Immobilier résidentiel : entre une économie en panne et de grandes incertitudes, quel avenir pour le marché de l’ancien ?

Après une crise marquée en 2024, le marché de l’immobilier ancien amorce une reprise timide, freinée par des conditions de financement strictes et une demande fragilisée. Quelle sera la trajectoire du secteur dans les prochaines années ? Cela va dépendre des politiques monétaires et budgétaires dans un contexte économique toujours instable. Analyse de la conjoncture par Michel Mouillart.
marché immobilier 2023

Dans un paysage dominé par la dégradation de l’environnement international et les conséquences du changement climatique, l’année 2024 a été marquée par l’accentuation de l’instabilité politico-économique. En dépit de la parenthèse enchantée des Jeux Olympiques, la plupart des scénarii macroéconomiques présentés par les établissements bancaires ont alors dégradé les perspectives de l’économie française, en abaissant leurs prévisions de croissance pour les années 2025 et 2026, et en confirmant la persistance d’une situation de morosité par la suite.

Certes, les prévisions macroéconomiques de l’administration des Finances et de la Banque de France entretiennent toujours un certain optimisme qui peine à convaincre. Car l’économie française devrait souffrir d’un climat d’incertitudes renforcé et d’une BCE plus prudente qu’en 2024, dans le contexte d’un probable resserrement budgétaire qui affectera presque sûrement la demande intérieure, avec le risque supplémentaire de rajouter une dose d’attentisme aux incertitudes actuelles. Sans oublier, bien sûr, les conséquences de la politique économique de l’administration américaine (et une possible « guerre commerciale ») sur le rythme de l’inflation et la croissance mondiale.

Nouvelle dégradation de l’environnement macroéconomique

Dans sa présentation des perspectives de l’économie mondiale pour 2025 et 2026 de mars 2025, l’OCDE souligne que les récents indicateurs d’activité annoncent un ralentissement de croissance de l’économie mondiale. La confiance des entreprises et des consommateurs s’est presque partout dégradée, des tensions inflationnistes persistent dans beaucoup de pays et d’importants risques subsistent : la poursuite de la fragmentation de l’économie mondiale constitue notamment une source de préoccupation majeure. Car une inflation plus élevée que prévu entraînerait une politique monétaire plus restrictive et risquerait de perturber en profondeur les marchés financiers.

Afin d’élaborer ses prévisions, l’OCDE a pris en compte les droits de douane entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, les nouveaux droits en vigueur entre les États-Unis et la Chine, et ceux sur l’acier et l’aluminium. En revanche, les probables droits de douane réciproques annoncés par l’administration américaine ou ceux concernant l’Union européenne n’ont pas été intégrés. Pourtant les prévisions de croissance en 2025 pour l’Allemagne et la France ont été revues à la baisse, pour la deuxième année consécutive.

C’est bien le résultat que proposent les scénarii macroéconomiques des établissements bancaires présentés à la mi-mars. La croissance économique devrait rester médiocre, notamment en raison d’une incertitude politique intérieure persistante et renforcée par l’incertitude internationale associée au programme protectionniste de l’administration américaine.

L’économie française se positionne donc durablement sur un sentier de croissance lente, sans risque de récession, mais sans possibilité d’une expansion plus rapide : la perspective d’un regain de croissance à partir de 2026 a presque sûrement cédé la place à un enracinement sur des rythmes de faible croissance, même si en raison d’un heureux concours de circonstances une partie des incertitudes politico-économiques actuelles se dissipait, alors que les conséquences économiques et financières de l’attentisme des agents économiques s’atténuaient.

Le PIB ne devrait guère s’élever de plus de 0.6 % en 2025 et de 0.7 % en 2026, pour peut-être s’afficher à 0.9 % en 2027 si d’ici là rien ne vient ajouter de la dégradation à un environnement international déjà détérioré.

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Dans ce contexte de faible croissance, le taux de chômage remontera assez rapidement, pour s’établir au-dessus de 8 % dès 2026 et ne plus redescendre par la suite. Aussi le pouvoir d’achat des ménages va pratiquement stagner (+ 0.2 % par an, de 2025 à 2027 : contre + 1.4 % en moyenne de 2020 à 2024, durant des années où pourtant la conjoncture économique avait été malmenée). D’autant que dans un paysage budgétaire marqué par la compression des dépenses (hors budget de la défense) et un engagement en faveur du réarmement, le pouvoir d’achat souffrira de la faible croissance des prestations sociales. Aussi et compte tenu incertitudes budgétaires et (géo)politiques, la confiance que mesurent les enquêtes de l’INSEE ne devrait pas s’améliorer rapidement et même probablement se maintenir sous sa moyenne de longue période. Les intentions d’achats immobiliers des ménages qui se dégradent depuis décembre 2024 risquent donc de rester contenues, pesant sur le dynamisme de l’investissement immobilier mais aussi sur la consommation de biens durables qui l’accompagne très souvent : d’ailleurs après plus de 3 mois de dégradation, les intentions sont revenues en mars 2025 à leur niveau de la fin de l’année 2022, lorsque l’affaiblissement de la demande avait amplifié la détérioration de la conjoncture immobilière. Dans ce contexte, le maintien d’un taux d’épargne élevé va alors s’accompagner d’une demande des ménages peu dynamique, sans pouvoir apporter le soutien nécessaire à la croissance intérieure.

