L’investissement locatif n’est plus l’apanage des quadragénaires. Suite au Covid-19, certains jeunes actifs se constituent un capital.
Qu’importe la crise sanitaire et les répercussions économiques qu’elle induira ces prochaines années, l’immobilier reste toujours très prisé des Français lorsqu’il est question d’investir. La preuve par les chiffres. « Les investissements immobiliers réalisés à titre de placement ont doublé en huit ans, passant de 17 % des transactions globales en 2013 à 30 % au premier semestre 2021 », souligne Laurent Vimont, président de Century 21 France.
De manière assez surprenante, la pandémie a fait émerger une autre catégorie d’investisseurs sur le marché de l’immobilier : les 25-35 ans, « qui envisagent de réaliser des investissements locatifs ou d’acheter leur résidence secondaire avant même d’être propriétaires de leur résidence principale », explique Christine Fumagalli, présidente du réseau Orpi.
L’immobilier est résilient
Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. D’une part, leur relation à la notion de « propriété » diffère de celle de leurs aînés. Plus nomades, du fait du télétravail mais aussi d’une quête permanente de flexibilité, cette jeune génération ne réalise plus toute sa carrière professionnelle au sein d’une même entreprise. D’autre part, en période de crise, l’immobilier offre à ces primo-investisseurs une sécurité que peu de secteurs peuvent se targuer d’avoir. « L’immobilier est un produit résilient dans la durée, il ne décroche pas aussi brutalement que certains produits financiers. Il permet donc de se projeter dans l’avenir, en dépit des obstacles conjoncturels », confirme Julien Jamot, Directeur commercial France de BNP Paribas Immobilier Résidentiel.
Plus qu’une valeur refuge, la pierre devient alors « un lingot d’or », résume Laurent Vimont. Et l’immobilier de luxe ne fait pas exception : « À Paris, des appartements que nous pensions plutôt destinés à de futurs propriétaires occupants ont basculé dans les mains de jeunes cadres supérieurs qui achètent en tant qu’investisseurs, en se projetant sur le très long terme, dans une logique de transmission familiale », remarque Nicolas Pettex, directeur général du réseau Daniel Féau, spécialisé dans le haut de gamme.
L’augmentation des prix freine l’achat de la résidence principale
L’envolée des prix de l’immobilier dans certaines grandes métropoles mettent également les Français au pied du mur. Les plus jeunes, qui n’ont pas les moyens d’acheter une résidence principale dans la ville où ils travaillent, préfèrent ainsi réaliser des investissements locatifs dans des villes où les prix sont plus accessibles, donc les apports nécessaires à l’obtention d’un prêt moins importants. «L’acquisition d’une résidence principale est de plus en plus compliquée pour les jeunes, dont la stabilité professionnelle est parfois tardive. Pour se constituer un patrimoine tout en conservant une bonne qualité de vie, ils restent locataires de leur résidence principale, qui aurait de toute façon été trop onéreuse à l’achat, et investissent dans des villes moyennes où le potentiel locatif est important », explique Paul Leroy, responsable du développement immobilier à l’Union Financière de France (UFF).
C’est d’autant plus vrai que les priorités ont évolué pendant la crise sanitaire. Après avoir passé beaucoup de temps chez eux, du fait des confinements successifs, les Français attachent une importance significative à la superficie des biens, à la possibilité d’y installer un bureau, à la présence d’espaces extérieurs… Des critères difficiles à compiler dans les grandes métropoles, où le prix du m2 explose, écartant de facto une bonne frange des primo-accédants.
«Les 25-35 ans envisagent de réaliser des investissements locatifs ou d’acheter leur résidence secondaire avant même d’être propriétaires de leur résidence principale.» Christine Fumagalli, présidente du réseau Orpi.
L’attrait des villes moyennes pour investir
Étant donné le contexte, les villes de taille moyenne tiennent-elles leur revanche, après avoir été assommées par leur désindustrialisation et la fermeture de leurs services publics ? La réponse est oui. « Les nouveaux investisseurs se tournent majoritairement vers les villes moyennes qui disposent d’un accès facile aux centres des grandes métropoles. Les périphéries des villes étudiantes comme Toulouse, Montpellier et Rennes font par exemple partie des territoires où il fait bon investir car il y est facile d’aligner le montant d’un loyer avec le montant d’une mensualité », explique Christine Fumagalli.
