L’obligation de paiement de la rémunération du professionnel de l’immobilier fait l’objet d’un encadrement très strict à l’art. 6 de la loi Hoguet.
Pour autant, cet article qui subordonne le paiement des honoraires à la conclusion effective de la vente, ne fait pas obstacle à ce que l’agent obtienne la réparation d’un préjudice en cas de comportement fautif dès lors qu’il perd la chance de percevoir sa commission (le pourcentage de commissionnement alloué est laissé à la libre appréciation des juges).
Voici ce qu’il en est :
1- Le droit à indemnisation et la clause pénale du mandat
Les mandats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Toute inexécution contractuelle expose les mandants au paiement de l’indemnité prévue par la clause pénale.
Cependant, l’application de la clause pénale dépend de la validité juridique du mandat, puisqu’en cas de nullité celui-ci (et ses dispositions) sera censé n’avoir jamais existé (sauf exception[1]).
La bonne formation du mandat est donc essentielle pour taire ou assoir un droit à indemnisation.
Il importe également que la clause pénale soit mentionnée en caractères très apparents pour recevoir application[2], de manière à attirer l’attention et ainsi constituer un véritable engagement contractuel[3].
Dans ces conditions le droit à indemnisation du conseiller sera a priori bien acquis[4].
2- Le droit à indemnisation et le droit de préférence du vendeur
Nonobstant le principe exposé ci-dessus, toutes les clauses pénales ne sont pas d’application stricte compte tenu de normes supérieures applicables.
En effet, en raison de l’absence d’une clause d’engagement, la mission conférée au mandataire se trouve limitée à la simple recherche d’un acquéreur en vue de pourparlers et de négociations qui ne pourront aboutir à la vente, à la seule et unique condition que le vendeur accepte formellement l’offre présentée.
De jurisprudence constante, l’absence de conclusion du contrat de vente ne donne droit à aucune indemnisation dès lors que le vendeur refuse de conclure la vente aux conditions stipulées dans le mandat (et même si cela est contraire aux dispositions de la clause pénale, son seul refus ne pouvant par nature être constitutif d’une faute[5]).
Par conséquent, le refus du vendeur de réaliser la vente avec un acquéreur ayant fait une offre au prix du mandat ne peut ouvrir droit au paiement de sa rémunération à l’agent. Les vendeurs étant libres de trouver un acquéreur et en droit de préférer une offre par rapport à une autre[6].
Dans ces conditions, la demande d’indemnisation du conseiller risque de souffrir la constance des juges.
3- Le droit à indemnisation et la vente réalisée par un autre conseiller avec un acquéreur présenté
Il s’agit d’un sujet délicat puisque le risque judiciaire n’est jamais véritablement écarté.
On observe également une jurisprudence différente et plus opportune s’agissant du mandat exclusif que du mandat simple.
Le raisonnement adopté par la Cour de Cassation depuis 1984 [7], laisse à croire qu’en cas de pluralité d’intermédiaires en mandat simple, seul celui dont l’intervention aura été essentielle ou déterminante dans la réalisation de l’opération conclue pourra prétendre à des honoraires.
Ce principe conserve une certaine constance jusqu’à présent, comme le rappelle à juste titre une décision de la Cour de Cassation en 2007[8] : « Lorsqu’une personne a donné à plusieurs agents immobiliers un mandat non exclusif de vendre le même bien, elle n’est tenue de payer une rémunération ou une commission qu’à celui par l’entremise duquel l’opération a été effectivement conclue, au sens du texte susvisé, et cela même si l’acquéreur lui avait été précédemment présenté par un autre agent »[9].
Rappelons également que l’interdiction pour un agent de percevoir une rémunération, en l’absence de conclusion effective de l’opération projetée, est notamment fondée sur un motif d’intérêt général[10] et que la fraude est rarement reconnue lorsque le mandant choisit de passer par un autre intermédiaire.
D’ailleurs, de plus en plus de décisions érigent en principe la libre concurrence et mettent en avant l’intérêt du consommateur de pouvoir profiter des différences de prix des divers mandats. La conséquence étant de permettre aux clients d’un conseiller qui n’est pas titulaire d’un mandat exclusif de se tourner vers d’autres mandataires sans qu’il ne puisse s’y opposer[11].
Une autre position a, notamment, été retenue en 2021 par la Cour d’appel de Pau[12] en présence d’un mandat exclusif. La Cour retenant à cet effet, à l’égard de deux parties ayant été rapprochées par le premier conseiller « pendant la période de validité de son mandat exclusif, par le biais de deux visites et des échanges qui ont suivi, peu importe que la signature de l’acte authentique [..] ne soit intervenue qu’après la résiliation du mandat », que le premier conseiller pouvait prétendre à la rémunération de sa commission étant donné que la vente était intervenue grâce à son concours, malgré l’existence concomitante d’un mandat exclusif pour le second conseiller.
Il semble, dans ces conditions, que la demande d’indemnisation du conseiller soit davantage assise en présence d’un mandat exclusif que d’un mandat simple.
4- Le droit à indemnisation et le bon de visite
La Cour d’Appel de Colmar[13] a eu l’occasion de rappeler assez sévèrement que faute de bon de visite, l’acquéreur sera toujours libre de négocier avec l’intermédiaire de son choix, sans que ni la preuve d’une intervention déterminante, ni même la reconnaissance d’honoraires signée par l’acquéreur ne suffisent à produire effet, puisque ces éléments n’imposent en réalité aucune obligation contractuelle.
La Cour de Bordeaux[14] ajoutant sur ce même sujet que le seul fait qu’un mandat de recherche dans lequel figurait le bien litigieux ait été signé ne suffisait pas non plus en lui-même à établir que le bien avait été effectivement présenté et que faute de bon de visite, il n’était pas rapporté la réalité de cette visite.
