Ce qui se passe en ce moment autour du texte ALUR examiné par le Parlement est étonnant et inédit. Plus exactement, il faut remonter au projet de loi de Roger Quilliot sur les rapports locatifs en 1981 pour trouver une opposition organisée aussi violente à une initiative législative sur le logement. Les raisons sont de deux ordres essentiellement: Cécile Duflot s’attaque à son tour au sujet quasiment religieux des rapports entre locataires et propriétaires, et en outre elle rouvre le dossier de l’encadrement des activités immobilières, qui touche directement les professionnels, jamais repris à nouveau depuis 1972.
Pourtant, au-delà de ces grandes explications, le projet de loi de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, d’ailleurs associée pour nombre de dispositions à la ministre de la justice, consacre une mission naturelle et majeure de la loi: réguler. En clair, si ce texte était inutile, cela se saurait, et je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’il n’y avait aucun problème. Je ne suis pas non plus de ceux qui clament, au risque de désespérer Billancourt, que ce texte va tout bloquer et enlever tout intérêt à l’investissement immobilier, mais aussi aux métiers de l’immobilier. Revue de détail.
Passons vite sur la création d’un conseil national de la transaction et de la gestion, demandé par les organisations professionnelles. Certes, le Gouvernement en a fait une interprétation personnelle, avec des commissions de contrôle régionales chargées de prononcer les sanctions disciplinaires envers les professionnels ayant malmené le droit, dont la profession se serait bien passé. Certes, la composition du conseil, déjà évoquée, et qui sera tranchée par voie règlementaire, risque fort de n’être pas du goût de tous: représentative de toutes les forces en présence, on pourrait bien y voir pêle-mêle les fédérations et les associations historiques…au côté des plus récentes ou des moins institutionnelles. L’ARC, Plurience, le SYREMI, l’ANACOFI sont candidats et n’en font pas mystère.
L’encadrement des loyers? Il vient trop tard pour juguler un marché qui s’assagit depuis trois an, et ne fera que contrarier les abus…et permettre la réévaluation des loyers sous-évalués: qui s’indignerait de cet équanimité du dispositif? Je rappelle aussi qu’il y a un peu de politique là-dedans: c’était l’engagement numéro 22 du candidat Hollande pendant la campagne présidentielle.
Les rapports locatifs? Quoi d’assassin? Un préavis réduit en zone tendue, des pénalités pour les deux parties en cas de retard de paiement de loyer ou de restitution de dépôt de garantie, une GUL attendue depuis plus de dix ans et dont la loi dira bien peu de choses, l’essentiel étant dans les textes d’application.
Les exigences envers les agents immobiliers et les administrateurs de biens? Oui, il y a des problèmes de manque de rigueur et d’insuffisante valeur ajoutée, et non, les efforts des organisations professionnelles n’ont pas suffi. Plus d’information des acquéreurs, des locataires et des copropriétaires, plus d’orthodoxie, avec une normalisation des baux, des constats d’état des lieux, rien que de normal en somme… mais également une mesure relative au pouvoir d’achat -la suppression des honoraires de négociation locative à la charge du locataire- et deux mesure relatives à la transparence, la forfaitisation des honoraires de syndic et l’interdiction du compte unique des syndics.
Sur la dernière, il n’y plus rien à dire quand la moitié de la profession a donné raison par anticipation au législateur en optant pour le compté séparé des copropriétés, notamment des enseignes nationales. Le forfait des copropriétés? Il simplifie sans conteste, mais il va obliger enfin les syndics à vendre leurs prestations à un prix réévalué puisque la martingale des honoraires complémentaires ne sera plus permise. Cette opération vérité aurait dû être menée…en 1986, lors de la libération des honoraires! Quant aux honoraires de location, il est impératif que la profession ne reste pas dans le déni: ils sont trop lourds pour les preneurs et il faut les modérer. La solution du projet de loi est économiquement inacceptable, mais quelle alternative a-t-elle été proposée par les lobbies?
Et puis, de grâce, que cesse la stigmatisation. Non, ce texte n’est pas une lubie de Cécile Duflot. Si seulement! Il est la synthèse de ce que veulent faire les pouvoirs publics depuis dix et quinze ans. J’en parle savamment pour avoir contribué à repousser bien des tentatives: tous les Gouvernements précédents, y compris les plus libéraux, ont voulu mieux réguler et administrer davantage. Tous avaient le sentiment que le marché était porteur d’excès, et tous marquaient de la suspicion quant à l’orthodoxie des pratiques professionnelles. Les fédérations le savent. En vrac: le conseil national? Une invention de Madame Alliot-Marie. Le compte séparé? Tous les ministres ont eu envie de l’imposer. L’étiolement des honoraires complémentaires? Un coin enfoncé par Hervé Novelli. L’encadrement des loyers? Benoist Apparu a commandé avant de partir un rapport sur l’exemple allemand. L’affichage des honoraires de vente? Une idée de Luc Chatel en 2008. La GUL? Le locapass et les GRL 1 et 2 l’annonçaient. Le candidat Sarkozy en 2007 avait même déjà annoncé la fin de la caution.
Bref, le projet de loi ALUR ressemble à un produit de synthèse, et par ce texte les pouvoirs publics jouent un rôle régalien qui est le leur: corriger et réguler. Si l’on peut avoir un regret, c’est que n’ayions pu nous passer de cette intervention contraignante. Que penser par exemple d’un corps professionnel qui doit en appeler au législateur pour rendre obligatoire la formation continue de ses membres? Je prends cet exemple parce que je me bats depuis près d’un quart de siècle dans ce sens, et que je reconnais l’échec. Comment en voudrais-je au Gouvernement alors que je porte pour partie la responsabilité de la défaite? Je crois que l’ALUR fait l’effet d’une psychanalyse et l’on sait bien que le patient en vient toujours à haïr l’analyste.