Je n’en reviens pas de voir la passion qui entoure l’examen par le Parlement du projet de loi de Frédéric Lefebvre sur la protection du consommateur, en ce qui concerne son volet logement. C’est en effet une authentique guerre qui s’est déclenchée, ou plutôt plusieurs.
D’abord, l’amertume de la Fnaim et de l’Unis envers le gouvernement qui, après leur avoir promis d’inscrire dans le projet de loi les propositions du Livre blanc, les trahit et renvoie le chantier aux calendes grecques (la Grèce évoque décidément bien des douleurs ces temps-ci…). Pour autant, le gouvernement et l’Assemblée nationale font figurer dans le texte de multiples dispositions relatives aux agents immobiliers et aux administrateurs de biens, et pour tout dire de nouvelles contraintes et de nouvelles restrictions. C’est une première guerre qui s’ouvre-là, dont les professions immobilières n’avaient pas besoin, entre leurs représentants et l’État.
Et je crains que la profession ne s’attache durablement une image revancharde, qui ne rend pas compte de son modernisme. Influe-t-on sur le gouvernement et sur le Parlement avec des pétitions et des pages dans la presse ? Avancera-t-on en vouant aux gémonies le secrétaire d’Etat à la consommation ? Est-on sûr qu’on puisse prendre l’opinion à témoin et qu’elle soit suffisamment en empathie avec les professionnels immobiliers ? A-t-on conscience que la plupart de ces sujets, eussent-ils bien sûr des conséquences sur le consommateur, ne sont pas des thèmes grand public ? Une seconde guerre oppose désormais es réseaux de mandataires avec, à leur tête le leader Capifrance, au reste de la profession, que je qualifierai de traditionnel.
La querelle des anciens et des modernes revisitée en quelque sorte. L’inconvénient des guerres, au plan intellectuel, est d’ailleurs qu’elles conduisent au manichéisme: celui qui n’est pas de votre camp doit mourir, ou s’incliner. La profession traditionnelle, convaincue que les mandataires ont fait échec aux dispositions issues du Livre blanc, notamment en termes d’obligations de formation, les désigne à la vindicte : à eux le manque de sérieux, de professionnalisme, le risque pour le consommateur, l’opacité, la légèreté, alors que la vertu, la compétence, le service, la rigueur seraient exclusivement du côté des professionnels traditionnels. D’expérience, ce n’est pas si simple. Au demeurant, quand 70 % des agents traditionnels recourent à des agents commerciaux, on est conduit à nuancer le propos.
À le nuancer aussi sur le terrain qui m’est cher, celui de la formation : l’émission Capital sur M6 a mon tré que le leader des réseaux de mandataires accordait cinq jours de formation à tout agent commercial qui le rejoignait. J’ai alors entendu les pires critiques : « Comment, en cinq jours, transformerait-on un vendeur d’électroménager en agent immobilier ? » Ah ! Si seulement tous les négociateurs salariés suivaient cinq jours de formation continue par an ! Attention aux discours intégristes. Pourtant, je discerne du positif dans ce chaos. La profession réagit, bouge, se montre capable de cohésion, et on n’avait pas assisté à cela depuis longtemps. Cette belle harmonie, encore relative (la pétition contre le mandat exclusif a recueilli 4 000 signatures pour 35 000 agents immobiliers), laisse augurer de bonnes choses. Parlons justement de formation. Dans le Livre blanc des deux grandes fédérations, le choix de rendre la formation continue obligatoire ou encore celui de préférer les formations initiales spécialisées aux généralistes figuraient à la meilleure place. Comme bien sûr l’obligation de formation pour les agents commerciaux.
C’est tout cela qui vole en éclats. L’édifice reposait d’ailleurs sur la création d’un conseil national des professions immobilières, dont la gouvernance eût été partagée entre les pouvoirs publics, les consommateurs et la profession. Je fais une observation : la profession se trouve de nouveau, sauf coup de théâtre, en cours d’examen du texte au Sénat, face à une alternative. La liberté de faire, ou l’obligation, voilà les deux solutions. En demandant aux pouvoirs publics de la contraindre, elle a implicitement avoué qu’elle ne savait pas d’elle- même se discipliner. Elle peut désormais, et elle doit, puisque la loi ne le fera pas à sa place, mettre le cap sans état d’âme sur la formation continue, délibérément.
Il en va ainsi de la formation initiale : le Livre blanc voulait rendre obligatoires les stages pour préparer les futurs professionnels et favoriser les cycles en alternance… Seulement voilà : les jeunes ont bien du mal à trouver des entreprises qui veuillent les accueillir. En quelque sorte, on veut des jeunes opérationnels dès l’embauche, mais on n’est pas spontanément prêt à participer à l’effort de formation. Vous savez, si vous êtes assidu à mes « coups de gueule », que j’avais appelé de mes vœux la constitution d’un ordre. À quelles conditions s’instituerait-il ? La première, on l’a oublié, serait que la profession décide de reprendre le pouvoir sur elle-même et de s’auto-administrer. Bien sûr, un ordre aurait la mission régalienne de piloter la formation, initiale comme continue.
La seconde condition pour qu’un ordre voie le jour serait que les pouvoirs publics l’acceptent et déposent un projet de loi : la profession, à l’inverse de se montrer partante pour s’autogérer, va sans cesse tirer la manche du législateur pour qu’il lui donne des contraintes ! Je voudrais que ce douloureux épisode législatif mène la profession à une réflexion de fond, et dans la cohésion, puisqu’elle en est capable : entre le libéralisme (le moins possible d’obligations), le libéralisme contractuel (l’ordre professionnel) et l’étatisme, qu’elle fasse une option définitive.
L’impératif de formation et de compétence n’attendra pas, parce que la valeur ajoutée professionnelle et le respect de l’opinion sont à ce prix, et que ces deux indicateurs me semblent au rouge. J’entends dire que les réseaux de mandataires, qu’on soupçonne d’avoir fait du lobbying contre les dispositions du Livre blanc qui les concernent, seraient en train de rédiger un code de déontologie et de se créer des obligations de formation. Si tel était le cas, ils démontreraient un esprit de responsabilité louable. Ils le feraient à la suite d’initiatives comparables de la Fnaim ou de l’Unis, ou encore de grands réseaux de franchise.
Et si la profession passait de la haine au dialogue et à l’accord sur l’essentiel, au-delà des anathèmes ? Si elle voyait une bonne fois pour toutes, en pleine crise mondiale grave, que l’ennemi est à l’extérieur ? L’ennemi, c’est l’argent qui vient à manquer cruellement dans les ménages, c’est la peur du lendemain qui tétanise tout le monde. C’est la distribution des crédits qui se ralentit dangereusement. C’est, pour le logement, repère et repaire pour les français, le besoin impérieux d’un marché intermédié et sécurisant, de conseils avisés, d’accompagnement du particulier, alors que le taux de pénétration des agents immobiliers stagne autour de 50 % et le recours au mandat exclusif autour de 10 %. Ne pas se tromper de combat est un enjeu de dignité.