Enfin, le ralentissement de l’inflation va se poursuivre, à un rythme annuel qui va s’établir sous les 2 % dès 2025. Et se maintenir à un niveau de l’ordre de 1.7 %, en l’absence de nouvelles sources de déséquilibres.

Détérioration des conditions de financement de l’économie

Les incertitudes politiques et géopolitiques se sont accrues depuis le début de 2025. Elles affectent la tenue des marchés boursiers et obligataires, illustrant la détérioration de la confiance des investisseurs sur les perspectives des économies américaine et européenne, notamment. Dans ces conditions et en dépit de l’assouplissement monétaire progressif mis en œuvre par la BCE, les taux d’intérêt réels augmentent partout (les taux obligataires, bien sûr, mais aussi les taux des crédits servis aux emprunteurs privés) en Europe. A cet égard, la France n’a pas encore réussi à convaincre les marchés de sa capacité à maitriser, puis à réduire durablement ses déficits publics : la « surchauffe » des taux des OAT à 10 ans et à 30 ans constatée depuis début décembre (pour le taux à 10 ans : + 70 points de base – pdb – entre le 6 décembre 2024 et le 13 mars 2025 ; et + 80 pdb pour le 30 ans) en apporte une belle illustration.

Les conditions de financement de l’économie se dégradent donc dans les scénarii macroéconomiques et financiers : avec des taux réels déconnectés des fondamentaux de l’économie et surtout incompatibles avec la réalisation des projets d’investissement industriels ou résidentiels à moyen et long terme. Par exemple, le taux de l’OAT à 10 ans s’établirait à 3.36 % en 2025 (avec un risque élevé de tangenter les 3.50 % au 2ème trimestre), pour varier dans une fourchette étroite (entre 3.30 % et 3.40 %) les années suivantes : alors que dans le même temps, par exemple, le PIB s’élèverait de 0.8 % en moyenne au-delà de l’inflation. La dégradation des marchés est nette : par exemple pour la période 2025-2027, le taux de l’OAT à 10 ans est dans le scénario retenu de 50 pdb plus élevé que dans le scénario gris de décembre 2024 et de 80 pdb si on se réfère au scénario gris clair !

Dans ces conditions, des marchés atones accueilleraient avec soulagement le renforcement de la dynamique baissière des taux de la BCE. Mais elle paraît loin la décision de la BCE de s’engager dans un soutien sans réserve à des économies européennes frappées par la crise de la Covid, lorsque Christine Lagarde déclarait :   « Les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire » (19 mars 2020).

Certes, de nouvelles baisses de taux sont attendues, après la baisse de 25 pdb du 6 mars dernier. Mais il est à craindre que la BCE ne se contente que d’une autre baisse de 25 pdb dans les prochaines semaines (avant l’été, probablement) : les craintes d’une tension inflationniste (bien que courte et faible) se renforcent, face au risque d’une guerre des droits de douane. Et sans exclure un coup de pouce supplémentaire en fin d’année, tel celui de 2024, lorsque la poursuite du ralentissement économique de la zone euro deviendra quasiment certaine en 2026.

Et ces baisses, récentes et à venir, ne seront toujours pas suffisantes pour desserrer les contraintes pesant encore sur le financement bancaire. Car la politique monétaire de la BCE ne sera plus accommodante comme elle le fut jusqu’en 2022. Cela obérant évidemment un redémarrage prononcé et durable de l’offre de crédits bancaires, alors que la dégradation des conditions de financement et de refinancement de l’économie, la montée des primes de risques et la fragilisation des emprunteurs commencent à peser sur la profitabilité des nouveaux engagements.

Dans ces conditions, l’amélioration des conditions de crédit faites jusqu’alors à l’immobilier résidentiel va céder la place à la stabilisation des taux d’intérêt. Car il est à craindre qu’après la baisse des taux qui avait permis d’éclaircir la conjoncture immobilière en 2024 et au 1er trimestre 2025 (en accompagnant le recul des taux d’autofinancement demandés aux emprunteurs), une longue période de stabilisation ne vienne rapidement (à partir de l’été prochain) brouiller le paysage.

