Qu’est-ce qu’un « bon » locataire ? Fabrice Larceneux, chercheur CNRS

Solvabilité, réputation, profession ou intuition ? Sur quels critères peut-on reconnaître un « bon » candidat à la location ?

Le logement constitue en moyenne 20 % du budget des ménages. Ces dépenses, obligatoires, occupent même 30 % du budget des 6,7 millions de Français qui sont locataires dans le parc privé. Plusieurs idées sont avancées pour alléger cette dépense. L’une d’entre elles, assez simple en apparence, consiste à encadrer les loyers, c’est-à-dire contraindre les prix.

Séduisante sur le principe, cette solution engendre parfois des résultats contre-productifs : diminution du nombre de locations, de la qualité des biens, moindre rotation préjudiciable aux nouveaux demandeurs, etc. (voir le JDA n°69 « Le contrôle des loyers, une vraie fausse bonne idée ? »). Mais surtout, elle renforce encore plus la responsabilité de l’agent immobilier quant au choix du locataire.

Le professionnel doit estimer au mieux le risque d’impayés et effectuer une sélection calibrée pour le compte du propriétaire.

Les risques d’impayés difficiles à anticiper

Avec le retour de l’inflation et les différentes crises, les risques s’accroissent. Les chiffres disponibles oscillent entre 1 et 3 % des locataires qui auraient des difficultés à payer leur loyer. Les impayés seraient plus faibles en début de bail et après 7 ans dans le logement, mais plus importants entre ces périodes, pour les petites surfaces et hors de Paris. Ils représentent à la fois un signe objectif des difficultés rencontrées par les locataires et un indicateur du risque financier subi par les bailleurs. Et cela peut avoir des conséquences importantes pour ces derniers.

Selon une étude de l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement, 17 % des propriétaires bailleurs confrontés aux impayés perçoivent des minima sociaux et 33 % sont âgés de plus de 60 ans. Bénéficier d’un loyer à la fin du mois permet d’apporter un complément à une retraite faible ; de ce fait, les impayés sont très pénalisants. La question de la solvabilité des locataires est donc très importante, notamment pour ces propriétaires âgés qui fonctionnent à la confiance plus qu’avec l’utilisation des dispositifs de garanties existants.

Des critères d’exclusion et un enjeu de discrimination

En réalité, les candidats qui se présentent disposent souvent des éléments requis (salaire à hauteur de trois fois le loyer, caution, etc.). À partir d’entretiens avec des agents immobiliers menés en France et en Suisse, les chercheurs Bonnet & Pollard montrent que le critère financier est parfois insuffisant pour différencier les candidats objectivement solvables. Des critères d’exclusion sont alors mis en avant : pas de colocation, pas d’animaux, pas de fumeurs, etc. Certains agents immobiliers expliquent aussi aux chercheurs que la location est parfois plus compliquée pour certaines communautés étrangères : le risque perçu est accru soit parce que la caution est hors de France, soit du fait d’une mauvaise réputation construite sur des stéréotypes associés à certaines nationalités (falsification des documents, sous-estimation de la taille de la famille, détérioration du bien, etc.).

Les chercheurs trouvent aussi des jugements stéréotypés hors de France. En Suisse par exemple, la réputation des locataires français est parfois compliquée : ils seraient trop râleurs, difficiles à gérer. Avec certains propriétaires, il peut être également délicat de louer à d’autres « communautés » (jeunes, LGBT, familles monoparentales, handicapés). C’est directement la question des discriminations, implicites ou explicites, qui est en jeu. Une étude testing récente de SOS Racisme montre qu’un locataire sur deux serait discriminé, sachant que le choix final est laissé au propriétaire.

Si la majorité des études démontrent que le fait de combiner plusieurs « appartenances » renforce la stigmatisation et constitue une double peine, deux nuances méritent ici d’être apportées. Tout d’abord, une recherche menée aux Etats-Unis a révélé qu’être afro-américain et gay peut constituer un avantage relatif car les stéréotypes de « menace » et de « criminalité accrue » étaient contrecarrés par le stéréotype de « féminité » et de « faiblesse ». Certains stéréotypes pourraient donc parfois se compenser… Ensuite, certaines professions, a priori favorisées, peuvent se retrouver discriminées. Dans certaines villes, les fonctionnaires sont recherchés mais pas les jeunes médecins ou les diplomates dont la réputation est d’occuper des temps de location trop courts (car souvent en mutation). De même, les juristes et avocats auraient des difficultés à louer car certains auraient la réputation de tourner les contrats à leur avantage, sans craindre de poursuite en justice si besoin.

L’intuition avant tout ?

Pour l’agent immobilier, le réel critère pour différencier les candidats solvables reste sans doute le critère de l’intuition. Que dit l’attitude générale du candidat ? Sa tenue vestimentaire ? Sa manière d’interagir ? Le bien correspond-il à son style de vie ? Va-t-il s’y plaire ? Va-t-il y rester ? Tous ces éléments créent un « feeling » sur la fiabilité perçue du locataire. La capacité à mobiliser son intuition est souvent considérée comme une qualité essentielle du « bon » agent immobilier.

Néanmoins, face aux situations complexes, la bonne idée est parfois de revenir aux fondamentaux :

  1. informer le propriétaire qu’un loyer élevé ne prémunit pas du risque d’impayés, au contraire ;
  2. lui rappeler que le choix du locataire est celui d’un individu qui peut être défini par autre chose que son appartenance à une communauté quelconque. Finalement, la meilleure règle serait peut-être celle promue au Québec : « premier arrivé, premier servi » !

 


Source : Bonnet and Pollard (2021) Tenant selection in the private rental sector of Paris and Geneva. Housing Studies.
Pedulla (2014) The positive consequences of negative stereotypes: Race, sexual orientation, and the job application process. Social Psychology Quarterly.

 

 

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Fabrice Larceneux: Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.