et ainsi économiser en carburant. Mais comme en même temps, il y a un développement du télétravail, on devrait assister un rééquilibrage sur le marché.
Ce conflit ne risque-t-il pas de jouer sur le moral des Français et de les freiner dans leur volonté d’acquisition ?
Depuis le 24 février, nous n’avons pas assisté à une baisse de notre trafic sur notre portail immobilier ni constaté de changement significatif de comportement. Nous recevons ainsi autant de demandes de renseignements que l’année dernière à la même période. Au contraire, nous avons même battu un record d’audience depuis le début du mois de mars sur notre moteur d’estimation Drimki. Les internautes n’y vont pas par hasard ou par simple curiosité, ils ont bien derrière un projet immobilier. Il faut dire que le moteur principal des Français dans le cadre de l’acquisition de leur logement principal est plus lié à des évènements de vie, qu’ils soient positifs ou négatifs, tels qu’une naissance, un divorce, une mutation professionnelle ou encore une succession. Il y a donc peu de chance que la guerre en Ukraine les stoppe dans leur projet alors qu’ils sont condamnés à changer de logement. Seules des personnes qui sont dans une situation d’opportunité, sans caractère d’urgence à engager un processus de mise en vente ou d’achat, pourraient éventuellement décider de différer leur projet pour voir un peu comment les choses vont évoluer. Pour notre part, nous n’avons constaté aucune annulation de projet immobilier depuis le début du conflit en Ukraine.
Ce conflit pourrait-il avoir un impact par rapport à l’octroi de crédits et provoquer une remontée des taux ?
Nous assistons à une légère remontée des taux mais celle-ci était attendue. Sans cette guerre en Ukraine, il paraissait peu probable de pouvoir rester avec des taux à moins de 1 % pendant encore longtemps. Aujourd’hui, le coût de l’argent reste encore très inférieur à l’inflation. Même s’ils risquent d’augmenter encore un peu, je pense qu’en parallèle les prix qui ont connu de fortes hausses sur ces deux dernières années, vont commencer à se stabiliser pour revenir à des valeurs plus raisonnables. L’impact pourrait donc être en réalité positif pour les acquéreurs.
Quant aux banques, elles sont déjà pas mal prudentes et les prêts immobiliers ne sont pas les plus risquée pour elles puisqu’il y a derrière des garanties bancaires. Par ailleurs, le Haut Conseil de stabilité financière avait déjà durci les contraintes d’octroi de crédits bien en amont du conflit. Ce dernier ne devrait donc pas changer la donne.
Selon vous, l’heure est donc à l’optimisme pour l’activité immobilière en France ?
Je pense que nous pouvons être raisonnablement optimistes. Le rapport annuel du gouverneur de la Banque de France qui vient de paraître indique ainsi que dans une version dégradée de la guerre en Ukraine, la croissance de la France serait entre 2,5 et 3 %. Certes, c’est un peu moins que la croissance prévue à l’origine, mais il y a encore 5 ans, tous les chefs de gouvernement auraient été très heureux d’avoir une croissance à ce niveau-là. Autres signes positifs, l’emploi se porte bien et la consommation des Français n’a pas baissé depuis le début du conflit.
S’il réside bien évidemment un climat d’inquiétudes naturel plus ou moins fort suivant la sensibilité des individus, après deux ans de crise sanitaire pendant lesquels ils ont beaucoup épargné, les Français vont avoir envie de profiter de la vie, de partir en vacances, mais aussi d’investir dans des valeurs refuges, comme la pierre. Après une année 2021 qui a été en surchauffe, nous allons revenir à des niveaux plus raisonnables. Côté transactions, nous constatons ainsi que le démarrage de 2022 est supérieur à celui de 2020 et 2019. Nous devrions donc terminer l’année autour d’un million de transactions.