« Un bon citoyen doit préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent » disait Démosthène. Je crois qu’il nous faut nous la rappeler au moment où le projet d’une garantie universelle des loyers est débattu au Parlement, histoire de choisir le réalisme plutôt que les incantations.
De quoi s’agit-il ? Madame Cécile Duflot, s’inscrivant dans la longue liste des dirigeants politiques, ministres et parlementaires, qui ont voulu réaliser depuis 2002 ce bel idéal d’une large garantie contre les impayés de loyer, a écrit dans son projet de loi sur l’urbanisme et le logement le scénario d’une nouvelle GURL (garantie universelle des risques locatifs) – article 8 du projet ALUR -. Au demeurant, le mot « scenario » est inapproprié : il évoque la précision nécessaire à une mise scène, et le moins qu’on puisse dire est qu’on en est loin! Le projet de loi reste énigmatique, avec un article qui se contente de poser quelques principes. Tout se passe comme si le Gouvernement n’avait pas les idées claires.
Il y a de quoi hésiter en effet. Soit on construit un dispositif public, obligatoire pour tous les propriétaires bailleurs, soit on bâtit un mécanisme résultant d’un partenariat public-privé (PPP), dans lequel les assureurs prennent leur part du risque global et contribuent à la saine gestion de l’affaire, de la gestion au recouvrement.
Quant à la mesure du risque, elle dit aussi leur incomber, sur la base de règles fixées par l’Etat de façon réaliste.
A cette alternative s’ajoute un second choix politique : soit la couverture est obligatoire, assortie d’une contribution payée par le bailleur et le preneur, un nouvel impôt en somme, soit elle est facultative. La préférence du Gouvernement et des parlementaires de la majorité va sans ambiguïté à un produit public, généralisé et onéreux pour le locataire comme pour le propriétaire. D’un mot, on fait du parc locatif privé un service public, en en faisant peser le financement sur les investisseurs privés. Le financement et les conséquences : le locataire impécunieux sera maintenu dans les lieux, même si le Gouvernement s’engage à ne pas supprimer la faculté d’expulser, simplement parce que la collectivité publique n’aura pas les moyens du relogement.
La logique est perverse : sans distinguer entre les locataires qui ont besoin de la solidarité et ceux qui n’en ont pas besoin, on crée une sorte de sécurité sociale du logement et on déresponsabilise les familles et les individus. Nier l’aléa moral qu’on introduit ainsi revient à nier l’évidence.
On sait en outre que l’enjeu consiste à échapper aux critères de sélection usuels des assureurs pour autoriser un taux d’effort de 50%! Il ne fait pas de doute qu’on crée le risque, et à vouloir ignorer les principes prudentiels élémentaires on va mettre des locataires dans un bien mauvais pas en les laissant s’engager dans une situation intenable… au moment où le même Gouvernement introduit un fichier positif des crédits à la consommation pour éviter le surendettement, et n’exclut pas de créer un dispositif identique pour les locataires.
Le problème dépasse la question de la GUL, et il révèle une certaine conception de la République, hautement dangereuse : veut-on responsabiliser les citoyens, ou donner le sentiment qu’ « on rase gratis ? » Banaliser l’impayé de loyer, le faire supporter à la collectivité des propriétaires et des locataires vertueux, abaisser toutes les barrières à l’entrée d’une location par démagogie, faire croire que la location est sans effort, c’est mentir.
C’est passer de la politique à l’illusionnisme. Au demeurant, le projet de loi de Madame Duflot comporte bien d’autres gestes dans le même sens : le propriétaire et le mandataire, agent immobilier ou administrateur de biens, sont désignés à la vindicte populaire et taxés de tous les maux.
Ce qu’on nous a annoncé comme un rééquilibrage des rapports locatifs se solde par un clivage encore plus marqué entre un locataire qui a tous les droits, et un bailleur qui n’en a pas et dont on nie le statut d’acteur économique à part entière.
Le Sénat ne semble pas sur le point de corriger cette pente : la Commission des affaires économiques vient de voter un amendement qui raccourcit de 40 à 21 jours la durée à partir de laquelle une indemnité sera due au locataire d’un logement dans lequel des travaux sont engagés.
Et pourtant ! Les enjeux restent, mal traités et maltraités : abonder l’offre de logements, locatifs avant tout. Sur qui compter sinon les investisseurs particuliers ? Dans les autres grands domaines de la vie sociale, le Gouvernement emprunte aussi des voies qui éteignent l’initiative individuelle pour faire rêver à bon compte: le fléchage inconditionnel de la taxe d’apprentissage vers l’université est en train d’étouffer les écoles supérieures privées, qui ont les meilleurs résultats de placement professionnel des diplômés quand les Facultés fabriquent des chômeurs par milliers.
La réforme des retraites n’a pas lieu, alors qu’on sait que le système explose, comme celle du système de l’assurance-maladie.
On enraye la RGPP (révision générale des politiques publiques) pour ne pas réduire les dépenses en supprimant des postes de fonctionnaires, alors que la réduction des déficits devrait être la priorité.
Bref, l’histoire de la GUL est symptomatique d’un mal profond : donner la primauté à l’Etat sur ses forces vives.
Le réveil sera difficile. Il est encore temps de corriger le cap. En tout cas, pour le logement, les quelque cinq millions de propriétaires privés, qui ont construit leur patrimoine à force de responsabilité économique, n’entendent pas qu’on oublie l’essentiel : l’irresponsabilité est le plus mauvais moyen de la solidarité, qui ne s’exercera pas longtemps si l’on perd de vue les grands équilibres.
Cette chance de bâtir une garantie solide et durable est la dernière, après trois échecs successifs, le Locapass, la GRL 1 et la GRL 2 : rationaliser le dispositif grâce aux acteurs privés, identifier les publics prioritaires à protéger et ne pas ouvrir sans discernement les vannes du risque, voilà la seule équation possible. ©LeFilDeLimmo/BazikPress