Ce sont d’abord les discours sur la conjoncture et ses effets qui sont encore aseptisés, et on le comprend au fond. Ceux qui ont voix au chapitre, patrons de réseaux ou responsables professionnels à divers titres, n’ont peut-être pas tous conscience que le pays change de paradigme. On entend ainsi des « l’immobilier en a vu d’autres et a toujours su traverser les tourmentes », ou « les cycles, nous y sommes rompus » et bien sûr l’inévitable « l’immobilier est résilient » depuis que le mot du neurologue et psychiatre Boris Cyrulnik a été vulgarisé par la période de pandémie. On n’échappe pas non plus à « l’immobilier est une valeur refuge ». Bref, on se rassure. À cet égard, on ne peut que comprendre et respecter la difficulté de continuer à mobiliser les énergies alors que le marché perd beaucoup de sa vigueur et qu’il faut lutter contre la tentation de l’abattement.
Pour faire face au marché, ne plus se cacher la vérité
Il reste que de plus en plus de dirigeants, dans les activités de promotion, de construction et de transaction, veulent dire la vérité partant d’un principe médical : seule la lucidité sur le mal peut donner les moyens de la bonne thérapie.
La conjoncture est aujourd’hui indéniablement cruelle. Pour le résidentiel neuf, la crise de l’offre, qui a des origines structurelles anciennes jamais éradiquées et des origines nouvelles liées à l’inflation, avec l’explosion des coûts de construction, se double d’une crise de la demande avec la désolvabilisation des ménages, appauvris par l’augmentation de tout et un accès au crédit qui se ferme. Pour l’ancien, l’offre n’est pas non plus abondante, la demande se tarit avec deux difficultés spécifiques : des vendeurs réticents à la réfaction des prix et l’impact violent de la transition écologique qui affecte la valeur des biens énergivores. Au bout du compte, le nombre d’or ou plutôt de plomb qui s’impose est de – 30. – 30 % sur les ventes de neuf et sur la production, – 30 % sur les reventes de logements existants. Cette crise durera probablement trois ans avec un retour persistant de l’inflation et des contraintes environnementales qui se renforceront.
Il devient difficile de se voiler la face. À quoi cela sert-il ? Le marché, fût-il dur, a toujours raison. Le décoder sans ambages a deux vertus : déciller les yeux des pouvoirs publics qui peuvent améliorer la situation et conduire les acteurs professionnels à trouver les meilleurs comportements, les meilleures stratégies, pour transmuter ces dérèglements économiques en opportunités. Là encore, la communauté se cache qu’elle a des mutations profondes à accomplir en son sein. Deux mutations majeures, celle de l’accentuation de la valeur ajoutée et celle du partage. La valeur ajoutée n’a pas été au cœur des pratiques au cours des années récentes, parce qu’un marché florissant en dispense quoi qu’on en dise. Deux illustrations : la proportion de professionnels de la transaction rédigeant les promesses ou les compromis est tombée à 15 % et leur intérêt pour le conseil en matière de financement s’est éteint puisque trouver un crédit était à la portée de tout client. Aujourd’hui, sécuriser sans délai une vente au plan juridique et financier devient vital.
La valeur ajoutée va également se renforcer pour déterminer le prix d’un bien, avec l’intégration de la donne environnementale, y compris sur les marchés tendus. Toujours dans l’ordre de la valeur ajoutée, il va être difficile de ne pas rendre applicable la disposition de la loi ALUR de 2014 imposant une formation minimum de tout collaborateur pour pouvoir exercer la transaction comme la gestion d’ailleurs.
L’urgente nécessité de solidarité commerciale
Et puis il y a le partage. Quand tout va bien pour tous, pourquoi partagerait-on ? Quand les mandats de vente comme les acquéreurs solvables se font plus rares, deux pratiques s’imposent : le mandat de vente exclusif qui incline à des efforts concentrés et majorés pour parvenir à la vente, et le partage du mandat exclusif pour que le cédant ne perde pas de chance de trouver un acquéreur. Là encore, les pratiques sont à rebours des besoins dictés par les circonstances économiques et les réflexes ne sont pas inculqués. Un mandat sur cinq seulement est exclusif chez les agents immobiliers et encore, ce chiffre est le fruit d’une moyenne entre des enseignes à des niveaux élevés d’exclusivité et d’autres qui font de l’inverse leur marque distinctive !
À ce jour, il existe essentiellement deux plateformes de mise en commun des mandats, l’AMEPI et Partage+ avec son outil Listigo. Sans doute devront-elles s’unir. En attendant, l’une et l’autre promeuvent la solidarité commerciale au bénéfice des clients et elles sont à cet égard animées du même souffle salutaire pour la profession.
Les professionnels de la transaction doivent s’avouer l’urgente nécessité de ces progrès. L’heure est à la détermination, pétrie d’honnêteté intellectuelle et de volonté.