« Avis de l’Autorité de la concurrence concernant l’entremise immobilière : vers une déréglementation inquiétante ? », Me Cyril SABATIE

Le 5 juillet 2022, le ministre de l’Économie et des finances a saisi l’autorité de la concurrence d’une demande d’avis concernant la situation concurrentielle du marché français de l’entremise immobilière. S’en est suivie la consultation des différents acteurs et organisations professionnelles du secteur de l’entremise immobilière.
honoraires agents immobilier

L’Autorité de la concurrence a ainsi rendu un Avis n° 23-A-07 en date du 2 juin 2023.

En substance, les recommandations de l’Autorité visent à réduire le coût des prestations de l’entremise immobilière, et à en améliorer la qualité. On peut toutefois objectivement douter de l’atteinte de ce second objectif au regard des propositions formalisées en l’espèce.

Précisons que cet avis n’est rendu que pour la France métropolitaine, hors territoires ultramarins. Selon l’Autorité, compte tenu des particularismes locaux, notamment du point de vue de la fiscalité ou encore du régime cadastral, une analyse spécifique serait plus appropriée…

L’Autorité a fait un travail de synthèse considérable, avec de nombreux graphiques et tableaux. Certains chiffres mériteraient toutefois d’être actualisés au regard des évènements (nombreux) intervenus depuis les études y visées.

Ainsi l’Autorité part notamment du constat suivant, résultant d’un rapport de l’OCDE de 2018 (dressé avant la pandémie, la guerre en Ukraine et le contexte inflationniste actuel, notamment des taux d’intérêts…) : « les agents immobiliers en France sont soumis à un encadrement considéré comme fortement règlementé, pour autant, le marché de l’entremise immobilière est un marché particulièrement atomisé, comptant plus de 30 000 agences immobilières, 40 000 mandataires et 240 000 salariés professionnels ».

L’Autorité s’appuie également sur une étude de la Commission européenne (elle aussi de 2018…) pour relever que « les taux de commission pratiqués en France en 2018 étaient les plus élevés de l’ensemble des États membres de l’Union européenne avec un taux moyen de 5,2 % hors taxe du prix du bien, contre 3,3 % pour l’ensemble des pays de l’Union, 2,25 % en Angleterre, 4 % en Espagne et 4,5 % en Allemagne ».

 

L’Autorité considère, à juste titre, que le fonctionnement du marché a profondément changé depuis l’adoption de la loi Hoguet il y a plus de 50 ans, créant des enjeux concurrentiels nouveaux.

De même, elle considère que le droit spécial que constitue la loi Hoguet, qui visait notamment à pallier des lacunes législatives, ne présenterait plus nécessairement le même intérêt de nos jours.

Cette affirmation reste toutefois très discutable en ce qui concerne notamment l’obligation d’assurance RCP, de garantie financière ou encore de formation professionnelle.

L’Autorité relève notamment qu’en Espagne et aux Pays-Bas, l’exercice des activités de transaction immobilière est désormais libre, depuis respectivement juin 2000 et mars 2001, toute personne pouvant donc se prévaloir du titre d’agent immobilier (qui lui est protégé en France seulement depuis la loi Elan de mars 2018).

A certains égards, dans cet avis, l’Autorité légitime une forme de contournement de la loi Hoguet et à tout le moins son dévoiement par différents acteurs situés aux frontières du dispositif : coach immobiliers, ibuyers, prestations annexes des plateformes de diffusion en ligne d’annonces immobilières, etc…

L’Autorité renchérit en relevant également que les réseaux de mandataires ont su exploiter (sic) la possibilité offerte par la loi au titulaire de la carte professionnelle de déléguer ses pouvoirs à des personnes ne remplissant pas les conditions d’accès à la profession.

L’Autorité affirme, de manière péremptoire, que l’arrivée sur le marché de ces agents commerciaux n’a pour autant entraîné de dysfonctionnement particulier en termes de protection des consommateurs. Cependant aucune analyse du contentieux judiciaire immobilier (vice caché, résolution de vente, RCP, etc.) n’est jointe à cette affirmation.

Finalement, le passage suivant synthétise assez bien la vision de l’Autorité de la concurrence : « Le fonctionnement actuel du marché, conjugué à des évolutions technologiques importantes, conduit à s’interroger sur l’adéquation du cadre légal et règlementaire actuel, l’instruction du présent avis ayant démontré, d’une part, que tous les professionnels de l’entremise immobilière ne sont pas soumis aux mêmes règles, ce qui est susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence injustifiées et que, d’autre part, certaines défaillances de marché actuelles sont, au moins partiellement, dues à la rigidité de la loi Hoguet, en particulier le principe de la rémunération au résultat qui est l’un des facteurs expliquant le niveau élevé des taux de commission. »

Dès lors, l’Autorité recommande au Gouvernement d’envisager une réforme visant, d’une part, à renforcer la protection économique des consommateurs et, d’autre part, à assouplir les conditions d’exercice de l’activité d’entremise immobilière.

Assouplir les conditions d’exercice de l’activité d’entremise immobilière

L’autorité propose ainsi au Gouvernement deux options pour parvenir à cet assouplissement :

  • L’option n°1 radicale (et privilégiée par l’Autorité) : exclure du champ d’application de la loi Hoguet l’activité d’entremise immobilière pour l’achat, la vente et la recherche de biens immobiliers.
  • L’option n°2 plus mesurée : inscrire dans la loi Hoguet une définition restrictive de l’entremise immobilière limitée à la seule sélection des acquéreurs et à la négociation du prix de vente. Par la même, l’Autorité recommande d’exclure de la loi toutes les prestations qui ne constituent pas à proprement parler de l’entremise immobilière.

