Un arrêt récent de la Cour de cassation (cass. civ. 3e civ, 11 mai 2023, n° 22.11842 22.11910) remémore l’un des pré-requis au paiement d’une agence : que le collaborateur soit titulaire d’une attestation d’habilitation.
Pour avoir manqué à cette obligation, une agence a perdu 613 800 €…. L’occasion de faire le point sur cette décision et ses conséquences pratiques.
I- Droit à rémunération de l’agence et attestation du collaborateur
Cette récente décision statue à la fois sur l’indemnisation de l’agence et le commissionnement du collaborateur.
A- Le pitch
Dans cette affaire, une société de droit espagnol a confié, en mandat simple, à une agence la vente de droits à construire et de biens immobiliers. Le mandat spécifiait que les honoraires, charge acquéreur, seraient répartis par moitié entre l’agence et un collaborateur identifié au mandat. S’en suivait une clause pénale au terme de laquelle le mandant ne pouvait, l’année suivant à fin du mandat, traiter sans le concours de l’agence avec un acquéreur dénoncé par cette dernière.
Une offre est faite par un candidat acquéreur. La réalité de cette offre n’est pas contestée par les parties de la procédure et de surcroît justifiée par des échanges de mails. Cependant l’offre n’aboutit pas.
Après la résiliation du mandat, un acte de vente est signé hors la présence de l’agence. Estimant avoir été frauduleusement évincée l’agence assigne le mandant sur le fondement contractuel et les acquéreurs sur le fondement délictuel afin d’obtenir une indemnisation de 613 800 €. Le collaborateur qui était identifié au mandat, quant à lui, intervient volontairement à la procédure et demande également son indemnisation.
La Cour d’appel déboute l’agence et le collaborateur de leur demande ; la Cour de cassation confirme l’arrêt et juge qu’ « en déléguant l’exécution du mandat de vente, la société Gémie s’était mise en infraction avec les dispositions précitées (loi Hoguet) exigeant la vérification par l’autorité préfectorale des garanties de moralité et de compétence offertes par la personne habilitée en vue d’intervenir dans une opération relevant de son champ d’application. » La cour poursuit son raisonnement et conclut que « dès lors que les prescriptions d’ordre public de ce texte n’avaient pas été respectées, la société Gémie ne pouvait prétendre à la rémunération prévue au contrat, et que ni ses actions en indemnisation, ni celles de M. [D], ne pouvaient être accueillies. »
B- Conséquences
1) Sans attestation d’habilitation, pas d’indemnisation pour l’agence et le négociateur.
La solution est classique, cependant l’arrêt est intéressant en ce qu’il statue, dans une décision unique, à la fois sur les honoraires de l’agence et le droit à commission du collaborateur.
Il convient donc de retenir que l’intervention d’un collaborateur sans être titulaire d’une attestation d’habilitation (délivrée désormais par la Chambre de commerce et d’industrie) fait perdre à l’agence ses honoraires, au négociateur sa commissions et aux deux le droit d’être indemnisés. Peu importe le travail qui a été réalisé.
2) Intervention habituelle ou ponctuelle ?
Le négociateur soutenait qu’il convenait de distinguer selon que son intervention soit ponctuelle ou habituelle. La cour écarte cet argument et juge que la loi et le décret Hoguet (Article 4 de la loi Hoguet et article 9 du décret Hoguet) « ne distinguent pas selon que l’intervention de la personne habilitée est ponctuelle ou habituelle, l’habilitation de M. [D] était subordonnée à la délivrance de l’attestation préfectorale justifiant de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs. »
À noter que bien que le nom du collaborateur figurât au mandat, la question de la validité du mandat n’était pas posée et l’on peut raisonnement supposer que le mandat lui-même avait été signé par une personne ayant pouvoir pour le faire (représentant légal ou un collaborateur régulièrement habilité). Ce qui était contesté c’était bien que l’entremise et la négociation soient réalisées par un collaborateur non habilité.
En effet, l’article 4 de la loi Hoguet (loi n° 70-9 du 2 janvier 1970) dispose que « toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. » Dés lors, l’entremise et la négociation impliquent la délivrance d’une attestation d’habilitation, et ce, indépendamment de la signature du mandat. Ainsi, même si le mandat est signé par une personne régulièrement habilitée, la négociation par un collaborateur qui n’est pas détenteur d’une attestation est sanctionnée par la perte des honoraires d’agence et de la commission du négociateur.
Enfin sur le plan pénal, l’exercice sans attestation d’habilitation est passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (Article 14 de la loi Hoguet) .
II- Que faire en pratique ?
A- Quand demander une attestation d’habilitation
Chaque collaborateur qui s’entremet, négocie ou s’engage pour le compte de son mandat doit détenir une attestation d’habilitation, et ce, dès son premier jour de travail. La demande doit être faite par le titulaire de la carte professionnelle auprès de la Chambre de commerce et d’industrie. Le coût de la formalité s’élève à 55 €.
Une attestation d’habilitation est délivrée pour une durée qui expire au plus tard à l’échéance de la carte professionnelle à laquelle elle est rattachée.
Ainsi, lors du renouvellement de la carte professionnelle, il convient de refaire les demandes d’attestations d’habilitation des collaborateurs, les anciennes n’étant plus valables.
Enfin, lorsqu’un collaborateur quitte une agence, il doit restituer son attestation au plus tard dans les vingt-quatre heures de la demande qui lui en a été faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En cas de non-restitution de cette attestation, le titulaire de la carte professionnelle doit en aviser aussitôt le procureur de la République ainsi que le président de la Chambre de commerce et d’industrie territoriale ou de la Chambre départementale d’Ile-de-France (article 9 du Décret n°72-678 du 20 juillet 1972 dit Décret Hoguet).
B- De l’incidence du fichier national des agents immobiliers sur le droit à honoraires
Pendant de nombreuses années, la seule façon de savoir si un négociateur était titulaire d’une attestation d’habilitation était de la lui demander. Depuis la création du fichier national des agents immobiliers, ce dernier est librement consultable en ligne1 et toute personne (clients, DGCCRF ) peut donc aisément vérifier si un collaborateur est titulaire de l’attestation d’habilitation.
1 (https://www.cci.fr/ressources/formalites-en-ligne/fichier-des-professionnels-de-limmobilier)