Fini l’euphorie immobilière. Dans ce contexte de crise, les notaires réagissent et veulent augmenter leur part du gâteau de la transaction.
Ils se regroupent, créent des sites Internet, jouent l’effet de proximité auprès de leur clientèle. Trouveront-ils leur place entre les agents immobiliers qui occupent déjà bien le terrain et les particuliers qui détiennent la moitié du marché ?
«Déjouez les pièges de l’immobilier ». Le slogan que l’on a pu voir au printemps dans la presse magazine et sur un certain nombre de sites Internet est on ne peut plus explicite quant à la volonté des notaires de promouvoir et développer leur activité de négociation immobilière.
Cette campagne avait, en effet, pour objectif de faire connaître au grand public le portail récemment mis en ligne par les Notaires de France (www.immobilier.notaires.fr), sur lequel les particuliers peuvent actuellement trouver, sur l’ensemble du territoire, quelque trente mille annonces dont les mandats de vente ont été confiés à des notaires.
Cette volonté se traduira également bientôt par la mise en ligne d’un autre site, en lien avec le précédent, d’un concept tout à fait original puisqu’il s’agira d’un système de vente interactive.
« Après mise en relation par le biais d’Internet, les particuliers pourront en effet visiter physiquement le bien et obtenir auprès du notaire un code d’accès qui leur permettra, s’ils sont intéressés, de faire une offre de prix différente de celle indiquée dans l’annonce », indique Pierre Bazaille, du pôle immobilier des Notaires de France et président de l’Institut notarial de l’immobilier. Sur les six semaines de mise en ligne de l’annonce, cette possibilité pourra être exercée durant quarante-huit heures et c’est, bien entendu, la meilleure offre qui l’emportera ».
Ce concept, baptisé Ventes notariales interactives, devrait démarrer dès le début de l’année 2009. Objectif affiché ? « Le but de ce site n’est pas de remplacer la négociation traditionnelle, mais d’offrir une qualité de services, indique pour sa part Xavier Ripoche, directeur du marché immobilier des Notaires de France. Nous allons proposer, pour chaque bien dont nous détiendrons un mandat exclusif et qui aura fait l’objet d’une évaluation, l’information la plus complète possible, en mettant en ligne des photos, des plans, les diagnostics techniques obligatoires… Bref, l’image vieillotte dont les notaires avaient – semble-t-il – du mal à se débarrasser, fait définitivement partie du passé.
Des parts de marché disparates
Nul doute que les agents immobiliers ne voient pas la chose d’un bon oeil, même si l’activité de négociation reste finalement assez marginale chez les notaires.
A l’échelon national, elle ne concerne en moyenne que 10 % des transactions et ne représente que 4 % du chiffre d’affaires des études.
Reste que la négociation est une tradition plus ou moins implantée selon les régions.
« Traditionnellement, il y a deux régions où l’ancrage est important, le Nord, la Bretagne et son pourtour, ainsi que, dans de moindres proportions, la région de Bordeaux. Dans ces secteurs, les études notariales ont souvent des services bien organisés, drainant de 15 à 20 % de chiffre d’affaires », indique Pierre Bazaille, qui poursuit « Cela reste une activité accessoire et il faut savoir que sur le reste de la France, on négocie peu ou prou ».
A titre d’exemple, dans le Rhône, il existe un peu moins de trois cents notaires, mais six seulement font de la transaction.
Dans les Alpes-Maritimes, un seul officier ministériel exerce cette activité. Quelles en sont les raisons ? C’est simple, tout dépend de la concurrence qu’ils rencontrent avec les autres professionnels de la négociation.
Autrement dit, là où les agents immobiliers sont très présents, les notaires font peu de négociation.
A l’inverse, ces derniers prennent la main lorsque les agents sont moins nombreux, notamment dans les zones rurales.
Paris fait toutefois figure d’exception. Les professionnels immobiliers y occupent une place importante, ce qui n’empêche pas les notaires exerçant l’activité de négociation d’avoir formé des groupements, par exemple Négonotaire.
Ce groupement qui compte cent cinquante membres, a été créé en 1997 et rayonne sur Paris et Neuillysur- Seine. Son but ? Promouvoir la négociation immobilière notariale en Ile-de-France.
« C’est plus facile à Paris que dans une ville moyenne où les opportunités sont plus importantes », précise Pierre Bazaille.
Au total, deux tiers des notaires font de la négociation, mais seulement un tiers a un service dédié.
De fait, on peut dire que, pour une majorité de professionnels, cette activité reste véritablement accessoire.
