Avant la promulgation de la loi Hoguet, le 2 janvier 1970, le secteur de l’immobilier n’était pas règlementé. Tout le monde ou presque pouvait ainsi se déclarer agent immobilier. Entrée en vigueur le 20 juillet 1972, cette dernière a alors pour objectif principal de protéger les consommateurs en mettant en place un certain nombre de règles et de restrictions, telles que la possession d’une carte professionnelle, la détention d’un registre des répertoires et des mandats, d’une garantie financière et d’un mandat écrit signé par le client, ou encore la délivrance d’une facture pour la perception des honoraires.
En encadrant les conditions d’exercice des professionnels de l’immobilier et les activités d’achat et de vente de biens immobiliers, la loi Hoguet a ainsi permis de garantir la professionnalisation des acteurs immobiliers jusqu’alors souvent décriée. L’utilisation de la dénomination « agent immobilier » sans être titulaire de la carte professionnelle est passible de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Afin de répondre aux évolutions et attentes du secteur, la loi Hoguet a bien entendu connu quelques évolutions, notamment avec la promulgation de la loi ALUR le 26 mars 2014 et de la loi ELAN le 23 novembre 2018. Ces dernières ont intégré, entre autres, une obligation de formation continue obligatoire pour conserver la carte T ou encore une souscription à une assurance de responsabilité civile professionnelle. Des modifications jugées aujourd’hui insuffisantes, à en croire l’Autorité de la concurrence saisie en juillet 2022 par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire.
Les critiques de l’Autorité de la concurrence
Dans son avis publié le 7 juin dernier, « sur la situation concurrentielle du marché de l’entremise immobilière », l’Autorité de la concurrence propose une refonte intégrale du modèle économique de la transaction. Ses principaux reproches ? Des commissions liées à l’achat et la vente de biens immobiliers jugées trop élevées et opaques vis-à-vis des ménages.
L’Autorité recommande ainsi au Gouvernement d’envisager une réforme visant, d’une part, à renforcer la protection économique des consommateurs et, d’autre part, à assouplir les conditions d’exercice de l’activité d’entremise immobilière. Dans cette optique, elle propose d’exclure du champ d’application de la loi Hoguet l’activité d’entremise immobilière pour l’achat, la vente et la recherche de biens immobiliers ou, dans une seconde option plus mesurée, de définir précisément les prestations qui relèvent de la qualification d’entremise immobilière et ainsi de « donner aux ménages le choix de déterminer ce qu’ils veulent faire eux-mêmes et ce qu’ils veulent déléguer à des intermédiaires ». L’objectif ? Réduire les taux de commission qui sont en moyenne de 5,78 % en 2022, bien au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, d’environ 4 % et qui pèsent aujourd’hui trop lourdement sur le pouvoir d’achat des Français.
« Une réduction des commissions immobilières à la moyenne européenne permettrait d’économiser près de 3 milliards d’euros par an pour les ménages français », estime ainsi, dans son rapport, l’Autorité de la concurrence.
« Personne ne s’attendait à un tel rapport à charge
contre la profession et qui trace des pistes totalement déconnectées de la réalité. »
Des professionnels unis dans la tourmente
« En s’attaquant à la loi Hoguet, l’Autorité de la concurrence commet une erreur fondamentale », se sont insurgés la FNAIM, le SNPI et l’Union des Syndicats de l’Immobilier dans un communiqué commun diffusé le 8 juin dernier. Il faut dire que ce rapport a suscité incompréhension et colère chez les professionnels de l’immobilier. Et pour cause : « personne ne s’attendait à un tel rapport à charge contre la profession et qui trace des pistes totalement déconnectées de la réalité du marché immobilier », observe Loïc Cantin, président de la FNAIM. « Un rapport qui passe mal à l’heure où la situation économique du secteur immobilier s’est dégradée au cours des derniers mois et que le CNR Logement n’a abouti à aucune proposition intéressante pour le bailleur privé », ajoute de son côté Danielle Dubrac, présidente de l’UNIS.
Parmi les principaux griefs émis contre l’avis de l’Autorité de la concurrence : des calculs et des comparaisons erronés. « Le rapport compare des taux d’honoraires pratiqués au sein de pays européens qui appliquent des fiscalités totalement différentes. On ne peut pas mélanger des choux et des carottes », reproche ainsi Stéphane Fritz, président du réseau Guy Hoquet. Ainsi, si les Pays-Bas affichent effectivement des taux de commission inférieures à la France, il est bon de rappeler que l’acquisition d’un bien comprend également des taxes et des coûts additionnels. Aux frais d’agence et de notaire s’ajoutent en effet une taxe de transfert, des frais de clôture, un coût d’évaluation et un coût d’expertise. Autre pierre d’achoppement : « L’un des objectifs visés par l’Autorité de la concurrence est de redonner du pouvoir d’achat aux ménages en réduisant les taux de commission, mais celle-ci semble oublier que notre profession est soumise à la TVA. Lorsqu’un agent immobilier reçoit 10 000 euros d’honoraires, c’est donc 20 % de la somme qui arrive dans les caisses de l’Etat », met en exergue Danielle Dubrac. En visant une économie de 3 milliards d’euros, cela représenterait ainsi une perte de 600 millions d’euros pour le budget de la France. Une somme non négligeable dans le contexte économique actuel.
