Bien brûlé, bien grillé !
« Un bien brûlé » est une expression courante du jargon immobilier. Il désigne un bien qui est resté trop longtemps sur le marché et qui finit par être vendu à un prix moindre que sa vraie valeur. C’est un « bien grillé », au sens figuré du terme. Hélas, trop de biens sont encore de nos jours « brûlés ». Inutile de dire que cela va à l’encontre même des intérêts du propriétaire-vendeur !
Bien brûlé, prix trop élevé !
Pour les spécialistes de l’immobilier, la notion de « bien brûlé » est souvent liée à un prix de mise en vente trop élevé. En effet, tout professionnel connaît la tendance naturelle et humaine pour un vendeur non-averti à surestimer son propre bien.
L’analyse d’Evelyne Gielen, économiste spécialisée en analyse, vente et marketing immobilier, fondatrice de la société Mètre Carré Real Estate.
Mon bien, ma vie
Pour un propriétaire, son bien, c’est d’abord sa vie : les heures qu’il y a passées avec son conjoint, ses enfants, ses amis. Tous ses souvenirs y sont « présents » et représentent une valeur sentimentale qui n’en est pas une pour l’acheteur. Mais là n’est qu’une partie du problème.
Et les travaux alors ?
Viennent ensuite les travaux réalisés dans le bien (détapissage, ponçage, peinture, rénovation de la cuisine, etc.) qui sont pour le vendeur également source de surestimation. Si les travaux étaient nécessaires et ont valorisé le bien à l’époque, la vétusté induite par le temps qui passe les compense, et en diminue la valeur.
Prenons l’exemple du double vitrage. Au même titre que les vitres électriques qui étaient autrefois une option pour les voitures et qui sont aujourd’hui de série (on imagine difficilement bien vendre une voiture avec des vitres manuelles de nos jours), avoir du double vitrage est devenu « normal ». C’est l’inverse (simple vitrage) qui ne l’est pas. Par conséquent, avoir placé du double vitrage n’est pas un facteur de valorisation importante. A contrario, avoir encore du simple vitrage entraîne une décote très certaine aux yeux des acheteurs.
Ces derniers listeront tout ce que le bien ne comprend pas et regarderont le verre à moitié vide alors que les vendeurs garderont en mémoire tout ce qui a été fait, le verre à moitié plein. Pas facile de concilier les deux points de vue. Ainsi si le professionnel sait que l’enjeu est de réunir ceux-ci, le propriétaire-vendeur lui accepte difficilement l’estimation décevante à ses yeux que l’expert en fait.
Ce n’est bien souvent que plus tard, ou trop tard, qu’il comprendra son erreur face à l’absence de visites ou d’intérêts sur son bien.
Qui connaît mieux mon bien ?
Par ailleurs, le sentiment d’avoir été jugé par un spécialiste qui ne connaît pas aussi bien son bien que l’habitant rend les choses encore plus compliquées. Cette incompréhension entre vendeur et professionnel attise les positions défensives naturelles du vendeur face à la vente/perte de son patrimoine.
Me suis-je fais avoir à l’achat ?
Quand il n’y va carrément pas de l’image du propriétaire qu’il a de lui-même face à une estimation basse. « Ai-je mal acheté à l’époque ? Me suis-je pas fait avoir ? » A la déception vient se joindre parfois un sentiment de rancoeur, voire de colère.
J’en veux plus
Eh là est bien le problème. Avec la crise, le marché s’est retourné : on est passé d’un « marché vendeur » à un « marché acheteur ». Avant, quand on mettait en vente un bien, les amateurs « se bousculaient » (et les crédits leurs étaient octroyés), ce qui conférait une position de force au vendeur. Avec la crise socioéconomique et financière, peu d’acheteurs se voient encore attribués des crédits, et les investisseurs qui, eux disposent de cash, craignent un changement de fiscalité. Les acheteurs pouvant et voulant donc acheter se retrouvent en plus petit nombre, déforçant ainsi la position du vendeur et renforçant la leur.
On peut négocier
La sensibilité au prix de vente de l’immobilier s’est, avec la crise, également accrue. Une petite diminution ou augmentation de prix (par exemple 5%, soit 10.000€ sur 200.000€) peut susciter la perte ou le gain d’intérêt de 50% des amateurs ! Pour une variation de 10% (soit 20.000€ sur 200.000€) ce taux atteint un gain ou une perte de 70%. C’est énorme même si ces chiffres sont à nuancer dans les régions où les prix sont très bas. Ils reflètent toutefois des mécanismes méconnus du grand public.
Mettre plus haut pour négocier ensuite est déconseillé dans un tel marché car bien souvent il n’y aura même pas possibilité de négocier vu l’absence d’intérêt des acheteurs. On risque de ne même pas avoir une chance que le bien soit vu/visité.
On n’est pas pressé
Par ailleurs, ne pas suivre directement les recommandations des professionnels, c’est risquer de louper la période en or de vente du bien au détriment d’une période d’essai peu fructueuse. En effet, les meilleures offres d’achat sont ordinairement au début de la mise en vente (pour les biens non atypiques). Les gens qui sont réellement à l’achat cherchent activement. Une fois qu’ils voient le bien à vendre (et aujourd’hui avec internet, tout le monde a l’information quasi en même temps), ils réagissent. Et comme ils sont véritablement à l’achat, ce sont eux qui sont à même de donner le plus pour le bien en question. C’est ainsi que les meilleures offres sont souvent au début et souvent dans la même gamme de prix si on les influence pas.
La probabilité d’avoir donc de meilleures offres diminue fortement avec le temps. Elles se feront de plus en plus rares et de plus en plus basses. Les amateurs potentiels se diront que le bien n’en vaut pas la peine ou qu’il y a carrément un problème, puisqu’il n’est toujours pas vendu. Plus personne n’appellera pour le visiter. Alors qu’au début l’effet de nouveauté joue pleinement son rôle de catalyseur d’acheteurs.
Des estimations dans tous les sens
Enfin, la dernière difficulté du propriétaire vendeur est certainement les divergences d’estimation reçues de la part desdits professionnels. Ces variations s’expliquent par le fait que les estimations sont communément « justes » à 20% près, donc 20% vers le bas et vers le haut (soit par ex. de 160.000€ à 240.000€ pour un bien de 200.000€). Alors comment savoir combien vaut réellement son bien ?
Cela est ultérieurement affiner car l’estimation d’un bien n’est qu’une des sept étapes de la détermination de son prix (de vente). © LeFildeLimmo/BazikPress
Titulaire d’une maîtrise en économie HEC Liège, spécialisée en analyse de marchés et comportements, Evelyne Gilen est agent immobilier à Bruxelles, membre du Conseil National des agents immobiliers belges. Auteure de différentes publications internationales et du livre « Le home staging en pratique : 45 avant-après », elle assure des cours de marketing des biens immobiliers, techniques de ventes. Formatrice de renom et reconnue par ses pairs pour ses talents d’oratrice, sa approche didactique, voire ludique.