Concernés au premier plan par l’explosion de la famille traditionnelle, les professionnels doivent tenir compte de la situation de leurs clients.
On n’appréhende pas un ménage recomposé comme de jeunes mariés. Les conseils de Bruno Rouleau.
JDA : Les ménages recomposés ont-ils plus de difficulté que les foyers traditionnels pour devenir propriétaires ?
Bruno Rouleau : Oui. Les difficultés rencontrées, tiennent surtout à la situation juridique du nouveau ménage, pas toujours clarifiée. Il est de plus en plus courant que l’une des deux personnes ne soit pas encore divorcée et libre de ses actes. Rappelons en effet, que la grande majorité des unions est prononcée sans contrat de mariage. Ceci signifie qu’en cas de séparation, il faut attendre le prononcé du jugement et généralement le partage de la masse commune pour pouvoir s’engager financièrement, notamment en présence de garanties à confier.
JDA : L’approche de l’endettement de ces ménages recomposés est-elle standardisée ?
B.R. : Non. Tout dépend des interlocuteurs. L’intégration de la pension alimentaire dans les revenus peut par exemple radicalement changer la donne. Idem pour les allocations familiales qui ne sont pas systématiquement prises en compte sur toute la durée du prêt ou sur la capacité d’emprunt. A contrario, la présence d’enfants issus de lits différents peut être aussi comptabilisée dans le calcul du reste à vivre. Ce qui peut, du coup, exclure le foyer du recours au financement, ou diminuer sérieusement son enveloppe d’investissement.
JDA : Quelles questions les ménages recomposés doivent-ils se poser avant de lancer leurs investigations ?
B.R. : Tout d’abord, le montage juridique de l’opération nécessite de bien avoir conscience des conséquences. L’assistance d’un notaire dans ces conditions est souvent justifiée, ne serait-ce que pour avoir un point de vue éclairé et neutre qui s’impose aux parties en présence. Par exemple, faire le choix d’un montage en SCI emporte des avantages dans la protection successorale des adultes et des enfants, mais prive de dispositions fiscales uniquement destinées aux personnes physiques (crédit d’impôt sur la résidence principale). L’achat d’un bien en indivision, lorsqu’il y a disproportion des revenus entre les deux acquéreurs, nécessite soit une répartition non égalitaire de l’acquisition, soit un montage qui tienne compte de cette situation pour que la charge du prêt ne vienne pas ensuite perturber la répartition initialement envisagée.
Un peu plus d’un million et demi de familles monoparentales, près d’un ménage sur deux confronté au divorce dans les grandes agglomérations nationales et une projection de 40 à 45% de divorce dans les années à venir.
JDA : Vous voulez dire que ce n’est pas parce que deux personnes achètent en commun qu’ils ont la même part dans le bien ?
B.R. : Tout à fait. D’une part, vous pouvez acquérir un bien sans être copropriétaires égalitaires. D’autre part, un achat réalisé en indivision parfaite (moitié chacun) peut voir sa répartition de propriété affectée par la prise en charge du remboursement du prêt par une seule des deux parties. Dans le cas d’une séparation bien évidemment, mais aussi dans celui d’un décès, et enfin par les services fiscaux qui y verraient une donation déguisée, redressable au plus fort taux puisqu’en l’absence de dispositions matrimoniales, les deux parties ne sont aucunement liées juridiquement. Nous sommes dès lors en présence d’une donation entre tiers, la plus lourdement fiscalisée.
JDA : Existe-t-il alors des recettes applicables facilement ?
B.R. : Chaque situation peut nécessiter une consultation. Mais on peut établir une hiérarchie des difficultés. Y a-t-il persistance d’une relation matrimoniale antérieure pour l’une des deux parties ? Existe-t-il des enfants issus de lits précédents ? Existe-t-il des enfants issus du foyer recomposé ? Y a-t-il une forte disparité des revenus entre chaque partie ? Dans la répartition prévue du bien à acheter, les deux parties ont-elles un apport personnel très différent ? Y aura-t-il recours à un crédit ? Il est évident qu’une réponse positive à toutes les questions va rendre le montage juridique et financier plus complexe et plus délicat à obtenir.
Dès que l’on sort du conseil juridique ou financier, le professionnel de l’immobilier a un devoir de réserve. Mais une approche discrète est toujours un plus pour la satisfaction des clients.