Certains n’y sont d’ailleurs pas favorables, estimant que leur rôle ne se place pas dans la négociation mais dans la sécurisation juridique des actes immobiliers ; d’autres, au contraire, s’y impliquent.
Comme Me François Carré, à Paris. « Au début, je n’y étais pas favorable car je considérais que cela dépassait mon rôle. Mais, il y a une dizaine d’années, j’ai fait un DESS en gestion de patrimoine et, dans cette logique de gestion, la négociation me paraissait un service complémentaire pertinent. Pour moi, cette activité reste cependant marginale puisqu’elle ne représente que 5 % de mon chiffre d’affaires. En tout cas, elle n’est pas indispensable à mon activité. »
Ce notaire fait d’ailleurs partie de Négonotaires. « Cela crée une interactivité entre professionnels. On se rencontre régulièrement, on échange nos expériences, alors qu’auparavant, on était davantage isolés », poursuit, Me François Carré.
De nombreux groupements
Selon Notariat Services, groupe de presse situé à Pompadour, en Corrèze, qui conçoit et diffuse à destination des notaires de nombreux journaux, revues et sites Internet, il existe actuellement en France une cinquantaine de groupements de notaires négociateurs, réunissant de trois à plus de soixante études selon les cas.
Certains départements disposent de plusieurs groupements, notamment dans le Nord de la France (Dunkerque et Lille), tandis que d’autres rayonnent sur plusieurs départements (Franche-Comté par exemple).
Au total, sur près de quatre mille cinq cents études, mille deux cents environ font de la négociation. Et certains notaires se font fort de faire progresser cette activité.
A l’image de Thibault Sudre, notaire à Bordeaux et président de l’Association de développement de la négociation (ADN, www.adn-notaires. fr).
Une convention se tient chaque année depuis quatre ans. La dernière en date, qui s’est déroulée à Opio au mois de juin, a d’ailleurs rencontré un beau succès puisqu’elle a rassemblé trois cent cinquante notaires et négociateurs.
De nombreux thèmes y ont été abordés, tels le rôle du négociateur, les plus-values, les diagnostics techniques, l’expertise, l’amélioration de la rentabilité d’un service négociation, la qualité…
Il est vrai que la négociation débouche bien souvent sur d’autres prestations. Par exemple, l’expertise de biens immobiliers ou la gestion de patrimoines.
Certains notaires et notamment les ruraux ne peuvent survivre que grâce à la négociation immobilière du fait de l’exode rurale et de la forte baisse du nombre des transactions d’exploitations agricoles.
Au grand dam des agents immobiliers qui ont déjà bien des difficultés à prendre des parts de marché sur les particuliers et qui se trouvent, de nouveau, confrontés à une concurrence accrue des études notariales.
Il faut dire que la crise immobilière qui s’installe ne devrait rien arranger.
Notaires comme agent immobiliers la subissent en effet de plein fouet avec un nombre de transactions en chute.
« Les notaires se sont mis à la transaction par nécessité économique au moment de la dernière crise, affirme Henry Buzy-Cazaux, fraîchement élu délégué général de la Fnaim.
On a alors assisté à une guerre ouverte entre notaires et agents immobiliers, mais, depuis dix ans, les choses s’étaient calmées car l’immobilier allait bien.
Les agents gagnaient leur vie, les notaires aussi. Ils assuraient leur chiffre d’affaires rien qu’avec les actes ».
Aujourd’hui, la donne a changé. Mais sont-ils une réelle menace pour les agents immobiliers ? Pour l’heure, pas vraiment.
D’autant que les notaires voient, sinon une baisse, au mieux une stagnation de l’activité de négociation.
Une chose est sûre : agents immobiliers comme notaires rêvent de prendre des parts de marché sur les transactions entre particuliers. Or, on est loin du compte.
Des règles précises à respecter
Il est admis que près de la moitié des transactions sont le fait des particuliers, le reste se répartissant entre agents immobiliers (35 à 40 %) et notaires (10 à 15 %), selon les régions.
« La conjoncture est plutôt sombre, lance Henry Buzy-Cazaux. On assiste à une véritable fracture et, ce qui est inquiétant, c’est que la crise n’est pas immobilière mais financière, et qu’elle dépasse très largement nos frontières ». Résultat, tous les professionnels de la transaction voient leur chiffre d’affaires chuter. « Les notaires sont tentés d’aller conquérir des parts de marché. »
Le règlement national du Conseil supérieur du notariat n’y fait évidemment pas obstacle, indiquant que « la négociation de biens à vendre ou à louer constitue une des activités traditionnelles du notaire ». Pas plus que la loi Hoguet.