Faibles lueurs d’espoir dans l’ancien

Après une année 2024 particulièrement mauvaise, avec une production de crédits immobiliers revenue près de 10 années en arrière, l’activité bancaire devrait se relever dès 2025. Mais compte tenu de l’environnement économique et financier attendu, le rebond va rester modéré : une petite progression en 2025, puis une augmentation ramenant la production de crédits immobiliers aux particuliers à un niveau comparable à celui de 2020, lors de la crise sanitaire. Cela n’est guère surprenant si la demande ne peut compter sur le maintien de bonnes conditions de crédits, alors que la Banque de France reste arc boutée sur son projet de « réguler » le marché et ne revient pas sur la recommandation de décembre 2019.

Néanmoins, les mesures de soutien présentées par la ministre en charge du Logement (extension du PTZ, exonération des droits de mutation, soutien aux maires bâtisseurs, …) et adoptées début février avec le projet de Loi de finances pour 2025 vont permettre au secteur de la construction de sortir d’une crise d’une ampleur exceptionnelle.

Une crise inédite compte tenu de l’inaction de l’Etat durant 7 années et qui a ramené le niveau des mises en chantier un quart de siècle en arrière, alors que l’appareil de production se désagrégeait et que la crise quantitative du logement se diffusait partout sur le territoire.

Bien sûr, cette reprise sectorielle va rester modeste compte tenu des moyens budgétaires rares qui pourraient être mobilisés et qui ne sont pas à l’abri des régulations budgétaires et des annulations de crédit risquant de se succéder au fur et à mesure de la mise en œuvre du plan de réarmement. D’ailleurs, en supposant le respect des engagements budgétaires, la construction de logements devrait au mieux revenir en 2027 à son niveau de 2009, en-deçà de celui de 2020 par exemple ! Et pourtant, la récente « révision » des statistiques de la construction a permis (discrètement) de relever le nombre de logements commencés : en effet, depuis 2019 ce sont près de 125 000 logements qui ont ainsi été retrouvés et permettent maintenant de « muscler » les prévisions de mises en chantier.

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En revanche, le marché de l’ancien ne devrait guère bénéficier d’une forte amélioration de son activité. Certes, un retournement de conjoncture paraît peu probable même si le cadre de ce marché ne va pas être exceptionnel. Cependant le rebond des ventes de logements anciens aux particuliers n’a été perçu que tardivement par de nombreux acteurs de ce marché : pourtant dès le printemps 2024, la dégradation de l’activité touchait à sa fin. Mais si l’indicateur de l’IGEDD (parfois encore nommé « statistiques des notaires ») censé mesurer l’activité au niveau des actes signés s’est bien retourné, il ne l’a fait qu’avec retard par rapport au marché : il est (par définition et par construction) en retard de 3 mois (voire parfois de 4 mois) sur le marché saisi au niveau des compromis et il n’a donc pu livrer une information essentielle aux acteurs du secteur que durant l’automne 2024, pour les plus attentifs d’entre eux. On peut alors craindre qu’à l’avenir certains estimeront encore que l’activité progresse rapidement, alors qu’elle ne fera que s’élever doucement.


Car l’augmentation du nombre de logements anciens achetés par des particuliers devrait rester modeste, de l’ordre de 4 % par an durant les années 2025 à 2027. Ainsi, le marché de l’ancien retrouverait en 2027 son niveau d’activité de 2020.

Cependant, on ne peut exclure un rebond des ventes de logements anciens plus puissant que celui que suggèrent les prévisions macroéconomiques et financières pour 2027. Tel serait le cas si le renforcement de la hausse des prix qui se généralise sur l’ensemble du territoire métropolitain depuis l’automne 2024 favorisait la remontée de l’offre de logements présentés sur le marché. Comme cela s’est déjà observé lors de précédentes sorties de crise, des revendeurs candidats à un rachat jusqu’alors compliqué sur un marché étroit et ne laissant que peu de place à des produits plus chers que la moyenne retrouvent leur place. Dans ce cas, la reprise s’amplifie progressivement et le rythme de la croissance des ventes s’élève au fur et à mesure de la hausse des prix signés.

Néanmoins, les années de la crise qui s’est achevée furent celles de la fonte de la primo accession et pas vraiment celles du recul des revendeurs. Il est donc à craindre que la dynamique vertueuse d’une reprise auto amplificatrice ne soit dotée que d’une faible probabilité d’occurrence, surtout si la Banque de France n’allège pas les contraintes qu’elle impose au financement de l‘immobilier résidentiel.

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Categories: Conjoncture
Michel Mouillart: Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement. L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011. En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001. Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015). Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère. Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement. Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.