La déréglementation de la profession de notaire poussera les officiers ministériels à prendre une part plus grande du gâteau de la transaction.
Les relations des notaires sont en passe de se normaliser de nouveau avec le gouvernement, après des mois d’orage. On se rappelle que le turbulent Arnaud Montebourg l’avait déclenché en s’en prenant à l’ensemble des professions qu’on a désignées comme règlementées, parmi lesquelles les notaires, mais aussi les mandataires de justice ou encore les huissiers. Nommé à Bercy, Emmanuel Macron a enfourché le cheval de bataille et, sans caracoler comme son prédécesseur, il est resté en selle et n’a pas faibli: les notaires sont restés dans le collimateur de l’État.
On savait que le ministère de la justice, dont relèvent les professions du droit, ne laisserait pas ses ressortissants sans soutien, et qu’il arguerait du rôle majeur de délégataire ministériel et de conseil des familles joué par les offices notariaux partout en France. Ce fut fait. Il sort du bras de fer une réforme plus importante qu’il n’y paraît. Des charges notariales pourront désormais se créer à la demande de notaires désireux de s’installer, alors que jusqu’alors l’initiative appartenait au ministère, éclairée par la commission de localisation des offices notariaux (CLON) où siégeait le Conseil supérieur du notariat aux côtés de magistrats, et que la natalité était au plus bas. Bref, le numerus clausus a vécu. Quant aux émoluments de mutations et autres actes tarifés, ils pourront faire l’objet de remises. En clair, les notaires entrent dans le marché concurrentiel sans quitter vraiment la situation exceptionnelle où leur mission les a placés à l’origine.
Le débat ne s’est curieusement pas porté sur un sujet pourtant polémique depuis près d’un demi-siècle entre les notaires et les agents immobiliers, la transaction. Les notaires sont autorisés à se livrer à cette activité, dans la limite de l’accessoire à leur chiffre d’affaire, en respectant des règles déontologiques spécifiques, tendant en particulier à distinguer le rôle d’officier ministériel et celui de commerçant. Ainsi, l’affichage des annonces ne peut se faire au moyen d’une vitrine formant devanture de l’office, mais sur des panneaux placés dans des emplacements séparés. Ces règles, édictées par un arrêté du 27 mai 1982 résultant d’un arbitrage entre le Conseil supérieur du notariat et la FNAIM -alors en procès- sont aussi sommaires que périmées, en particulier par l’Internet. Il n’en reste pas moins qu’elles codifient la transaction notariale, et qu’elles se sont avérées nécessaires parce que les offices notariaux étaient devenus des acteurs à part entière des ventes de logements en France.
Quelle part les notaires détiennent-ils du marché de la transaction aujourd’hui? Ce sujet est tabou, et les seuls qui pourraient lever le tabou sont…les notaires eux-mêmes: authentifiant toutes les ventes en dernier ressort, ils sont les seuls à savoir comment les parties se sont rapprochées, sans l’aide de personne, grâce à un agent immobilier ou grâce à eux. Pas de statistique officielle donc, mais une idée: on parle de 10 à 15% du marché global. Pourquoi pas plus? Parce que la transaction n’est pas leur cœur de métier, et aussi parce que le cœur de métier, le droit pour le dire de façon rustique, suffisait jusqu’alors à garantir la profitabilité des offices.
La réforme qui va voir le jour va d’évidence affecter la rentabilité des offices. La faculté de déroger au tarif pour baisser les honoraires, octroyée pour peser sur les prix et servir la cause du consommateur, risque fort d’avoir des conséquences sévères sur l’équilibre économique des offices. La multiplication des offices va réduire la part du gâteau des offices établis. Ils seront alors tentés, plus que naguère, de se livrer à la transaction. A cet égard, ils jouissent d’atouts que les agents immobiliers n’ignorent pas: une image flatteuse et la confiance des ménages, l’information précoce sur la vie des familles et l’origine des intention de cession…et des tarifs règlementés de l’ordre de la moitié de ceux pratiqués par eux. Ils ont aussi le droit, avantage économique considérable, de facturer aux vendeurs qui les mandatent des frais de publicité, pour mettre les biens en marché: les honoraires faciaux plus bas que ceux des agents immobiliers peuvent ainsi être finalement compensés, et la rentabilité de l’activité en être préservée.
Si cette prédiction se réalisait, le malheur des uns, les notaires, qui ont sauvé l’essentiel mais perdu beaucoup de leurs avantages, ferait le malheur des autres, les agents immobiliers, dont l’un des concurrents historiques deviendrait bien plus offensif. Il serait logique aussi qu’à ce jeu-là, le régime de la transaction par les notaires évolue: sera-t-il longtemps considéré comme normal que le notaire ait le droit de facturer au vendeur des débours au titre des frais de publicité et de mise en marché, ce qui est formellement interdit aux agents immobiliers? Sera-t-il admis que leurs honoraires soient autoritairement fixés par décret, alors que le temps est à la dérégulation? Ne faudrait-il pas préciser ce qu’est l’accessoire et contrôler que les notaires s’y tiennent? La guerre de Troie pourrait bien avoir lieu.