A contrario, le bon de visite signé et stipulant une clause pénale très apparente et claire[15], engagera définitivement les acquéreurs au respect de leurs obligations contractuelles. Leur responsabilité sera semble-t-il engagée sans qu’il ne soit utile de démontrer une véritable intention d’éluder la commission.
Les décisions sur ce sujet semblant dépendre de la forme contractuelle dudit bon (privilégiez les bons sous forme de contrat, plutôt que ceux succincts édités par les logiciels de transaction).
Le bon de visite servira également à engager la responsabilité contractuelle du vendeur sur le fondement de la clause pénale du mandat (cf: interdiction de réitérer la vente avec l’acquéreur présenté sans le concours de l’agence), puisqu’il permettra de justifier en partie de l’entremise réalisée et donc de la déterminance de votre intervention pour la conclusion effective de l’affaire.
Pour ces raisons, il semble que la demande d’indemnisation du conseiller soit davantage assise en présence d’un bon de visite (les références en attestent [16]).
5- Le droit à indemnisation et l’échec fautif de la condition suspensive de prêt
La condition suspensive de prêt est réputée accomplie dès lors que l’acquéreur échoue à justifier avoir déposé une demande de prêt correspondant aux caractéristiques prévues au compromis[17].
La condition suspensive étant « réputée accomplie », on considère que l’acquéreur a bénéficié d’une offre de prêt conforme aux stipulations contractuelles et que son retrait de la procédure de vente est fautif puisque la condition est « réalisée ».
De jurisprudence bien établie[18], l’acquéreur dont le comportement a fait perdre sa commission à l’agence devra sur le fondement de sa responsabilité délictuelle réparation du préjudice de perte de chance causé[19], et cela sans que ce droit à indemnisation ne soit subordonné au fait que le vendeur exerce lui-même un recours contre l’acquéreur[20].
Dans ces conditions, le droit à indemnisation du conseiller sera a priori bien acquis[21].
Références
[1] La nullité du mandat est relative. Elle peut être abolie par la volonté expresse et exprimée des parties de passer la vente aux conditions du compromis et de l’acte authentique, lesquels incluent le recours à l’intermédiaire (CA Douai, 1è c.civ, 2/05/19, RG n°18-01674 – CA Caen, 1è c.civ, 4/07/19, n°15/02296) ;
[2] Art.78 du décret du 20 juillet 1972 – CA Aix-en-Provence 1ère et 5e c.,10/12/2020, n°19/04457 – CA Besançon, 1ère c.civ,21/12/2020, n°19/00354 ;
[3] CA Amiens, 1ère c.civ, 6/01/2022 n°20/03924 ;
[4] C.Cass, 1ère c.civ, 23 janvier 2019 n°18-10.549 – C.Cass, 3è.c.civ, 16 novembre 2022, n°21-22.400 – CA Caen, 2è c.civ, 18 juin 2020, n°18/02149.
[5] C.Cass Civ 1ère du 16 novembre 2016 n°15-22010 ;
[6] CA Versailles, c.civ, 10 octobre 2019, n°18/02596 – C.Cass., 1ère civ, 08/09/2021, n°20-12.171 – C.Cass., 1re chambre civile, 15 Juin 2022 n°20-22.047 ;
[7] C.Cass. 1ère civ. 82-12823 16 octobre 1984 ;
[8] Cour de Cassation, 1ère c.civ, 15 mai 2007, n°06-13988
[9] Voir également Cour de Cassation, 1ère cc, 25 juin 2009, n°08-15-523 ;
[10] L’interdiction pour un agent de percevoir une rémunération en l’absence de conclusion effective de l’opération projetée, est fondée sur le motif d’intérêt général tenant à la réglementation professionnelle visée à l’article 1er de la Hoguet d’assurer l’information, la protection et la liberté contractuelle des mandants – C.Cass, 3èc.civ, 7/07/2022, n°21-25.661.
[11] Cass.1ère civ. 15 mai 2007 n° 06-13988 – Cass.1ère civ. n°08- 15523 du 25 juin 2009 ;
[12] CA de Pau, 1re chambre, 27 avril 2021, RG n° 19/03099 ;
[13] CA Colmar, 2e c.civ, 14/01/21 n°18/03113
[14] CA Bordeaux, Chambre civile 2, 23 janvier 2020 n°16/01102
[15] CA Besançon, 11/06/2019, n°1800287 – CA Douai, 03/11/2022 n°21/00059
[16] CA Douai, 1ère c.civ, 04/07/19, n°16-06411 – CA Orléans 1ère c.civ, 16/03/2020, n°18/02264 – CA Bordeaux, 2ème c.civ, 23/01/2020, n°16/01102 – C.Cass, 1ère c.civ, 1/07/20 RG n°19-10.285 – CA Douai, 1ère cciv, 18/06/2020, n°18/05495
[17] art. 1304-3 du c.civ.
[18] CA Angers, 13/07/21, n°17/00487 – C.Cass. 1ère c.civ, 19/01/22, n°20-13.619- Cour d’appel de Dijon, 1re chambre civile, 3 Mai 2022, RG n° 20/00773
[19] CCass, Ass.Plei, 9/05/08, n°07-12.449
[20] Cour de cassation, 1re chambre civile, 19 Janvier 2022 n°20-13.619
[21] C.Cass, 1ère c.civ, 23 janvier 2019 n°18-10.549 – C.Cass, 3è.c.civ, 16 novembre 2022, n°21-22.400 – CA Caen, 2è c.civ, 18 juin 2020, n°18/02149.