Le tribunal de Nice, et avant lui celui de Nancy, ont porté un coup d’arrêt aux mesures restrictives prises par les communes de Nice et de Strasbourg. Le Tribunal administratif de Nice dans une décision du 31 janvier 2024 n°2104077 a ainsi annulé la délibération qui imposait aux copropriétaires souhaitant faire de la location saisonnière dite Airbnb de justifier que leur demande de changement d’usage était autorisée dans leur copropriété et de joindre l’extrait du règlement de copropriété en attestant (et à défaut l’accord de la copropriété).
Parallèlement à ces décisions administratives, se pose la question de la nature juridique de ce type de locations. Cette activité est-elle commerciale par nature, comme pourrait le laisser supposer les dispositions de l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation ? Ou bien simplement civile ?
L’enjeu, évidemment, tient en la compatibilité de l’activité exercée avec la destination de l’immeuble, en particulier si le règlement de copropriété contient une clause dite d’habitation bourgeoise. Une activité purement civile ne sera pas interdite par nature, sous réserve évidemment des nuisances qu’elle peut éventuellement causer, mais c’est un autre débat…
Pour rappel, « la clause d’habitation bourgeoise se définit comme l’obligation pour chaque propriétaire ou son locataire, de respecter le caractère bourgeois de l’immeuble, c’est-à-dire sa vocation à être un immeuble d’habitation ».
Depuis ces dernières années, la question divise la jurisprudence en permettant l’émergence d’une analyse dichotomique.
– Pour certaines juridictions, cette réglementation, issue de la loi dite ALUR, est étrangère au droit de la copropriété régi par la loi du 10 juillet 1965, et ainsi tout dépendrait de la manière dont la location est pratiquée.
C’est le point de vue notamment de la Cour d’appel de Grenoble, laquelle a pu considérer que la nature civile ou commerciale de la location pratiquée dépend de l’existence ou non de prestations de services accessoires. Lorsque la preuve de l’existence de telles prestations n’est pas rapportée, la location échappe à la commercialité.
Avant elle, la Cour d’appel de Chambéry avait déjà opéré une distinction en recherchant si l’activité était accompagnée ou non de prestations de services. Allant plus loin, les juges savoyards avaient surtout distingué selon que les services proposés (ménages, transferts vers l’aéroport, petits déjeuners) étaient permanents ou optionnels.
Pour ce courant jurisprudentiel, lorsque la preuve de l’existence de telles prestations n’est pas rapportée, la location échappe à la notion de commercialité.
– D’autres juridictions en revanche ont continué d’appliquer une politique rigoureuse, sans aucune nuance. Pour celles-ci, beaucoup plus rigoristes, la présence d’une clause d’habitation bourgeoise dans le règlement de copropriété implique nécessairement une occupation pérenne et paisible par nature, incompatible avec la pratique de la location touristique de courte durée.
C’est notamment la position de la Cour d’appel de Paris qui, encore récemment a confirmé que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile est une activité commerciale qui contrevient directement aux clauses du règlement de copropriété précitées relatives à l’usage que les copropriétaires doivent faire de leur lot et à la destination bourgeoise de cet immeuble impliquant une occupation pérenne et paisible ».
La Cour d’appel d’Aix en Provence adoptait quant à elle une position tout aussi rigoureuse, voire plus encore, en considérant que « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, est incompatible avec la clause d’habitation bourgeoise d’un règlement de copropriété, que cette habitation bourgeoise soit stricte ou non ». Ainsi, la location à la nuitée, toute l’année, semblait constituer une circonstance aggravante… !
Il y a donc bien l’émergence d’une distinction prétorienne selon que la location est proposée ou non avec des services para-hôteliers. La pratique attendait avec impatience la position qu’adopterait la Cour de cassation en pareilles circonstances.
C’est ainsi que le feuilleton judiciaire se poursuit et que l’étau se desserre grâce à l’arrêt rendu le 25 janvier 2024 par la Cour de cassation.