Pour Stéphane Fritz, « plutôt que de s’attaquer aux taux d’honoraires des agents immobiliers, il serait plus impactant de revoir les droits de mutation pour faire gagner de l’argent aux Français ». Une position partagée par Alain Cohen-Boulakia, avocat spécialisé en droit immobilier. « La baisse des droits de mutation ou tout du moins l’absence de perception des droits de mutation sur les honoraires de l’agent immobilier lorsque ces derniers sont à la charge du vendeur me paraît aujourd’hui une piste à privilégier », observe-t-il.
Remise en cause de la loi Hoguet : quels risques ?
« La loi Hoguet, érigée au rang de fierté nationale depuis plus d’un demi-siècle, que les autres pays nous envient sans jamais avoir franchi le pas de la copier, est menacée au plus haut point », alerte Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’IMSI, dans une tribune. Si nombre d’acteurs de l’immobilier reconnaissent que la loi Hoguet mérite d’être dépoussiérée, voire même d’être renforcée, les propositions de l’Autorité de la concurrence ne sont pas adaptées à la réalité du marché. En prétextant une volonté de mieux protéger les consommateurs et d’assainir le marché immobilier, ces dernières, si elles venaient à être appliquées, risqueraient au contraire d’être totalement contreproductives. « Il n’est pas possible d’appréhender le marché immobilier à la manière de celui des VTC. Le fait de tronçonner le parcours immobilier risque de mener à une uberisation de l’activité et de nuire clairement à la protection des acheteurs et des vendeurs », explique Alain Cohen-Boulakia.
Un écueil mis également en avant par les représentants de la profession au sein de leur communiqué commun : « Imagine-t-on un acteur faire l’évaluation, un deuxième commercialiser, un troisième faire visiter, un quatrième vérifier les servitudes, un cinquième vérifier l’état technique du logement, un sixième rédiger le compromis de vente, etc ?! Pense-t-on sérieusement que le consommateur sera plus sécurisé et qu’il gagnera en pouvoir d’achat ? Qui portera la responsabilité ? », s’interrogent-ils.
Une remise en cause de la loi Hoguet qui paraît d’autant plus surprenante que le taux de satisfaction exprimé par les clients d’agences immobilières est de 92,8 % (selon une étude Opinion System – Mars 2023 réalisée sur échantillon de 225 500 avis clients contrôlés pour la FNAIM), et que 75 % des Français ont fait confiance aux professionnels pour leurs projets immobiliers d’après les chiffres mis en avant par l’avis de l’Autorité de la concurrence, lui-même.
« Résumer l’entremise immobilière à la seule sélection de clients et la négociation du prix de vente traduit une profonde méconnaissance de la réalité de nos métiers », déclare Loïc Cantin. Et de conclure : « Plutôt que de démanteler une profession, il faudrait au contraire la renforcer en commençant déjà par publier le décret prévu par la loi ALUR en 2014 sur la formation des collaborateurs habilités que l’État n’a toujours pas fait paraître, au bout de près de dix ans. »
Infobésité : et si trop d’informations nuisait au contraire aux acquéreurs ?
Alors que les sources d’informations immobilières se sont multipliées au fil des ans, l’avis de l’Autorité de la concurrence pointe la perte de valeur ajoutée de l’agent immobilier. Le point de vue de Sébastien Bourbon, dirigeant de l’Observatoire des Stratégies des Acteurs de l’Immobilier.
Dans l’avis n° 23-A-07 du 2 juin 2023, l’Autorité de la concurrence affirme : « Internet est un vecteur efficace pour limiter les asymétries d’information ». Ce propos s’appuie sur une illusion ; le numérique permettrait à l’acquéreur de se passer de l’agent immobilier qui a perdu sa « rente informationnelle ».
En effet, l’avis évoque une multitude de sources en ligne libres d’accès : portail DVF, site Kel Quartier, fiches thématiques de Service-public.fr, sites d’annonces qui gagnent en précision…
Pourtant, cette offre numérique pléthorique crée une nouvelle vulnérabilité pour l’acquéreur : l’infobésité. L’acquéreur n’arrive ainsi plus à s’informer en raison d’un excès d’informations disponibles. Cela donne une double valeur ajoutée à l’agent immobilier.
Tout d’abord, il va aider l’acquéreur à trier le bon grain de l’ivraie parmi ces ressources en ligne. Ensuite, l’agent mobilise sa « rente cognitive », c’est-à-dire des connaissances essentielles pour rechercher un bien : capacité à négocier et à détecter des éléments valorisants ou dévalorisants, détention d’éléments sur la vie du quartier… Autant de connaissances introuvables sur Internet.