Le gouvernement ne cède pas un pouce de terrain. Sans surprise, le décret publié en août confirme les futures échéances. Interdiction de louer un logement en G à partir de 2025, en F en 2028… Tous les bailleurs ne sont pas concernés cependant. Le texte était aussi censé préciser les exonérations à cette interdiction, mais sa rédaction entretient plutôt le flou.
Parce qu’il est confronté à des contraintes architecturales ou patrimoniales. Parce que les travaux risquent de faire pire que mieux en créant de nouvelles pathologies. Un propriétaire bailleur pourra échapper aux injonctions de la loi Climat et Résilience. Voilà en substance les exonérations aux travaux de rénovation énergétique prévues par le décret d’application sorti en août. À première vue, cela ressemble à une dérogation pour permettre de louer un logement. Même lorsque celui-ci est une passoire thermique.
Un propriétaire qui ne peut réaliser des travaux peut-il continuer à louer ?
À première vue seulement. Car l’exonération de travaux ne signifie pas que le logement sera forcément considéré comme décent. Que Choisir a fait éplucher le décret par ses juristes, le texte est loin d’être clair. « Pour nos juristes, (…) l’exemption de travaux ne rend pas pour autant le logement décent. » Autrement dit, rien ne dit qu’un propriétaire qui ne peut effectuer des travaux pourra continuer à louer son logement. « Le décret ne répond pas à cette question centrale. Volontairement flou ou bévue rédactionnelle, tout est possible », poursuit l’UFC-Que Choisir.
Ce n’est pas la première fois que pareille question émerge. Déjà, lors du vote de la loi Climat et résilience en 2021, une dérogation — non reprise dans le décret — avait été glissée dans le texte in extremis. Puisque dans une copropriété, la rénovation s’entend souvent à l’immeuble. Les parlementaires avaient exonéré les copropriétaires favorables aux travaux de rénovation, qui butaient sur l’opposition de l’assemblée générale.
Très bien. Mais s’il prenait l’envie au locataire de saisir le juge et de réclamer une diminution de loyer parce que son logement n’est pas décent ? Rien ne l’en empêche. La situation n’est pas claire et pourrait nourrir des contentieux. En 2021, Le Figaro avait interrogé le ministère à ce sujet, qui avait alors botté en touche : à la jurisprudence de trancher.
L’Unis envisage une question prioritaire de constitutionnalité
La notion de décence énergétique redéfinie par la loi Climat et résilience n’a pas fini de poser souci. Face à l’obstination du gouvernement de maintenir un calendrier jugé intenable, l’Unis réfléchit d’ailleurs à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). « Est-ce que l’intégration du DPE dans la décence énergétique est constitutionnelle ou non ? », interroge Danielle Dubrac, secrétaire générale de l’Union des syndicats immobiliers.
Après tout, cette notion de décence a beaucoup évolué en l’espace de quelques années. Aux vagues critères introduits en 2017, s’est substituée une performance chiffrée (avec la loi Energie Climat de 2019). Interdiction de louer un logement qui affiche une consommation supérieure à 450 kWh.an.m² en énergie finale. Et maintenant la notion de décence énergétique est dictée par l’étiquette du DPE. « Cette notion doit être étudiée de façon juridique, on envisage de poser la question au Conseil constitutionnel », poursuit la présidente. Histoire de voir s’il n’y a pas une « atteinte au droit substantiel de la propriété ».
À lire aussi : 200.000 rénovations globales dès 2024, 900.000 en 2030
Décorrélation entre l’habitabilité et la décence énergétique
Danielle Dubrac aspire ainsi à une « décorrélation entre l’habitabilité et la décence énergétique ». Après tout, ce n’est pas parce qu’un logement est classé F ou G qu’il ne peut plus être habité. L’Unis ne remet pas en cause la nécessaire rénovation et décarbonation du bâtiment. Elle y est même favorable. Mais elle réclame davantage de pragmatisme. « Cela fait deux ans que la loi Climat est votée désormais. On voit bien que la rénovation n’avance pas et que l’offre de logements est menacée », poursuit-elle. Parce que l’épineuse question du reste à charge n’a pas été résolue. Tout comme la rénovation des 600 000 copros de France qui concentrent 60 % de logements locatifs privés.
Certes, le gouvernement va se montrer encore plus généreux avec une augmentation de MaPrimeRénov’, annoncée dès 2024. Un bon point, mais peut-être pas suffisant pour lever le frein financier. Pour la secrétaire générale de l’Unis, la rénovation réclame de nouveaux mécanismes. Comme les prêts collectifs à la copro, ou une fiscalité plus incitative. Elle souhaite aussi privilégier les travaux lors des vacances quand un logement est mis en vente. Ou quand un locataire quitte les lieux. Autant de sujets que le syndicat compte défendre auprès du nouveau Ministre du Logement Patrice Vergriete lors de son congrès à Marseille dès mercredi. Histoire que ces propositions figurent aussi dans la future loi logement annoncée par Emmanuel Macron pour tenter de résorber la crise du logement.
À lire aussi : Patrice Vergriete : « Nous travaillons dur pour trouver des solutions publiques à la crise immobilière »