Dans tous les pays développés, à l’exception de l’Allemagne et du Japon, les prix de l’immobilier ont connu une croissance exponentielle. Un ajustement est aujourd’hui considéré comme inévitable. S’il est brutal, il pourrait provoquer des dégâts considérables. Les plus hautes autorités en conviennent : cela ne peut plus durer.
Les prix atteints sont « bien au-delà de ce que la plupart des gens considèrent comme soutenable », vient de déclarer le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King.
« Où vont les prix ? Je n’en sais rien, a soupiré le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan. Mais je serais très surpris qu’ils continuent leur accélération vers le haut. »Les prix en question, ce sont ceux de l’immobilier. Pas seulement en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, mais dans la plupart des pays développés. C’est peu dire qu’ils ont flambé. En Australie, en Espagne, au Royaume-Uni ou au Pays-Bas, ils ont plus que doublé depuis 1995, selon une étude de la Société Générale. Il ont quasiment triplé en Irlande. Et gagné plus de 60 % en France.
Bulle spéculative
Dans plusieurs cas, ces ascensions météoriques n’ont pas été entamées par une croissance économique molle, voire inexistante. Et rares sont les pays, comme l’Australie ou la Grande-Bretagne, où elles commencent tout juste à donner des signes de relâchement.
Résultat : le magazine britannique The Economist a calculé que les prix de l’immobilier devraient chuter de 50 % en Espagne, 25 % aux Pays-Bas ou encore 20 % en Irlande pour que les ratios de ces prix rapportés aux salaires et aux loyers retrouvent leurs niveaux moyens de la période 1975-2003.
L’hebdomadaire y voit la preuve irréfutable de l’existence d’une bulle spéculative.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre et le président de la Fed ne sont donc pas les seuls à pressentir qu’un ajustement généralisé est inévitable. Ils en seront d’ailleurs pour partie les instigateurs délibérés : le boom immobilier s’est avant tout nourri d’une politique monétaire exceptionnellement accommodante. Mais celle-ci touche à sa fin : à Londres, la « Vieille Dame » de Threadneedle Street vient de procéder à sa quatrième hausse de taux consécutive et la Fed s’apprête à lui emboîter le pays, relevant un taux directeur qui, à 1 % depuis tout juste un an, est le plus bas en plus de quarante ans. La BCE pourrait ne pas être très loin derrière. En outre, la montée des prix finira inévitablement par calmer la demande, même si les raisons structurelles qui ont poussé les prix à la hausse demeurent (boom démographique en Espagne, rareté des logements offerts en Grande-Bretagne, etc.). L’amorce d’un retournement fera alors perdre au placement immobilier sa valeur spéculative, particulièrement importante dans un pays comme l’Australie.
Davantage de dégâts
Deux scénarios sont alors possibles : une chute progressive et maîtrisée des prix, ou tout simplement un krach immobilier. Cette deuxième hypothèse serait catastrophique. Car une dégringolade des prix de la pierre fait beaucoup plus de dégâts que la chute du cours des actions, ont calculé les experts du Fonds monétaire international. Selon eux, un krach boursier, défini comme une baisse des cours d’au moins 30 % « coûte » l’équivalent de 4 % de croissance en deux ans. Un krach immobilier, défini comme une diminution des prix d’au moins 14 %, produit des dégâts deux fois plus importants : 8 points de croissance perdus ! Il est également beaucoup plus long (quatre ans au lieu de dix-huit mois pour une crise boursière).La courroie essentielle de transmission d’un marasme immobilier, c’est la consommation, qui représente à elle seule plus de la moitié du PIB en France, les deux tiers aux Etats-Unis. « Les variations des prix des logements et de la consommation privée sont corrélées dans la plupart des pays », explique l’OCDE dans une étude récente. Les effets sont d’autant plus violents que le niveau d’endettement des ménages est élevé, et que cette dette est à taux variable.Pourtant, des banquiers centraux aux économistes en passant par les professionnels de l’immobilier, tous affirment – ou affectent de croire – que le scénario d’un retour en douceur des prix à un niveau historiquement raisonnable est de loin le plus probable.
La confiance et la solvabilité des ménages, les facteurs relatifs à l’offre et la demande, « ne signalent pas de risques élevés d’un krach immobilier imminent », avancent Guillaume Baron et Tanguy Simon de la Société Générale. « Il n’y a pas eu à ce jour de signes d’une baisse marquée des prix où que ce soit en Europe », conclut une étude des chartered surveyors (experts assermentés en immobilier) britanniques. « Ce trait distingue cette période des récessions des années 80 et 90 où les prix des logements avaient suivi étroitement le cycle économique général et enregistré d’importantes baisses. »
La hausse de l’ancien
En France, analyse Guy Marty, directeur général de l’Institut d’Epargne Immobilière et Foncière, on a pu observer deux caractéristiques originales : « C’est la hausse de l’ancien qui a initié l’envol des prix dans l’ensemble de la France ; ensuite la montée des prix n’a pas fait décoller l’offre malgré la pression de la demande : il ne s’agit donc pas d’une bulle au sens propre du terme (une surproduction suivie d’un effondrement). Néanmoins il y a une grande tension dont on ne sortira pas forcément sans turbulences.
Les prix restent en monnaie constante en dessous du niveau de 1990 qui avait suscité le krach, observe Olivier Eluère du Crédit Lyonnais. Certes la proportion des achats en neuf dus à l’avantage fiscal est un peu inquiétante mais on ne peut pas vraiment considérer que l’investissement locatif soit un achat spéculatif. Lié au souci de la retraite, il a des chances de perdurer. » Etienne Bertier, le patron d’Icade, le bras immobilier de la Caisse des dépôts, ne croit pas non plus à une bulle. « Paris reste moins chère que les autres capitales et les investisseurs internationaux y sont toujours actifs. »