Vous avez présenté ce mercredi 11 octobre au Conseil National de l’Habitat votre rapport sur la relance de l’accession à la propriété. Quel est le diagnostic qui vous a conduit à formuler un certain nombre de propositions destinées à redynamiser ce secteur de l’immobilier résidentiel ?
L’accession à la propriété est en dépression et le nombre des ménages réalisant chaque année leur projet s’est affaissé depuis 2019, affichant une perte qui en 2023 devrait s’élever à plus de 260 000 unités, soit une baisse de près de 30 % en 4 ans. Ce sont principalement les effectifs de la primo accession qui sont concernés par cette chute, alors que ceux de la secundo accession ont été largement préservés durant ces années.
Depuis 2019 en effet et principalement depuis l’automne 2021, les flux de l’accession à la propriété reculent. Rarement par le passé, une telle dégradation de l’activité avait pu se constater : car après la crise sanitaire qui a bouleversé l’ensemble de l’économie en 2020 et diffusé ses conséquences durant toute l’année 2021, le déclenchement de la guerre en Ukraine est venu déstabiliser un peu plus la situation économique générale dès le printemps 2022. Avec en conséquence de tout cela, une reprise vigoureuse de l’inflation dès le 4e trimestre 2021, un moral des ménages au plus bas et des intentions d’achats de logement en repli, une réorientation de la politique monétaire de la BCE provoquant depuis l’été 2022 une remontée des taux des crédits immobiliers qui pèse fortement sur les capacités d’achat des ménages.
Sans oublier un resserrement de l’accès au crédit provoqué par la mise en œuvre de la « recommandation » du HCSF de décembre 2019 qui a écarté du marché de plus en plus d’accédants à la propriété. En revanche, la baisse générale des prix des logements n’a pas été au rendez-vous, affaiblissant considérablement la probabilité des scénarios de redémarrage automatique des marchés de l’accession grâce au rétablissement de la solvabilité des acheteurs. Par exemple dans le neuf, la RE2020, les prémices du ZAN (zéro artificialisation nette) et l’envolée des prix des matériaux ont renchéri les coûts des opérations et rendu impossible le choc d’offre annoncé sur le marché des logements.
La situation actuelle paraît d’autant plus préoccupante que la plupart des scénarios économiques et financiers pour 2024 ne laissent pas entrevoir une amélioration de l’environnement des marchés qui ouvrirait la voie à un retournement de la conjoncture, puis à un rebond rapide et significatif de l’activité immobilière et de l’accession à la propriété. D’autant que le retour à des conditions de crédit comparables à celles qui avaient accompagnées l’expansion des années 2012 à 2019 est peu probable, même si les prévisions macro financières s’accordent sur une prochaine décrue des taux d’intérêt.
Quelles sont ces conséquences économiques et sociales indésirables auxquelles vous faites référence dans votre rapport ?
Les flux de l’accession ont chuté, partout sur le territoire national. Mais tous les candidats à l’accession n’ont pas été affectés de manière comparable. Ce sont les ménages les moins bien dotés en apport personnel, les candidats aux revenus les moins élevés jusqu’alors soutenus dans la réalisation de leur projet par les dispositifs d’aide tel le PTZ et auparavant l’APL-accession qui ont le plus fréquemment été exclus de ce marché, tant dans le neuf que dans l’ancien. Pourtant, cette catégorie d’accédants n’est pas fondamentalement plus exposée au risque de défaut, comme les bilans des commissions de surendettement permettent de le constater. En revanche, ces ménages ont vu les difficultés d’accès à un logement se renforcer, sur des territoires où l’offre locative est faiblement développée et notoirement insuffisante.
En outre, lorsque ces difficultés ont résulté d’une baisse sensible de la construction de maisons individuelles ou d’appartements commercialisés par des promoteurs, ce sont les déséquilibres macroéconomiques habituels qui se sont renforcés : le dérèglement des mécanismes de formation des prix et des loyers, les tendances à l’éviction des ménages modestes (voire moyens) des espaces urbains centraux, les difficultés d’accès à un logement des jeunes ménages, le maintien en service d’un parc énergivore dont le coût global est pourtant connu et démesuré, le blocage des créations d’emplois, la destruction d’un appareil de production, les faillites d’entreprises de toutes tailles et les destructions d’emplois.
De plus, le recul de l’accession à la propriété dans l’ancien prive les collectivités locales d’une recette fiscale essentielle à leur équilibre financier, les droits de mutation à titre onéreux.
Pouvez-vous nous présenter rapidement les 17 propositions que vous avez retenues pour redynamiser l’accession à la propriété ?
Redynamiser l’accession à la propriété est plus que souhaitable. C’est un objectif nécessaire afin d’éviter un durcissement de la crise immobilière actuelle et le renforcement des difficultés d’accès à un logement rencontrées par un nombre croissant de ménages, et notamment les moins aisés. Par exemple, le recul des mises en chantier constaté depuis 2021 s’explique à plus de 85 % par la chute de l’accession. Une stratégie proposée pour cela doit s’appuyer sur des mesures d’urgence destinées à redresser les flux de l’accession dans les mois à venir, tant dans le neuf que dans l’ancien, ainsi que sur des dispositions plus structurelles visant à corriger des déséquilibres, à assouplir des dispositions actuelles (normes, règles, recommandation…) entravant le redressement des flux de l’accession.
Cette stratégie doit évidemment contribuer au relèvement de la demande des particuliers, mais aussi à un rebond de l’offre sans lequel la demande buterait sur une dégradation supplémentaire de l’équilibre des marchés, un renforcement des situations de pénurie constatées déjà sur nombre de territoires.
Le groupe de travail du CNH qui s’est réuni à 5 reprises durant les mois de mai à juillet 2023 a ainsi formulé 17 propositions visant à redynamiser les flux de l’accession à la propriété :
- 10 propositions concernent les aides à l’accession, indispensables pour permettre à des ménages modestes de se loger dans de bonnes conditions (effort financier, qualité des biens acquis, localisation des biens, …), tant dans le neuf que dans l’ancien, et partout sur le territoire national dont notamment les espaces ruraux et intermédiaires plébiscités par la demande ;
- 3 propositions ont pour objectif de relancer une offre de logements neufs butant sur les contraintes imposées par des normes et des règles toujours plus nombreuses et pas toujours adaptées à la réalité des marchés ;
- 1 proposition vise à faciliter l’accession à la propriété des jeunes dans les zones touristiques, presque toujours caractérisées par une la cherté et l’insuffisance d’une offre de logements anciens accessibles à ces ménages ;
- enfin, 3 propositions visent à amplifier l’efficacité des dispositifs favorisant la constitution d’une épargne préalable ayant maintenant retrouvé leur place dans le financement de l’accession à la propriété et à instaurer une meilleure prise en compte des évolutions de l’environnement des marchés dans la gestion des normes et des contraintes décidées par les autorités nationales de contrôle des banques pour réguler la production des crédits immobiliers aux particuliers.