C’est également le cas des villes « en devenir », qui offrent de bons rendements locatifs. « En misant sur Orléans et Évreux, les investisseurs contribuent à la revitalisation des centres villes ainsi qu’au rajeunissement des bâtiments et des infrastructures. Cette modernisation impacte les prix des loyers, qui suivent l’offre et la demande », illustre-t-elle. Sans oublier que ces jeunes investisseurs peuvent profi ter d’avantages liés aux dispositifs de défiscalisation en vigueur pour optimiser leur projet : Pinel dans le neuf y compris en Outremer, Denormandie dans l’ancien au sein de quartiers dits « dégradés », Malraux pour la rénovation d’immeubles à caractère historique… (voir encadré).
Des revenus complémentaires pour la retraite
Ils ont beau être en début de carrière, les primo-investisseurs pensent déjà à la retraite. Mais contrairement à leurs parents, ils ne capitalisent pas uniquement sur elle pour couler des jours heureux durant leurs vieux jours. Bien conscients que le système de retraite par répartition était à bout de souffle, ils cherchent à se construire leur propre système par capitalisation, c’est-à-dire à financer leur future pension. « C’est donc également pour compenser une retraite qu’ils anticipent insuffisante que de plus en plus de jeunes se constituent une épargne via l’immobilier », confirme Laurent Vimont.
Une étude menée par le courtier Empruntis indiquait, fin 2019, que deux tiers des projets d’investissement locatif répondaient à un sentiment d’insécurité financière lié à la retraite. La crise du Covid-19 n’a fait qu’accentuer cette tendance. La réforme de la retraite, qui prévoit notamment le recul de l’âge de départ, finira certainement de convaincre les plus sceptiques. « Les jeunes investisseurs sont conscients qu’ils devront travailler leur retraite assez tôt. Lorsqu’ils achètent, ce n’est donc pas pour revendre mais pour se créer un patrimoine qui leur permettra d’avoir des revenus complémentaires lorsqu’ils seront à la retraite », explique Julien Jamot.
«L’immobilier est un produit résilient dans la durée, il ne décroche pas aussi brutalement que certains produits financiers. Il permet donc de se projeter dans l’avenir, en dépit des obstacles conjoncturels.» Julien Jamot, Directeur commercial France de BNP Paribas Immobilier Résidentiel.
L’achat en SCI se démocratise
Sans surprise, les nouveaux investisseurs recourent à l’emprunt lorsqu’ils réalisent leur premier investissement, qu’il soit patrimonial ou locatif. L’attractivité des taux de crédit, qui restent à des niveaux planchers, y est pour beaucoup. Tout comme le taux d’endettement, qui a récemment été relevé à 35 % par le Haut Conseil de stabilité financière. L’achat via une société civile immobilière
(SCI), qui permet de donner la propriété d’un bien immobilier à une société, est une option qui est également privilégiée. « C’est une forme d’acquisition qui se démocratise et qui est intéressante pour les trentenaires qui pensent déjà à transmettre leur patrimoine à leurs enfants », explique Christine Fumagalli.
« La SCI permet d’acheter à plusieurs, donc de partager les risques financiers. Alors que les prix immobiliers augmentent, c’est une solution intéressante, à condition que les investisseurs soient dans une même logique de récurrence, soit de SCI familiale ou de multi-acquisitions », tempère Paul Leroy. En fonction de leurs objectifs (se constituer un patrimoine, transmettre à ses enfants, créer des revenus complémentaires…) mais aussi de leur capacité d’emprunt, d’autres pistes sont également exploitées par ces jeunes investisseurs. « Parmi elles : l’achat de parts dans une SCPI, l’investissement dans la location meublée, l’achat de parking, l’immobilier en assurance-vie », illustre-t-il .
Le démembrement de propriété explose
Dans le segment de l’immobilier de luxe, les investisseurs sont également de plus en plus jeunes. Aujourd’hui, les jeunes actifs nés entre le début des années 80 et la fin des années 90, souvent appelés « Les Millennials » représentent 32 % des achats mondiaux sur le marché du luxe (en valeur), selon le Boston Consulting Group. Une proportion qui montera à 50 % d’ici 2025. Cette nouvelle génération d’investisseurs fortunés plébiscite un montage très précis lorsqu’elle s’entiche d’un bien immobilier : le démembrement, qui permet de transmettre la nue-propriété d’un bien à ses enfants et d’en conserver l’usufruit.
« De plus en plus de beaux appartements parisiens sont acquis via des SCI familiales spécialement créées par des parents qui, après avoir endetté la SCI afin d’acheter, procèdent à la donation de la nue-propriété des parts à leurs enfants, souvent mineurs. La valorisation de cette donation se calcule sur la valeur nette de la nue-propriété. Ainsi, plus les parents sont jeunes et plus la SCI est endettée, moins le montant à payer au titre des droits pour la donation est important. Et il est rare de ne pas se trouver dans le cadre de régime de l’abattement de 100 000 euros par enfant tous les 15 ans », constate Nicolas Pettex. Le démembrement est une forme d’autant plus plébiscitée que ces jeunes investisseurs fortunés anticipent « un alourdissement de l’impôt sur les successions afin de rembourser la dette laissée par la crise du Covid-19 », ajoute-t-il.
