Les notions de destination et d’usage sont souvent sources de confusion, mais une chose est sûre, ni elles ne couvrent la même réalité, ni elles ne renvoient à la même réglementation : tandis que l’usage vise l’utilisation qui est faite d’un bien, la destination a pour objet la construction elle-même.
Différencier l’usage et la destination
En effet, l’usage d’un bien correspond à ce à quoi il est utilisé, et relève à ce titre du Code de la construction et de l’habitation. Au regard de la réglementation, il n’existe que deux catégories d’usages : les logements et tous les autres types de bâtis non destinés à l’habitation. La destination d’un bien quant à elle, est régie par le droit de l’urbanisme et correspond à ce pour quoi une construction est édifiée. Elle observe ainsi un lien direct avec les indications figurant sur les demandes d’urbanisme relative au bien (déclaration préalable de travaux, permis de construire).
Si on ne distingue que deux catégories d’usages, l’article R.151-27 du Code de l’urbanisme https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031720593/ fixe cinq destinations différentes (1° exploitation agricole et forestière, 2° habitation, 3° commerce et activités de service, 4° équipements d’intérêt collectif et services publics, 5° autres activités des secteurs secondaires et tertiaires). Ces cinq destinations peuvent par ailleurs être déclinées en 21 sous-destinations (article R.151-28 du même Code https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041525837/).
La notion de destination en copropriété
Afin de corser l’approche, le statut de la copropriété vient obscurcir cette notion de destination du bâti, puisqu’en matière d’immeubles collectifs, c’est, en règles générales, le règlement de copropriété qui, au-delà du Code de l’urbanisme, la définit (article 8 loi de 1965 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000041587248 ). Il peut même aller jusqu’à lui attribuer une destination spécifique et purement conventionnelle. C’est le cas par exemple des résidences de services. Mais trop souvent, il ne révèle la destination de l’immeuble que de manière incidente à travers l’affectation accordée à chaque lot. La Cour de Cassation est ainsi venue préciser que faute d’un règlement de copropriété précis, il convient de se reporter à l’état descriptif de division.
La clause d’habitation bourgeoise
Apparaît dès lors, en guise de destination, la fameuse clause d’habitation bourgeoise, tantôt simple, tantôt exclusive. La clause d’habitation bourgeoise exclusive est de portée très stricte puisqu’elle ne destine l’immeuble qu’à l’habitation et exclut toute activité même libérale. La clause d’habitation bourgeoise simple, quant à elle, est de conception plus large et tolère l’exercice d’une activité professionnelle libérale, mais jamais commerciale. La précision n’est ici pas anodine, notamment avec l’envol du marché de la location meublée type Airbnb. En effet, ce type de location relève d’une activité para-hôtelière, assimilée à une activité commerciale, et il semble incohérent de la tolérer dans les immeubles à destination d’habitation bourgeoise simple et encore moins dans ceux à destination d’habitation bourgeoise exclusive.
On le voit, la destination de l’immeuble revêt dès lors un intérêt particulier, celui de pouvoir exercer ou non, d’admettre ou non, une activité commerciale. Elle est en outre au cœur de l’articles 8 de la loi de 1965 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000041587248 qui précise qu’on ne peut restreindre le droit de chaque copropriétaire sauf s’il va à l’encontre de la destination de l’immeuble. En d’autres termes, la notion de destination s’impose comme un pilier fondamental. Et c’est le législateur qui a voulu celà, avant tout pour protéger le marché du logement en dissuadant les propriétaires de retirer un appartement en vue de l’affecter à une autre destination… à un autre usage ?… Finalement, en matière de copropriété, c’est le changement d’usage des lots qui finit par entraîner un changement de destination de l’immeuble. Ne serait-ce pas là, la raison pour laquelle le législateur est venu encadrer tout particulièrement le changement d’usage des lots ?
Le changement d’usage d’un lot de copropriété
Par principe, le changement d’usage d’un lot de copropriété est libre. Toutefois la loi de 65 (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006092805) fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, vient apporter une double restriction à ce droit d’agir librement, en ce sens où le changement d’usage ne doit pas aller à l’encontre de la destination de l’immeuble telle que fixée par le règlement de copropriété. Il ne doit pas non plus porter atteinte aux autres copropriétaires (nuisances sonores ou olfactives). Dès lors que ces deux conditions sont réunies chacun est libre d’agir comme il l’entend sans besoin de solliciter l’accord de l’ensemble des copropriétaires en assemblée générale. En revanche si le copropriétaire ne respecte pas la destination de l’immeuble ou/et s’il risque de porter atteinte à la tranquillité des autres copropriétaires (par les va et vient d’une clientèle induite par une activité libérale par exemple), alors le changement doit être validé en assemblée générale à l’unanimité. Si cet accord n’est pas donné ou demandé, le changement d’usage du lot n’est pas licite.
Le changement de destination, en exigeant une double autorisation relevant d’un côté du droit de l’urbanisme (droit public) et de l’autre du droit de la copropriété (droit privé), vient ainsi contraindre le changement d’usage et éviter la fuite des logements. Mais la méconnaissance du sujet entraîne des retombées juridiques beaucoup plus importantes notamment dans le domaine de la vente immobilière : ne pas vérifier l’usage réel d’un lot peut remettre en cause la transaction.
Caroline Theuil
Juriste, expert en évaluation et médiatrice judiciaire et conventionnelle
Titulaire d'un double master en droit, Caroline THEUIL est avant tout spécialiste des contrats immobiliers : elle dispose d'une expertise de près de 10 ans en la matière notamment auprès des personnes publiques. Elle pratique par ailleurs l'évaluation immobilière avec la particularité d'avoir une expérience, et donc une approche, à la fois fiscale et privée de la matière. Éprouvée par la dureté des contentieux, elle s'est instinctivement orientée vers l'apaisement des relations humaines. Médiatrice, elle participe ainsi aujourd'hui activement à la prévention des différends et à la résolution amiable des situations conflictuelles, que celles-ci apparaissent dans un cadre privé ou en entreprise. Forte de cette richesse professionnelle, elle est chargée d'enseignement universitaire, et forme, partout en France, des professionnels de tous horizons.