La Cour, saisi d’un pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt précité rendu par la Cour d’appel de Chambéry, confirme l’analyse des juges du fond en retenant « que l’activité exercée dans l’immeuble n’était accompagnée d’aucune prestation de services accessoires ou seulement de prestations mineures ne revêtant pas le caractère d’un service para-hôtelier, la cour d’appel en a exactement déduit que cette activité n’était pas de nature commerciale ».
Cette décision, attendue de longue date par les praticiens du droit et les professionnels de la location, s’inscrit dans une volonté de faire évoluer la jurisprudence sur les conséquences de la pratique de la location meublée touristique de courte durée dans un immeuble en copropriété à destination dite d’habitation bourgeoise.
Pour beaucoup, la simple référence à la notion abstraite d’habitation bourgeoise dans un règlement de copropriété suffisait, de jure, à rendre la pratique de la location touristique de courte de durée incompatible avec la destination de l’immeuble, sans autre forme de procès.
Désormais, les cartes sont rebattues. Les juges du fond devront nécessairement se livrer à une analyse complète, in concreto, pour déterminer la destination de l’immeuble, le caractère bourgeois redevenant ici un élément parmi d’autres (prestations, standing, quartier, voisinage).
Dans le même sens, l’existence ou non de troubles dépassant les inconvénients normaux du voisinage deviendra déterminante. Sur ce point également la jurisprudence est mouvante.
Historiquement, il est admis que la location de courte durée ou à la nuitée, donc pour de brèves périodes « induit, par sa nature, des troubles de voisinage générés notamment par des allées et venues fréquentes dans les parties communes, des rotations rapides et des occupations passagères peu stables, y compris en période nocturne et de repos de fin de semaine ». Faut-il pour autant en déduire une généralité ? Cela ne semble pas correspondre à l’esprit de la loi… L’anormalité doit être avérée et l’imputation du trouble à l’activité exercée doit être démontrée au cas par cas.
Comme en toute matière, il faut savoir raison garder et s’il est évident que la location meublée touristique pratiquée en collectivité doit être règlementée, cette règlementation doit être justifiée, proportionnée mais surtout juridiquement encadrée.
Pour aller plus loin sur le plan fiscal…
Le régime fiscal des locations meublées touristiques de courte durée a été modifié par la loi de finances pour 2024. Les modifications apportées suppriment en partie les avantages de ce régime par rapport aux locations dites de longue durée. Le Gouvernement pris de court par cette mesure qu’il a laissé passer dans la loi de finances a finalement annoncé qu’une année de transition serait tolérée (Bofip du 14/02/2024). D’ailleurs, cette position de l’Administration fiscale fait actuellement l’objet d’un recours devant le Conseil d’État de la part de quelques sénateurs.
Dans le même temps, la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue a été adoptée le 29 janvier 2024 par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée.
A ce stade, ce texte prévoit également de réduire à 30 % le taux d’abattement fiscal dont bénéficient les revenus issus de ces locations meublées de tourisme (contre 71% ou 50% actuellement).
(1) Le Tribunal administratif de Nancy avait lui aussi précédemment suivi ce raisonnement dans un jugement du 25 avril 2023 en annulant l’article 8 du règlement municipal de la commune de Strasbourg.
(2) Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
(3) CA Grenoble, 2e ch., 23 mai 2023, n° 21/03168
(4) CA Chambéry, 5 juillet 2022, n°20/00561
(5) CA Paris, pôle 4 ch. 2, 31 mai 2023, n° 22/18593
(6) CA Aix en Provence 23 juin 2022 n°21-10914
(7) Civ. 3ème 25 janvier 2024 n°22-21.455
(8) La position adoptée par la Cour de cassation nous rappelle ici celle récemment adoptée par le tribunal judiciaire de Nice le 3 mars 2023 (n°22/02991).
(9) Exemple, nuisances sonores liées aux allées et venues incessantes de jour comme de nuit, jets de détritus (mégots, nourriture et boisson) (TGI NICE 21/06/2018 n°15/00774 ou encore TGI NICE 24/03/2022 n°19/02873).
Me Krystel MALLET, avocat associé, LBVS AVOCATS