Les agents immobiliers attendus au tournant
Face au net rajeunissement des profils d’investisseurs, les agents immobiliers doivent se préparer. Maintenant que les freins psychologiques et administratifs qui existaient il y a 20 ans sont devenus caduques, cette nouvelle catégorie d’investisseurs devrait davantage pousser la porte des agences à l’avenir. « Contrairement aux quadragénaires, qui sont bien armés lorsqu’ils réalisent des acquisitions, les trentenaires ont besoin d’être accompagnés. Tout l’enjeu consiste à les sensibiliser au risque d’un investissement patrimonial ou locatif et à l’importance de sa localisation », indique Christine Fumagalli. « Lorsqu’ils réalisent des investissements locatifs, nous nous assurons qu’ils n’ont pas pour projet d’acheter leur résidence principale à court terme, au risque que leur premier projet cannibalise le second », explique Julien Jamot. Même s’ils sont moins informés que leurs aînés, ils ne sont pas moins exigeants pour autant.
« La crise sanitaire a impacté leur manière de consommer l’immobilier. Même si ce n’est pas pour l’habiter, ils cherchent un bien qui offre plus de qualité de vie, avec par exemple un environnement vert ou une construction neuve de basse consommation », explique Florian Dumont, responsable de l’offre immobilière à l’UFF.
ZOOM SUR LES PRINCIPAUX DISPOSITIFS FISCAUX
Pinel : Prorogé au moins jusqu’au 31 décembre 2022, le dispositif Pinel a pour ambition de relancer le marché de l’immobilier locatif. Il incite le contribuable à investir dans des logements neufs à loyer modéré en échange d’un avantage fiscal. La réduction d’impôt varie en fonction de la durée de location : elle représente 12 % du prix du logement si l’investisseur le loue 6 ans, 18 % s’il le loue 9 ans et 21 % s’il le loue 12 ans. Des pourcentages jusqu’à 32 % sur 12 ans en Outre-Mer.
Denormandie : Le dispositif d’incitation fi scale « Denormandie » vise à inciter les particuliers à acheter un logement à rénover dans un quartier ancien dégradé (défini dans une liste fixée par un arrêté) afin de le louer. Le montant des travaux doit représenter au moins 25 % du coût total de l’opération et impacter la performance énergétique du logement. Valable jusqu’au 31 décembre 2022, ce dispositif permet d’obtenir un abaissement d’impôt équivalent au dispositif Pinel.
L’investissement meublé : Lorsqu’un investisseur met en location un bien meublé, il relève du régime des bénéfices industriels et commerciaux et dispose du statut du loueur en meublé non professionnel (LMNP). Celui-ci lui procure plusieurs avantages dont : un abattement d’impôts de 50 % afin de tenir compte des charges si ses recettes annuelles n’excèdent pas 70 000 euros, la récupération de la TVA de 20 % sur le prix du bien, la déduction de l’amortissement de son bien de ses revenus locatifs…
Loi Malraux : Un contribuable qui investit dans des appartements à rénover situés dans des zones protégées en raison de leur intérêt historique ou architectural bénéfi cient d’une réduction d’impôt sur le montant des travaux de restauration réalisés. Dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), cette réduction s’élève à 22 %. Elle grimpe même jusqu’à 30 % lorsque l’appartement est situé dans un secteur dit sauvegardé.
Le déficit foncier : On parle de déficit foncier lorsque le coût des charges liées à la location d’un bien (frais de gérance, taxes foncières, travaux d’entretien, de rénovation…) est supérieur au montant des loyers perçus. En d’autres termes, ce principe repose sur le fait de générer du défi cit foncier en effectuant des travaux dans un bien locatif d’un montant supérieur à ses revenus fonciers. Il permet ainsi aux investisseurs de réduire leur revenu fi scal de référence, donc leur impôt sur le revenu.
Aurélie Tachot est une journaliste spécialisée dans l'immobilier, qu'elle aime aborder sous le prisme des innovations, notamment technologiques. Après avoir été rédactrice en chef de plusieurs médias spécialisés, elle collabore avec Le Journal de l'Agence afin de rédiger des articles d'actualité sur les acteurs qui font l'immobilier d'aujourd'hui et qui feront celui de demain.