 Cette seconde option nécessiterait toutefois certains aménagements complémentaires selon cet avis.

  • Ainsi l’Autorité recommande pour cette option plus nuancée de préciser dans la loi Hoguet que lorsque le mandat porte sur la vente d’un bien immobilier, une clause prévoit que les prestations non constitutives d’entremise immobilière peuvent faire l’objet d’une rémunération avant que l’opération n’ait été effectivement réalisée (selon le schéma ci-dessous).

  • L’Autorité recommande également dans cette seconde option, de rendre applicable le principe de la rémunération au résultat à toutes les professions réalisant de l’entremise immobilière (à ce jour impossible légalement pour les avocats mandataires en transactions immobilières notamment).
  • Enfin elle propose de ne plus conditionner l’obtention de la carte professionnelle à la détention de trois années d’études supérieures dans une spécialité économique, juridique ou commerciale et d’harmoniser et réduire les durées d’expérience professionnelle permettant l’obtention de la carte professionnelle.

Renforcer la protection économique des consommateurs

Parallèlement à ce premier pan de la réforme, concernant la protection économique du consommateur, l’Autorité recommande :

  • Une obligation de dresser dans le mandat une liste exhaustive des prestations rendues par le professionnel (et non seulement dans le mandat exclusif). Pour cela l’Autorité propose soit d’intégrer cette obligation dans le Code de la consommation, soit dans la loi Hoguet, selon que l’entremise immobilière demeure ou non dans le périmètre de la loi Hoguet (option 1 ou 2 précitée).
  • Uniformiser les règles relatives à l’affichage des annonces, que le montant des honoraires incombe à l’acheteur ou au vendeur et autoriser les notaires à afficher les annonces immobilières dans leurs vitrines d’office.
  • Soumettre également les plateformes de diffusion en ligne des annonces immobilières aux obligations d’affichage prévues par l’arrêté du 10 janvier 2017.
  • Imposer l’élaboration d’une fiche récapitulative du dossier de diagnostic technique du bien à vendre qui serait fournie au futur acheteur au moment de la négociation du prix de vente. Cette obligation serait prévue dans un nouvel article inséré dans le code de la construction et de l’habitation et une fiche type serait prévue par voie d’arrêté.
  • Mettre à la disposition du public à titre gratuit (open data) les données détenues par les notaires concernant le marché immobilier.

Les recommandations de l’Autorité visent avant tout, selon son propre aveu, à réduire le coût des prestations de l’entremise immobilière et à en améliorer la qualité. Si les taux de commission en France étaient ramenés à la moyenne de l’Union européenne, l’Autorité estime qu’un gain annuel de 2,9 milliards d’euros serait dégagé au bénéfice des ménages à nombre de transactions inchangé.

Alors certes, la loi Hoguet a nécessairement besoin d’être dépoussiérée et assouplie à certains égards, dans l’intérêt commun des professionnels et des consommateurs. De là à franchir le Rubicon de la déréglementation totale, la démarche est scabreuse.

Pour donner le change face à cette dérégulation, l’Autorité accompagne ses recommandations de mesurettes visant à sécuriser le consommateur. Si le modèle envisagé est celui de l’Espagne, avec notamment l’absence de conditions pour exercer et derechef aucune capacité juridique requise, on a du mal à percevoir comment l’objectif affirmé en liminaire « d’améliorer la qualité des prestations » va sérieusement pouvoir être atteint.

De même, la fin de la rémunération au résultat et la dérégulation vont-elles nécessairement faire baisser le coût de l’entremise immobilière ? Rappelons que ce n’est que depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986, et déjà une certaine forme de déréglementation, que les honoraires des intermédiaires ont augmenté…

En outre, ne risque-t-on pas de se retrouver avec des prestations nécessairement dégradées, une absence de conseil par manque de compétence des intermédiaires et finalement un acquéreur peu accompagné pour le projet d’acquisition d’une vie ?

Successivement les lois Alur et Elan, notamment, ont tenté de renforcer le professionnalisme des intermédiaires immobiliers, et d’éradiquer les braconniers de la loi Hoguet.

Les syndicats et organisations de la profession ont joué le jeu et mis les moyens financiers, accompagnant le mouvement, notamment sur la formation continue et la déontologie.

L’option n°1, mise en avant par l’Autorité de la concurrence, constituerait une véritable et inquiétante analepse pour les professionnels en exercice respectueux du cadre légal actuel.

Le Gouvernement accueillera-t-il pour autant ces recommandations ? A suivre…

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Cyril Sabatié: Cyril SABATIE est avocat au Barreau de Paris et associé fondateur du Cabinet LBVS AVOCATS. Il dispose également de deux autres cabinets sur Nice et Angers destinés principalement au conseil des professionnels de l’immobilier et de la construction. Il a été notamment Directeur juridique de la FNAIM et est l’auteur de divers parutions et articles sur le droit immobilier, en particulier l’ouvrage COPROPRIETE aux éditions Dalloz-Delmas. Il est également membre de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC) et de la Chambre des experts immobiliers FNAIM (CEIF).