« Il faut d’ailleurs rappeler que bien avant le décret de 1955 sur la publicité foncière, les notaires rédigeaient et recevaient la quasi-totalité des mutations immobilières, indique Gérard Bornot, consultant du cabinet ANTOlogis.
La profession d’agent immobilier n’a été réglementée que bien plus tard avec, justement, la loi Hoguet de 1970 et son décret d’application (no 72-678 du 20 juillet 1972).
A l’inverse des agents immobiliers, cette loi ne soumet pas les notaires à l’obligation de détenir une carte professionnelle puisqu’ils sont officiers ministériels, mais ils doivent eux aussi détenir un mandat et respecter certaines règles.
« Il y a négociation lorsque le notaire, agissant en vertu d’un mandat écrit que lui a donné à cette fin l’une des parties, recherche un cocontractant, le découvre et le met en relation avec son mandant, soit directement, soit par l’intermédiaire du cocontractant, reçoit l’acte ou participe à sa réception », précise le décret du 8 mars 1978 (no 78-262).
Le notaire négociateur doit, en outre, respecter un code de bonne conduite. Il a, en effet, fallu l’affaire d’Amiens, dans les années 1980, pour que le Garde des sceaux de l’époque, Robert Badinter, précise le cadre exact de l’intervention du notaire en matière de négociation immobilière.
Sans doute qu’alors certaines études s’apparentaient-elles plus à des agences immobilières qu’à des officines notariales.
Une obligation de discrétion
En matière de négociation, les notaires n’ont pas les mains aussi libres que les agents immobiliers. Le notaire n’a, par exemple, pas le droit de prospecter.
Mais, son métier le conduit à rencontrer beaucoup de clientèle. Ne serait-ce qu’à l’occasion de successions, de donations, d’expertises immobilières… Autant de domaines qui l’amènent à délivrer des conseils.
« Le notaire est le confident et le conseiller naturel de la famille. A ce titre, il est régulièrement confronté à des questions immobilières et se trouve logiquement au point de rencontre entre offre et demande », indique Gérard Bornot, qui poursuit, certains notaires se contentent de donner la marche à suivre pour vendre ou acheter un bien immobilier, d’autres vont beaucoup plus loin, se chargeant notamment de la négociation. »
Pendant des siècles, le notaire a été le seul interlocuteur des particuliers souhaitant réaliser une opération immobilière, notamment dans les zones rurales.
Au début des années 1990, la région Nord-Pas-de-Calais comptait une agence immobilière pour trois mille deux cents foyers, alors que la moyenne nationale était de mille trois cent vingt et que certaines régions très urbanisées n’en dénombraient qu’une seule pour quatre cent cinquante à six cents foyers.
Un notaire d’Hazebrouck recense, pour sa part, vingt agences sur son secteur alors qu’il n’en existait aucune il y a vingt ans.
Quoi qu’il en soit, les notaires ne disposent pas des moyens de communication des agents immobiliers.
Leur code de bonne conduite leur interdit par exemple de créer une vitrine et d’y afficher les biens pour lesquels ils détiennent un mandat. Ils n’ont pas le droit de pratiquer la négociation ni dans un local indépendant de leur étude, ni dans une pièce disposant d’une entrée séparée. Ils ne peuvent pas non plus avoir d’enseigne particulière. Aucune mention sur leurs services et leurs compétences ne doit apparaître sur la façade de l’étude, comme « office notarial spécialiste en immobilier ». Pas plus qu’une indication d’appartenance à un groupement de notaires négociateurs.
Le notaire peut, en revanche, apposer un panneau sur le bien à vendre ou à louer. Dans ce cas, son nom doit y figurer, de même que le logo de la « Marianne ». Mais dès que le bien est vendu, cet affichage doit être oté.
Les notaires ont également la faculté de mettre en commun différents moyens pour apporter le meilleur service possible en matière de négociation.
Par exemple, ils ont la possibilité de mettre leurs mandats de vente sur un fichier commun à plusieurs notaires ou à un groupement.
De même qu’ils peuvent diffuser leurs annonces dans des journaux gratuits d’annonces immobilières (art. 5, alinéa 2 de l’arrêté du 27 mai 1982) édités par un groupe d’offices et distribués gratuitement dans les boîtes aux lettre.