JDA : Les dossiers des foyers recomposés sont-ils toujours plus compliqués ?
B.R. : Je ne suis pas là pour inquiéter. Je dis juste qu’il faut faire davantage attention et prendre un peu de temps pour valider la forme plus que le fond. Bien évidemment, dans la plupart des cas, les candidats à l’acquisition pourront trouver une solution. Mais les mauvaises découvertes ne se font généralement que plus tard, en cas d’incident ou d’événement venant perturber la situation établie. Et puis, je répète que les critères financiers des banques peuvent varier d’un établissement à l’autre. La consultation préalable d’un professionnel de la finance peut, là aussi, s’avérer pertinente, voire réconfortante. Ces disparités existent aussi quant à la compréhension des montages et à la mise en oeuvre des garanties. Les organismes de cautionnement mutuel, par exemple, n’approchent pas le risque financier de la même façon. Toutes les banques ne souhaitent pas gérer d’inscription hypothécaire en pari passu, ce qui prive la préconisation de certains montages. Enfin, il est plus rassurant pour un professionnel de se faire confirmer que la situation juridique et financière des candidats à l’achat ne va pas remettre en cause une transaction.
JDA : L’accession à la propriété n’est pas la seule solution pour l’occupation d’un logement…
B.R. : Effectivement, il existe une multitude d’autres situations. Lorsqu’une des parties dispose d’un bien en propre qui va héberger le nouveau foyer. Dès lors, se pose la question des droits pour chacun, surtout s’il doit y avoir des enfants issus de la nouvelle relation, ou s’il y a recours à un emprunt pour des travaux ou une extension et que le remboursement est assuré par la partie non propriétaire du bien. Il en va de même lorsqu’une des parties fournit un terrain sur lequel le ménage va procéder à une construction. Et la difficulté prend encore une autre dimension lorsque l’une des deux parties fait appel à des prêts aidés, pour lesquels l’éligibilité à ces crédits, la justification de la propriété et des revenus, vont devoir être en concordance avec la législation et avec la situation existante ou voulue des membres du ménage.
JDA : Outre les risques juridiques et financiers. Quels sont les autres freins à l’achat pour un ménage recomposé ?
B.R. : Ils sortent du champ de l’analyse rationnelle. et tiennent à l’approche psychologique quant à la solidité de la nouvelle relation. Les acquéreurs potentiels sont-ils conscients de l’engagement qu’ils prennent, entre eux, mais surtout à l’égard des tiers ? Un achat immobilier mérite dans ces circonstances, plus que pour un couple marié car les parties sont moins protégées par les dispositions matrimoniales prévues par la loi, une réflexion non seulement sur l’avenir mais aussi sur les engagements issus du passé. La modularité du bien, en cas d’enfants issus de lits différents ou s’il y a un projet de filiation commune, doit permettre, dans l’état présent ou au travers d’aménagements facilement réalisables, une redistribution des espaces de vie de tous les membres du foyer au fur et à mesure du temps.
JDA : Vous conseillez la consultation d’un notaire dans les cas compliqués. Les personnes n’auraient-elles pas aussi intérêt à consulter dès lors leurs banques préalablement ?
B.R. : Bien sûr. Mais pas forcément et pas seulement leurs banques. L’interrogation d’un courtier permet d’avoir un regard plus neutre sur le montage et sur les modalités. La (les) banque(s) des parties peut avoir une légitime tentation à faire rentrer le dossier dans des canons internes à son établissement, parfois au détriment des intérêts juridiques des clients. Par ailleurs, il y aura forcément mise en concurrence, sauf si les deux parties disposent de la même et unique relation bancaire. Ceci signifie qu’en cas de pluralité de prêts (pour respecter les différences d’apports, ou pour bénéficier de prêts aidés pour l’une des deux parties, ou pour respecter une parfaite identification des engagements de chacune des parties), l’interlocuteur bancaire pourrait être enclin à ne proposer son dossier qu’avec la contrepartie d’une relation exclusive sur l’opération et/ou sur le foyer. Et si les membres du ménage souhaitent a contrario protéger l’indépendance de chacun, la négociation peut s’avérer longue, voire compliquée. Le courtier demeure dès lors l’interlocuteur de la situation, sachant qu’il explorera sans doute la piste des banques déjà en relation avec les clients.