Les officiers ministériels ont le droit de faire de la publicité dans les journaux, mais uniquement pour présenter des biens à la vente ou à la location (à l’exception donc de toute autre publicité).
Une valeur ajoutée pour la clientèle ?
Pour justifier de la légitimité de leur activité de négociation, les notaires mettent, bien sûr, en avant leurs compétences juridiques et fiscales.
Il est un fait que ces connaissances sont des atouts assurant la sécurité des ventes qui leur sont confiées.
« Nous ne sommes pas des commerçants, indique un notaire, sous couvert d’anonymat. Dans la négociation, il y a une notion de service qui a été trop souvent oubliée ces dernières années avec l’euphorie immobilière. »
En outre, le notaire dispose d’outils performants en termes d’expertise. Il peut notamment recourir à Perval grâce au logiciel Synotex, une base de données qui collecte sept cent mille références par an. Une aide précieuse dans l’estimation du prix d’un bien immobilier quelle que soit sa localisation.
En outre, à l’échelon de son quartier ou de sa ville, le notaire dispose d’une observation permanente du marché immobilier, en particulier au travers des actes qu’il authentifie au quotidien.
« Lorsque j’expertise un bien immobilier, j’en donne la valeur au vendeur et il n’est pas question, pour moi, de prendre un mandat à un prix au-delà du marché, explique Me Pierre Bazaille, sinon, je considérerais que je vole l’acquéreur. »
Mais, l’argument de poids des notaires tient à leur tarification, en matière de négociation.
Le mandat écrit doit indiquer le mode de calcul de l’émolument et préciser qui, du vendeur ou de l’acquéreur, sera facturé.
Par rapport aux tarifs pratiqués par les agents immobiliers, les honoraires de négociation des notaires sont moins élevés.
Ceux-ci sont d’ailleurs réglementés comme sui (décret 78- 262 du 8 mars 1978) : 5 % jusqu’à 45 700 euros et 2,5 % au-delà. Sur une vente de 150 000 euros, par exemple, les honoraires s’élèvent à 3,9 % TTC.
Pour une même opération, les agences affichent des barèmes compris entre 5 et 8 %.
Certes, on assiste à l’apparition d’agences « low cost » et le ralentissement du marché conduit de nombreux professionnels à réduire leurs rémunérations.
Sur un marché qui semble aller tout droit vers la crise, les notaires seront probablement moins touchés que certaines agences, la négociation ne représentant qu’une part minime de leur chiffre d’affaires et leurs salariés négociateurs étant le plus souvent rémunérés sur la base d’un fixe plus un pourcentage ou une prime en cas de vente.
Un coût inférieur au poids de cette activité dans une agence : autour de 50 à 55 % du chiffre d’affaires. Pour autant, dans les campagnes, la situation des notaires n’est pas forcément aussi bonne que d’aucuns le prétendent.
« Certains notaires et notamment les ruraux ne peuvent survivre que grâce à la négociation immobilière du fait de l’exode rural et de la forte baisse du nombre des transactions d’exploitations agricoles », note Maurice Floch, directeur des agences Square Habitat de l’agglomération brestoise et ancien clerc de notaire.
En ville, on assiste à un autre phénomène. « En zone urbaine, les notaires préfèrent composer avec les agents immobiliers qui sont des apporteurs d’affaires, poursuit Maurice Floch. A Brest, chaque notaire a un service de négociation mais, malgré cette concurrence, cela ne m’empêche pas d’entretenir de bonnes relations avec eux. En échange des ventes que j’apporte aux études, celles-ci me proposent des collaborations sur certaines affaires. »
Certains notaires ouvrent, par ailleurs, leur fichier aux agents immobiliers et font, en quelque sorte, de l’inter cabinet.
Il faut toutefois noter qu’un notaire ne peut ni percevoir, ni verser une commission à un tiers. Dans un marché de plus en plus concurrentiel, les notaires négociateurs s’inquiètent non seulement du nombre croissant d’agences immobilières, même si, à l’heure actuelle, on assiste davantage à des fermetures qu’à des ouvertures, mais également du développement des réseaux, de l’arrivée des banques sur le marché de la transaction…
Malgré tout, s’il est un point sur lequel tous les professionnels s’accordent – et qui les inquiète –, c’est bien la concurrence des particuliers.
Sans nul doute, les notaires comme les agents immobiliers ont-ils une carte à jouer. Sauront-ils la saisir et faire en sorte de cohabiter dans le respect des règles déontologiques qui leurs ont été fixées ?
Rien n’est moins sûr en période de crise